Edward Norton et Edward Furlong dans  American History X movie
Image tirée du film American History X 

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Culture

20 ans plus tard, american history x est-il toujours d’actualité ?

Le film, qui a porté un regard totalement nouveau sur le nationalisme blanc dans les banlieues pavillonnaires américaines, trouve toujours un écho aujourd’hui – mais à quel point capte t-il la réalité ?

« Nous perdons notre droit de prendre notre destin en main », prévient Derek Vinyard, un leader néo-Nazi interprété par Edward Norton, quelques instants avant d'embarquer ses camarades skinheads dans une descente d'une épicerie coréenne – l’une des scènes les plus écoeurantes du film. « Nous perdons notre liberté », philosophe Derek, selon qui la faute reviendrait entièrement à des « parasites » qui débarquent massivement de nos frontières ouvertes. Pour la classe ouvrière américaine blanche démoralisée, ce discours dépasse le cadre de la fiction. Le film de Tony Kaye de 1998 American History X nous fournit l’une des premières études compréhensives sur la façon dont germent les idées suprémacistes. C’est pourquoi, 20 ans après sa sortie, son impact perdure, et ce d’autant plus en cette semaine où 11 personnes ont été tuées pendant un office du matin de shabbat dans une synagogue de Pittsburgh, où deux personnes noires ont été assassinées dans un supermarché dans le Kentucky, et où trois hommes ont été condamnés après avoir conspiré pour commettre un attentat contre des réfugiés somaliens dans une mosquée du Kansas – et tous ces actes ont été commis par des hommes blancs.

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A l’orée du XXIe siècle, American History X a dépeint le racisme de façon urgente, violente, et fermement ancrée dans le présent. Le film est sorti à une époque culturellement chaotique, marquée par la montée de groupes suprémacistes blancs militants – les émeutes de Los Angeles et les attentats à la bombe d’Oklahoma City étaient encore frais dans les mémoires américaines. « Le traitement approfondi des personnages néo-Nazis au cinéma reflète la montée des mouvements néo-Nazis, et le basculement violence discursive vers des actes de terrorisme fortement médiatisés en Europe et en Amérique du Nord à partir des années 1980 », explique Lawrence Baron, historien culturel et Professeur Emérite d’histoire juive moderne à la San Diego State University, et dont les recherches portent sur les néo-Nazis et la représentation de l’Holocauste dans le cinéma américain moderne.

Le film se passe à Venice Beach, en Californie, où Danny, le frère ado de Derek, joué par Edward Furlong, est sur le point de se faire virer de son lycée pour avoir rendu un devoir où il portait Mein Kampf aux nues. Afin d’éviter l’expulsion, Danny doit écrire une nouvelle dissertation d'histoire pour son prof Mr Murray, sur son grand frère Derek, un néo-Nazi désormais repenti, ancien élève de Mr Murray qui vient tout juste d’être libéré de prison. Alors que Danny essaie d’écrire son devoir ce soir-là, ses souvenirs de Derek lui viennent en flash-backs en noir et blanc. On y suit la radicalisation de Derek après la mort de son père (tué alors qu’il était venu éteindre un feu dans un quartier majoritairement noir) et la naissance du désir de vengeance chez Derek. Sa violence le mène tout droit en prison, où il finit par renoncer à son idéologie néo-nazie – renonciation qu’il est déterminé à inspirer à son jeune frère à sa sortie de prison.

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De façon générale, le film nous montre une histoire de colère qui se transfrome en rage, pour aboutir en rédemption. La rage dépeinte dans ce film est semblable à celle qui anime un grand nombre de gens aujourd'hui encore, dont sont victimes en premiers lieu les immigrants de couleur et autres minorités. Les discours tapageurs exprimés dans le film dépassent de loin la simple histoire des frères Vinyard. Car c’est ce racisme inhérent et perdu, qui a permis à Donald Trump d’être élu, qui a enhardi de nombreux groupes néo-nazis au point qu’ils ne craignent plus d'hurler leur violence au grand jour. À cet égard, le film demeure un récit pertinent, bien que culturellement imparfait.

Avant les années 1980 et 1990, les néo-Nazis étaient dépeints comme des méchants de l’ancien monde un peu cartoonesques, vêtus de costumes datant de la Seconde Guerre Mondiale, qui finissaient toujours par être vaincus par des hommes bons et honnêtes. American History X a changé la donne en montrant le suprémacisme blanc en tant que système de pensée qui a existé et prospéré dans l’Amérique pavillonnaire du milieu des années 1990. Le film effraie en suggérant le danger qui approche, en évoquant la paranoïa pré-années 2000 qui intervient juste au moment, période à laquelle la mondialisation s'intensifie et l'ère digitale vit ses premiers jours. Parallèlement, le genre réaliste se fait de plus en plus important au cinéma. Il ne s'agit plus de fuir la réalité mais de la montrer sans détour.

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« Les néo-Nazis appartiennent dans leur majorité à une classe ouvrière blanche qui se sent culturellement, économiquement, politiquement et socialement déclassée » analyse Baron. Actuellement, les groupes de haine comme Rise Above Movement, National Action et Vanguard America se reconnaissent dans une certaine identité de classe mais aussi et surtout dans une fracture collective. Partout, du sud de la Californie au Royaume-Uni (où une organisation néo-nazie, National Action, a été classée organisation terroriste après qu’elle ait célébré le meurtre de la députée Jo Cox par un suprémaciste blanc) en passant par l’Allemagne (où des manifestations néo-nazies ont récemment secoué le pays), des groupes néo-Nazis voient le jour et se radicalisent en opposition à un libéralisme dont ils se sentent foncièrement exclus.

« Les scènes les plus terrifiantes et les plus convaincantes sont celles dans lesquelles on voit les skinheads tisser des liens », estime le critique cinématographique Roger Ebert dans sa critique de 1998. « Ils sont entraînés par les talents d’orateur de Derek, et exaltés par les drogues, la bière, les tatouages, le heavy metal, et ce besoin qu’ont tous les gens en mal de confiance en soi d’appartenir à un mouvement plus grand qu’eux ».

American History X raconte le plus sinistre de tous les récits fondateurs néo-nazis : celui d'un foyer familial défaillant. « Beaucoup de ces films montrent que leurs personnages principaux sont souvent victimes de circonstances familiales, politiques ou socio-économiques. Ils ne sont pas des méchants par nature », dit Baron.

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La question de la pertinence de l’oeuvre, néanmoins, ne peut être traitée sans mentionner sa limite. La précision du film s’atténue dans le traitement de ses personnages noirs, qui sont davantage des stéréotypes que des personnages réellement habités. Le proviseur Bob Sweeney intervient activement pour changer les destinées de Derek et de Danny. Lamont, qui travaille à la blanchisserie avec Danny, ne le protège pas seulement en prison, il l’éclaire aussi sur les façons dont les gens de couleur sont abandonnés par le système judiciaire. Dans ce genre de films, « c’est « l’autre » méprisé qui apprend la tolérance à l’agresseur » affirme Baron. Certains personnages noirs n’existent que pour montrer aux personnages blancs leurs erreurs. C'est la figure-type du « Magical Negro » qui tient une longue tradition dans l’histoire du cinéma.

« Cette caricature du « Magical Negro » se produit quand des personnages afro-américains, qui ont un rôle central dans le film, sont représentés comme détenteurs de pouvoirs quasi-magiques qui leur permettent de transmettre sagesse et savoir au protagoniste blanc », décrypte la docteure Tina Harris, professeur de communication interraciale à l’Université de Géorgie. « Le « Magical Negro » aide le personnage blanc à atteindre un plan supérieur, à devenir un soi meilleur et plus authentique, mais cette notion ne fait que s’insérer dans le complexe du sauveur blanc propagé par les médias de masse aujourd’hui ».

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L’expression, popularisée par Spike Lee est sans arrêt utilisée comme moyen de dédouaner les personnages de leur passé raciste. Cette image culturelle usée renforce les stéréotypes et, quelle que soit l’intention d’origine, fantasme une société post-raciale où chacun peut être pardonné et se voir enseigner la moralité. « Tous ces clichés sont assez perturbants, car ils nous limitent à être unidimensionnel, ils rendent le rêve afro-américain unidimensionnel », déplore Harris. « Nous avons tellement plus de diversité que ce que montrent les médias ».

Le film échoue à montrer Derek et sa bande prendre leurs responsabilités pour corriger leur racisme et leur violence – la plupart des minorités et des gens de couleur dans le films interviennent pour choquer le spectateur, en tant que réceptacles de la violence des Néo-nazis. Derek balance des insultes antisémites au prétendant de sa mère pendant le dîner, un groupe verse de la sauce piquante dans la bouche d’un employé noir de supermarché, et il y a cette fameuse scène révoltante où Derek écrase du pied le crâne d’un ado noir qui essaie de voler son camion. L’horreur du film vous poursuit bien après la fin.

Si certains ont vu dans le film un cri d'alarme, d'autres y ont perçu un cri de ralliement. Dans la scène la plus célèbre et la plus perturbante du film, Derek déambule dans la rue en simple boxer blanc, la croix gammée fièrement exhibée sur sa poitrine musclée. Son corps et sa force, s'ils le rendent menaçant, ont aussi tendance à le héroïser. « Le message explicite est un message de tolérance », déclare Baron, « mais le personnage d’Ed Norton est extrêmement idéalisé physiquement et est bien plus charismatique que tous les autres personnages du film. On peut comprendre, en filigrane, quelque chose comme : "c’est le héros, c’est le mec qui fait ce que tu es censé faire" et à vrai dire, ça a inspiré quelqu’un à faire exactement la même chose en Allemagne ». En 2002, à Potzlow, ville de l’ancienne RDA, trois néo-Nazis ont écrasé le crâne d’un homme parce qu’il « ressemblait à un Juif », imitant la scène du trottoir d’American History X.

En dépit de ces considérables imperfections, le film a braqué les projecteurs sur le suprémacisme blanc et a permis d’ouvrir un débat crucial. En 1998, le film poussait les spectateurs à imaginer la façon dont le nationalisme blanc prospérer partout dans le monde. Personne n'y croyait vraiment, voyant là un simple mouvement contestataire confiné à la marge. Aujourd'hui pourtant, le racisme et la xénophobie qu'incarne Derek semble s'être imposés dans la réthorique de nombreux partis politiques.

Aujourd’hui, le néo-Nazi notoire Arthur Jones est un candidat républicain pour le Congrès dans l’Illinois, le suprémaciste blanc Richard Spencer énonce des discours dans les universités et Donald J. Trump colporte de fausses informations sur des caravanes de migrants demandeurs d’asile originaires d’Amérique Centrale en chemin vers la frontière américaine. A bien des égards, American History X n’était pas un portrait de l'Amérique des années 1990 mais une prémonition de ce qui allait se produire.

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Cet article a été initialement publié sur i-D UK.