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Des flics pas comme les autres

Dans les Centres loisirs jeunes de la police nationale, des fonctionnaires de police reconvertis animateurs s'occupent d'ados en rupture scolaire. Entre sorties au tribunal, motocross et ateliers gâteaux.
Centre de Loisirs Jeunes à Nantes
Photos: Tristan Vergnault pour VICE FR

Dans un local haut de plafond du Centre de loisirs jeunes (CLJ) de Nantes, l’équipe est en réunion, avec du café et des pâtisseries réalisées la veille par des jeunes pensionnaires. Ici, ils sont deux fonctionnaires de police à temps plein sur le site, épaulés par une sportive de haut niveau à temps partiel, elle aussi fonctionnaire de police, qui « remet les pieds sur terre à ceux qui veulent devenir footballeur professionnel ». On trouve aussi une directrice d’école à la retraite et deux jeunes en service civique. Des CLJ comme celui-ci, il y en a plus d’une vingtaine en France, bien que leur existence soit peu connue des citoyens lambda.

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« Moi je suis un pur produit de l’animation, même si j’ai fait un peu de police-secours, explique Anthony Guitard, le directeur du CLJ de Nantes. Mais on est encore appelé pour les manifs, les gros événements. Dans ces cas-là, on remet l’uniforme ». Le reste du temps, seul un écusson sur la poitrine rappelle la fonction des adultes du CLJ. Anthony est accompagné de Fred, 11 ans de police-secours au compteur, détaché pour le CLJ. « Ça me plaît bien ici, on crée du lien. Certains jeunes s’y retrouvent. Et puis je faisais de l’animation avant de rentrer dans la police ». « On est quand même des fonctionnaires de police particuliers. Ce n'est pas compris par tous les collègues », confesse de son côté Anthony en évoquant son job hybride.

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Anthony Guitard, directeur du CLJ de Nantes.

Les mercredis après-midi et pendant les vacances scolaires, les CLJ fonctionnent comme un centre de loisirs « ordinaire », sur inscription, accueillant 16 jeunes au maximum. Avec son agrément Jeunesse et Sport, l’équipe lutte contre l’oisiveté, travaille beaucoup avec les jeunes sur les notions de règles et de respect et entretient un réseau dense, celui des interlocuteurs qui gravitent autour des adolescents. « Après, si le gamin est là et pas dans un CLSH [centre de loisirs sans hébergement, ndlr] de droit commun, c’est quand même qu’il y a une raison », croit savoir Anthony Guitard.

Les jeunes, de 10 à 17 ans, sont plutôt issus de quartiers populaires, de la Protection de l’enfance et de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Lorsque des séjours ski, voile ou moto sont organisés, l’encadrement est renforcé par « des collègues en service actif, volontaires, venus de la Brigade anti-criminalité (BAC), de la Compagnie départementale d’intervention (CDI) ou d’autres services », précise Anthony Guitard. L’idée des CLJ est aussi de proposer à ces jeunes une autre image de la police, de modifier leur rapport souvent dégradé aux forces de l’ordre. « Il nous arrive d’ailleurs de recroiser des jeunes quand on est en uniforme, et ils viennent nous dire bonjour », sourit le directeur. Si ces séjours où des GO atypiques ont délaissé tonfas et menottes semblent parfois interpeller le quidam, ils plaisent aux jeunes, qui peuvent pourtant se voir refuser cette opportunité : « Quand un gamin fait le bazar dans son collège, on le sait car nous sommes en lien avec le collège ou les éducs. Et du coup, il est possible qu’on ne l'accepte pas. Il faut qu’il se comporte bien dans les différents endroits qu’il fréquente », explique Anthony Guitard.

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Pour ceux qui justement ne se comportent pas très bien, ce centre de loisirs a une autre vocation, celle d’accueillir, en semaine, des collégiens – cinq maximum – exclus temporairement de leur établissement et ceux en rupture scolaire, exclus par un conseil de discipline, en attente d’un nouveau collège ou absentéistes. Des ados sur le fil donc, mais qui doivent tout de même accepter cette proposition, parfois surprenante pour eux. « Il faut qu’ils s’engagent à venir, nous on leur tend la main, mais on ne peut rien faire sans eux ». Sous convention avec l’inspection académique, le CLJ a un mot d’ordre : la réactivité. « Quand un jeune est exclu une semaine par exemple, et bien pour éviter qu’il traîne dans le quartier ou joue à Fortnite toute la journée, il peut venir ici », explique le fonctionnaire de police.

Si certains ronchonnent au mot « police », comme certains adultes à qui l’on évoque l’initiative, la majorité se trouve très bien dans cette bulle provisoire où les professionnels, disponibles, peuvent se permettre de pratiquer « le un pour un ». De 9 heures à midi et de 13h30 à 16h30, l’adolescent se voit proposer du soutien scolaire, une discussion autour de ses actes, un éventuel rappel à la loi, une activité citoyenne. « Nous les accompagnons systématiquement assister à une comparution immédiate ». Mais aussi une activité sportive, culturelle (cinéma, expo…) et un atelier manuel : rénovation de bateaux, carrosserie, mécanique… De quoi, pour certains ados, se sentir bien mieux qu’en cours de maths ou d’histoire-géo. Alors, « les principaux des collèges ciblent les gamins qu’ils envoient, car le danger, c’est qu’ils aient tous envie de venir. Donc, tu fais une connerie, tu vas au CLJ, OK. Mais tu n’y retournes pas. On ne les reprend pas une deuxième fois. Sauf sur une autre année ». Des ados en difficulté scolaire donc, qui se sentent bien avec des fonctionnaires de police, prêts à encaisser une longue discussion sur leur bêtise passée ou en cours. Pour expliquer ce paradoxe, il faut se tourner vers le taux d’encadrement, et les jeunes eux-mêmes.

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Ce jour-là, Kenzo potasse les capitales de l’Europe avec Martine, l’ancienne directrice d’école, devant un puzzle ludique. Martine a toujours travaillé avec la police en tant enseignante, et confesse que « c’est grâce à la police que j’ai pu sauver des jeunes là où mon administration m’avait lâchée ». Elle voit en eux le potentiel que leurs profs agacés ne perçoivent plus. Le jeune garçon est en classe de 4e SEGPA, et passe une semaine au CLJ pour des problèmes de comportement, mêlant insultes et insolence. « C’est largement mieux qu’être en cours, je suis beaucoup plus détendu », avoue t-il en souriant. Ses traits un peu ronds laissent deviner la part d’enfance encore en lui. La patience dont il fait preuve avec sa prof d’un jour peut laisser perplexe le spectateur quant à ses capacités à être désagréable avec un adulte. Kenzo exprime avec simplicité le problème majeur de l’Éducation nationale : « En classe tout le monde a besoin de la prof. Ici, tu as une personne pour toi ». Et même si la séance au tribunal lui a paru « un peu longue », il réalise déjà, au bout du deuxième jour, que « le retour en cours ne va pas être facile. Et puis ils sont super cools, pour des policiers. Le directeur – Anthony – a dû passer au commissariat central pour faire un truc, j’ai pu l’accompagner et visiter, c’était super bien ! »

Steven, qui se balance sur sa chaise, est en compagnie de Mathilde, en service civique. Cette dernière, 23 ans, terminera son master de droit l’année prochaine, pour passer le concours des officiers. « Je ne savais pas que la police pouvait avoir ce rôle d’accueil. Elle a une image un peu dure, mais là c’est un autre visage, un côté plus humain », dit-elle . Exclu définitivement de son établissement, Steven se montre laconique et peu intéressé par les notions juridiques que Mathilde essaye de travailler avec lui. « Je sais pas si ça va m’apporter quelque chose d’être ici. C’est ma mère qui voulait que je vienne ». À part « pour les bavures », l’adolescent n’avait pas une mauvaise image de la police avant de venir, mais lui se sent prêt à changer « seulement à 50% ». Les jeunes accueillis sont évalués durant la semaine. Puis a lieu un échange entre les professionnels un mois après, sur le comportement de l’ado. « La seule question qui nous intéresse au CLJ c’est : est-ce que ça a servi ? »

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Cela semble le cas pour Youenn, penché sur le code pénal Junior. Lui aussi en quatrième, il a été exclu une semaine après avoir été violent envers un autre élève. L’adolescent parle doucement, semble un peu étonné d’avoir fait ce qu’il a fait et d’être là, mais reconnaît apprendre mieux ici, où « on nous parle gentiment ». Accompagné par Louis, en service civique, il bouquine ce matin les articles de loi qui listent les sanctions pour des faits de violence. « Je ne savais pas ce qui m’attendait en venant ici. Mais le tribunal, ça m’a intéressé. Les lois sont beaucoup plus strictes que ce qu’on pense nous les jeunes… » Louis a 19 ans, à peine plus vieux que certains jeunes qui passent par le CLJ. Ce passionné d’automobile qui « aime bien le social », a fait acheter au centre une vieille 4L, qu’il va retaper avec les ados.

De Louis à Martine, les professionnels du CLJ sont le reflet de sa particularité. Un lieu alternatif, qui semble se moquer des regards perplexes, mi-centre de loisirs mi-atelier de remobilisation, entre rappel des règles et tentative de rapprochement jeunes-police. Mais au final, plaisante l’équipe, « comme on est des flics, c'est parfois plus compliqué de bosser avec des éducateurs de prévention qu’avec les gamins eux-mêmes ! »

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A gauche, Louise, en compagnie de Marie, championne de France d'aviron.

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