Avant de découvrir comment la marijuana consommée au Brésil était produite, j’avais jamais pensé à quel point il était nécessaire de la nettoyer. Mais surtout, je m’étais jamais posé la question. Le nettoyage est en fait quelque chose d’assez courant ici. Mais je réalise aussi à quel point ça peut paraître bizarre aux yeux de mes potes en Europe.
Ici au Brésil, la plupart de la beuh qu’on trouve s’appelle prensado et n’a rien à voir avec l’herbe en Europe. Prensado, ça veut dire « compressé » en portugais. Ça décrit l’aspect physique de ce type de weed – qui est vraiment étrange au passage. De ce qu’on sait, elle est généralement produite au Paraguay et est ensuite transformée en une brique brune-verte qu’on peut facilement acheter dans des favelas au Brésil.
Videos by VICE
Cette brique est donc le résultat d’un processus qui commence dans les fermes paraguayennes. Au moment de la récolte, les fleurs de marijuana sont cueillies, sans guère de précautions, et amenées à une presse où elles vont être compressées. Le but est d’occuper moins de place dans les moyens de transport et de faciliter le trafic dans les pays d’Amérique du Sud.
Dans la machine de compression, tout est permis : des branches, de la terre et même des insectes qui traînent autour. Le contenu issu de cette machine consiste en un bloc de 5 kilos de marijuana sale, qui peut être stocké dans le sous-sol de ces fermes – souvent humide – pendant de longues périodes, avant d’être transporté vers les grandes villes du Brésil, comme Belo Horizonte, ville d’où j’écris cet article.
La fleur de marijuana naturelle, celle dotée de caractéristiques si particulières, reste quant à elle difficile à trouver au Brésil. En raison de sa rareté sur un marché dominé par le prensado, elle finit par être consommée quasi exclusivement par une classe sociale qui représente la minorité du pays : les riches. La différence de prix est exorbitante. Alors que le prix d’un gramme de marijuana, comme celle qu’on trouve facilement en Europe, s’élève environ à 70 reais (un peu plus d’une dizaine d’euros), le gramme de prensado, lui, peut coûter seulement 20 centimes de reais (3 centimes d’euro).
Malgré la faible connaissance de l’origine et de la composition de cette herbe qui sort de la machine à compression, beaucoup consomment le prensado régulièrement sans se poser de questions. « Je fume le prensado parce que j’ai pas souvent d’argent pour fumer des buds, me dit Luiz (24 ans), fumeur régulier. En plus, si je plantais ma propre marijuana, je pourrais facilement être arrêté pour trafic de drogue. »
Pour que cette weed compressée arrive dans les mains des fumeur·ses de cannabis du pays comme Luiz, elle passe encore par différents moyens de distribution. Elle peut être achetée dans les favelas, où se trouvent la plupart des réseaux de trafic, mais aussi par l’intermédiaire d’un contact spécifique qui reçoit la marijuana d’un fournisseur, parfois directement de l’étranger. Clara (25 ans) est une vieille copine qui consomme fréquemment du prensado. Aujourd’hui, elle a un contact d’achat par lequel elle a une certaine garantie de la qualité du produit. « On trouve très souvent des prensados de mauvaise qualité, dit-elle. Presque tout le temps, en fait. À mon avis, c’est plus facile d’acheter de la marijuana avec un minimum de qualité et de façon régulière lorsqu’on a un contact fixe. J’ai déjà eu des mauvaises expériences où j’ai reçu des herbes compressées qui sentaient l’ammoniac, ayant une couleur étrange ou même de la beuh qui ne provoque aucun des effets attendus, juste une étrange sensation de fatigue. »
Outre les éléments qui peuvent se mélanger à l’herbe pendant le processus de production et de « compression », il y a aussi le risque de décomposition de la plante en raison de l’humidité à laquelle elle est exposée. L’odeur d’ammoniac décrite par Clara est générée par ce processus de décomposition et constitue déjà un postulat des fumeur·ses pour définir la qualité du produit acheté : la marijuana qui sent l’ammoniac est, de toute évidence, de la mauvaise marijuana.
On en revient alors au début de toute cette histoire : le nettoyage du prensado. Pour pouvoir consommer de la marijuana compressée et afin de soulager leur conscience et probablement leurs corps aussi, les consommateur·ices d’herbe ont créé des moyens de la rendre plus « propre ». Ces techniques sont tellement répandues dans le pays qu’il est possible de trouver plusieurs tutoriels sur YouTube, comme celui d’Olhar Verde, qui compte plus de 150 000 vues. Patrícia da Rosa est la propriétaire de la chaîne concernée et milite en faveur de la légalisation du cannabis. Elle dirige également une clinique spécialisée dans le soutien aux patient·es qui utilisent de l’huile de cannabis à des fins médicales.
Patrícia me confie au téléphone qu’elle a décidé de faire un tutoriel sur le nettoyage du prensado pour réduire les méfaits de la consommation de ce type de weed. « La chimie du cannabis elle-même se modifie au cours du transport du prensado et on finit par consommer un produit de qualité douteuse, explique-t-elle. L’idée serait de laver ce produit pour réduire les éventuels risques. Cela dit, le lavage des prensados est loin d’être idéal. Le mieux serait de cultiver soi-même ou d’avoir la possibilité d’acheter du cannabis de qualité dans des dispensaires. »
Comme pour beaucoup d’ados au Brésil, c’est à l’âge de 16 ans que j’ai nettoyé 25 grammes de prensado pour la première fois. Avec un ancien copain, on avait acheté l’herbe dans une des favelas de ma ville natale et on l’avait ramenée chez lui pour commencer le processus de nettoyage, qui s’est avéré assez long. Après ça, j’avoue que j’ai perdu tout intérêt pour le nettoyage de weed et je l’ai plus jamais fait.
Pour être sûre de bien me souvenir de cette technique, j’ai invité Clara et Luiz à nettoyer avec moi 12,5 grammes de prensado.
La première étape consiste à chauffer une casserole d’eau jusqu’à ce qu’elle soit presque bouillante, à une température entre 70 ou 80 degrés. Si l’eau utilisée pour le nettoyage est en ébullition, elle peut altérer les propriétés de la plante et gâcher votre marijuana.
Lorsque l’eau a atteint la température souhaitée, il faut couper le feu et jeter le bloc de prensado dans la casserole. Les fleurs de marijuana commencent à se détacher de la brique et l’eau chaude noircit.
On laisse ce processus se dérouler pendant environ 5 minutes. L’eau devient brune et les fleurs se détachent complètement les unes des autres.
L’étape suivante consiste à vider l’eau. À l’aide d’un tamis, on jette toute l’eau sale et on commence à voir clairement que le prensado se transforme. Les petites fleurs deviennent complètement visibles.
Avec Luiz et Clara on commence alors le processus de séchage. On prépare une assiette avec du papier absorbant et on y place la marijuana – maintenant décompressée. Peu après, on recouvre les plantes d’une autre couche de papier absorbant et on les presse délicatement pour enlever l’excès d’eau. On répète ce processus plusieurs fois, en changeant le papier pour qu’il absorbe le plus d’eau possible.
Pour finir, on met la weed de côté dans un lieu sec et on la laisse sécher pendant environ deux jours.
Après le temps de séchage, c’est comme si on avait une nouvelle plante à fumer. En parlant des sortes de weed qui existent au Brésil, Luiz compare le rendu du prensado nettoyé, avec un autre type de marijuana qui s’appelle cabrobró. Selon lui, le cabrobró est une plante non compressée de qualité inférieure. Il coûte environ 15-20 reais (3 euros) par gramme. Cela dit, même avec l’existence de cette option qui semble être moins pire, le prensado reste dominant dans la consommation des Brésilien·nes et plus facile à trouver.
Bref, deux jours plus tard, au moment de fumer le prensado nettoyé, Luiz roule une cigarette avec uniquement de la marijuana, sans tabac – une autre différence entre les habitudes européennes et brésiliennes en matière de consommation de weed. Je connais presque personne en Europe qui fume des joints sans tabac. Clara me dit : « J’aime bien rouler soit juste de la beuh, soit juste du tabac, sans les mélanger. Le prensado est déjà mélangé avec d’autres choses et du coup, à mon avis, ça n’a pas de sens d’encore le mélanger avec du tabac. D’un autre côté, quand j’ai de la vraie beuh de bonne qualité, je préfère aussi la fumer pure pour profiter du goût et de l’odeur de la plante telle quelle. L’accès à des plantes de ce type est relativement difficile, on doit profiter comme on peut. »
En parlant de ça, Luiz mentionne une autre façon de mélanger la marijuana et le tabac, plus courante dans la région de Rio de Janeiro. Cette façon de fumer s’appelle balão. Ça consiste à rouler de la marijuana au sommet d’une cigarette blanche. On l’allume pour fumer les deux en même temps et, en le faisant, la chute de tension est presque garantie. Clara et moi détestons cette technique. Je la trouve assez absurde.
Luiz allume le joint de beuh nettoyée. Clara est un peu sceptique quant à l’efficacité de notre opération de lavage. Après quelques minutes, on confirme que tout s’est bien passé et que la weed n’est pas gâchée. Tout ça ne fait que confirmer ma théorie selon laquelle les êtres humains sont extrêmement adaptables, surtout quand il s’agit de se défoncer.
Je n’ai donc qu’un seul message pour vous, les potes qui fument de l’herbe en Belgique, en France et partout en Europe, et qui n’ont pas besoin de nettoyer votre weed : profitez du privilège que vous avez et, bien évidemment, consommez avec modération.
VICE France est sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.