Fally Ipupa est plus que jamais décidé à conquérir le monde

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Fally Ipupa est plus que jamais décidé à conquérir le monde

« Y'a pas de compétition parce que je suis le numéro 1. Le peloton est derrière. Je les aime tous, ils sont bons, mais je suis le précurseur. Demandez aux Congolais, ils confirmeront. »

Valeur sûre de la musique africaine en général et congolaise en particulier, Fally Ipupa signe un nouvel album pas comme les autres avec Tokooos, qui marque un changement radical à plusieurs niveaux. Celui qui a impressionné Koffi Olomidé et fait ses premiers pas à l'international à ses côtés n'a jamais cessé de tester différents styles depuis son départ en solo il y a maintenant 11 ans. Et si son dernier projet ne fait pas exception à la règle, il va en revanche un peu plus loin en modernisant très clairement ses sonorités et en piochant dans la black music récente pour ses nouvelles collaborations.

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On retrouve ainsi à ses côtés au fil des morceaux MHD, Booba, Shay, Aya Nakamura, Keblack, Naza mais aussi le nigérian Wizkid et l'américain R.Kelly. La volonté est claire : établir un pont entre la musique africaine et ses descendants naturels dans les pays occidentaux, le rap et le R'n'B. Formule gagnante ? L'avenir le dira, en attendant on est revenus avec le bonhomme sur ce qui l'avait amené à s'imposer cette évolution, lui qui est pourtant déjà une star au-delà des frontières.

Noisey : Tu as déjà une carrière bien remplie mais pour l'album Tokooos, tu connais ta 1ère grosse médiatisation franc-française non ?
Fally Ipupa : Oui. C'est ma décision, ça fait 11 ans que ma carrière se porte plutôt bien. Ca marche bien un peu partout, mais en France pas tant que ça. Dans la communauté, bien sûr, mais le reste non. Je voulais donc faire un album plus ouvert pour les Français de souche. C'est une nouvelle expérience. On va voir.

Ça s'accompagne d'une nouvelle sonorité, des feats avec des artistes rap et RnB mais même au niveau des compositeurs, tu as fait appel à des beatmakers bien connus du rap, comme Double X ou encore Junior Alaprod…
C'était ma volonté et aussi celle de la maison de disques. Mais par contre la vision de l'album reste la mienne. Je voulais proposer un album ouvert mais pas trop non plus. Sans perdre l'identité ni l'authenticité de ma musique. Je suis un artiste congolais à la base, on a une musique très riche, facilement identifiable par notre façon de gratter la guitare. Je voulais garder ça et les harmonies aussi, car elles sont un peu différentes de celles utilisées dans les autres musiques. C'est le plus international de mes albums mais toujours fidèle à moi-même.

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Ça correspond à tes nouvelles influences ? Dans le sens où tu vis entre Kin et Paris.
Depuis 17 ans, je fais des allers-retour, je vis ici. J'ai la double-culture : j'ai grandi à Kinshasa jusqu'à mes 21 ans, et comme toute personne de ma génération qui est ensuite allée ici, j'ai grandi avec les influences hip-hop, urbaines. Par contre, nous les Congolais on est plus facilement attirés par le rap et RnB américain. Mais bon, l'influence africaine restera toujours plus forte parce que j'ai commencé au Congo. J'ai vu l'évolution de la musique française tout court, pas seulement le rap. Côté congolais, il y avait plein de gens du Secteur Ä, aujourd'hui y'a beaucoup de jeunes, qui marchent très bien ici en France. Ça me fait énormément plaisir. Comme je dis toujours, y'a fort longtemps, la musique congolaise était leader en Afrique. Sans être prétentieux, c'est logique que les Congolais marchent bien en France également, vu la diaspora. Je suis très fier, c'est pas pour rien, on est forts.

Les Sénégalais sont pas mal non plus quand même.
[Rires] Oui les Sénégalais, bien sûr ! Vous avez plein d'artistes. J'ai partagé un titre avec le grand Youssou N'Dour, pour moi c'est des artistes qui représentent très bien notre continent. Des Youssou N'Dour, des Papa Wemba, des Alpha Blondy, Salif Keita, Koffi Olomidé. Ça a toujours fait plaisir. Nous, on ne fait qu'emboîter le pas.

Tu te sens comme l'héritier de tous ces anciens ou tu fais ta sauce de ton côté ?
Je me contente de faire mon truc, moi je suis pas… La musique congolaise je la fais à ma manière. Tu vois bien, être congolais c'est la rumba, c'est être sapeur, etc. Moi je ne suis pas vraiment là-dedans. J'essaie de faire mon chemin, je me considère pas comme l'héritier mais j'ai un grand respect pour l'ancienne génération, ça c'est sûr.

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C'est vrai que même niveau fringues, tu es un peu dans l'entre-deux.
Ouais exactement. J'aime la mode mais je suis pas dans la sapologie. C'était le truc cher à Papa Wemba, moi je suis celui qui a ramené le côté plus simple. Tu peux monter sur scène avec un marcel, un short même. J'ai envie de dire que si les artistes africains, d'Afrique Centrale et de l'Ouest un peu, peuvent maintenant venir sur scène habillés simplement, c'est un peu grâce à moi. Dès mon arrivée en 2006 j'ai ramené cette simplicité.

Collaborer avec des jeunes beatmakers a modifié ta manière de travailler les morceaux ?On était souvent au studio avec Junior par exemple mais d'autres envoyaient des prods à distance. Donc ça a bien changé ma façon de travailler. Mes autres albums étaient tous composés en live avec des instruments : guitare, batterie, etc. Cette fois, c'était différent et j'ai laissé des gens guider mes choix, ça s'éloigne de mes albums « rumba » si on veut.

Tu as préféré ce nouveau challenge, par rapport aux précédents ?
Pour moi c'est comme si j'avais 18 gosses, impossible d'en préférer un. Mais après avoir chanté « Kiname », « Jeudi soir », « Bad Boy », je trouve que ça parlera plus facilement aux deux mondes. J'adore tous les chansons. On a même eu des problèmes de riche : trop de bons morceaux ! On n'a pas pu tout mettre, y compris un titre avec Black M par manque de temps. Sur la réédition peut-être.

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Du coup tu vises quoi avec cet album ?
Je vais être très clair : je veux plus de public blanc ! [Rires] Je veux récupérer un nouveau public un petit peu.

Bien vu, ils ont plus d'argent à dépenser en général.
Ah, pas sûr hein ! [Rires] Mais sérieusement le but c'est d'élargir le public en Europe, en France, leur faire découvrir ma musique aussi, sa richesse, sa différence.

Et avoir des groupies blanches, je vois.
Non, je dirais pas ça, je respecte trop. Tu sais bien que je suis Africain, on n'emploie pas ce genre de termes [Rires]

C'est vrai que dans « Jeudi Soir » tu as une façon très douce de décrire l'adultère et aussi l'alcoolisme.
On a co-écrit avec Olivier, qui est un peu fou comme moi. Ce n'est pas le seul avec qui je co-écris, il y en a 4-5 autres, mais lui j'aime beaucoup son affaire, sa folie. Mon truc c'est de raconter des histoires. Dans la vie de tout un chacun, il y aura un jour où tu vas tromper ta femme, ton mari, un jour où tu vas déraper à cause de l'alcool en prenant un verre de trop. Je suis allé loin sur ce titre puisque je dis que je ne suis qu'un homme faible, qui succombe à la chair. Ne m'en veux pas si je t'aime et j'aime aussi l'autre. Mon cœur t'appartient quand même [Sourire].

D'ailleurs même le couplet sur l'alcool ménage une petite excuse assez sympa sur le mode « c'est Jésus qui nous a dit de boire »
[Rires] Toujours : je suis la parole de Dieu. Jésus a dit : prenez, ceci est mon sang [Sourire] Je suis comme un livre qui dispatche la façon de vivre, l'amour, la mort, avec toutes ses facettes. C'est pour ça que ça donne un album divers en matière de thèmes, de beats, de son, j'en suis très content.

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Bizarrement tu as aussi un côté très egotrip quand tu chantes « Viens divertir le roi, des comme toi y'en a des milliers », ça pourrait être un rappeur qui dit ça.
Ouais [Rires] Moi, on m'appelle King Hustler, ça fait 11 ans de règne sans être détrôné. J'ai côtoyé des gens importants de ce monde grâce à ma musique, j'ai été invité par Obama, pour la Young African Leaders Initiative, donc je me permets un peu d'egotrip tu vois ? Ce n'est pas pour dénigrer les autres, mais pour me mettre en avant, en déconnant un peu.

Du coup ça te démarque aussi des autres chanteurs congolais plus traditionnels.
Justement, moi ma musique s'appelle Tokooos Musique, c'est un mélange entre la musique congolaise de base et la musique internationale. Pas seulement française : on choppe des trucs de tout le monde : Urugay, Chine, tout ce qui est bon. Pas de limite.

Tu dirais que ce genre de mélange c'est l'avenir de la musique africaine ?
Pour moi c'est l'avenir de la musique tout court. Les Américains ne transitent même plus par l'Europe, ils vont en Afrique direct pour tourner des clips, chopper des beats, prendre des musiques. Y'a 10 ans c'était plus compliqué. Je citerai pas de nom mais j'ai déjà vu un clip d'un artiste français bien blanc, je somnolais, j'écoutais la guitare en étant persuadé que c'était un noir, et pas du tout. Tout ça pour dire que la musique n'appartient à personne. C'est comme ça que ça doit se passer. Aujourd'hui l'Afrique n'est pas une musique exploitée comme il se doit. Dès qu'on passe à la radio ici, on nous qualifie de nouvelle tendance mais nous on connaît ça depuis ! On a grandi là-dedans. On commence à casser des frontières, c'est très bien.

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Tu aurais un ou deux conseils pour que la musique sénégalaise devienne numéro 1 à travers les frontières du coup ?
Alors si je peux me permettre, j'ai déjà dit ça à des puristes de la musique africaine, j'ai l'impression que les artistes sénégalais n'aiment pas s'exporter tant que ça. Si je faisais un jour un morceau Mbalax, je ferais tout pour qu'il devienne international. Il suffit de voir le mélange que Booba a utilisé pour « DKR ». C'est pas vraiment ça, c'est retravaillé, mais ça a pas mal pris. Moi qui suis amoureux des belles mélodies, la musique sénégalaise, aïe aïe aïe ! Leur instrument, je ne suis pas sûr du nom, la Kora ?

La Kora c'est celui avec les cordes oui.
Voilà, c'est magnifique. Elle est riche la musique sénégalaise. Il faudrait juste ouvrir la musique au reste du monde. Dès qu'il y aura ça, ça va faire du mal, du sale. Ils vont arriver aux États-Unis, ils sont nombreux là-bas.

En parlant des Etats-Unis, tu as entre autres un duo avec R.Kelly [l'interview a eu lieu avant que l'affaire de la secte secrète ne soit dévoilée]
La rencontre date de 2010, on avait un projet réalisé et sponsorisé pour une société de téléphonie mobile à la base. C'était R.Kelly et 7 chanteurs africains. Parmi les 7, j'étais quasiment le seul qui pouvait bien jouer de la guitare. J'étais le seul francophone, je comprenais rien, mais quand R. Kelly m'a entendu chanter, il a dit ok, pas besoin qu'il chante en anglais, il peut chanter en français, ça passe super bien. Il m'a laissé son numéro en me disant « anytime », puis 6 mois après il a dit « you gotta sing for the ladies man »,

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Sacré Robert [précisons qu'il n'en est pas à son premier scandale, hein].
Je lui ai dit que j'avais un son qui correspondait, je lui ai envoyé, il a pété un plomb sur la guitare congolaise, il a posé direct et m'a renvoyé les pistes. On a ensuite fait évoluer le titre, on a clippé et on a même un projet d'album ensemble.

Ah c'est pour ça qu'il lâche « best of both worlds » à la fin du morceau ? C'était le nom de son album commun avec Jay-Z…
C'est pour ça. Après mon album on essaiera de rentrer en studio, pour un projet commun. Enfin, je vais d'abord refaire un album pour la communauté, mais juste après c'est bon. Moi aux USA, j'ai été nommé aux BET awards, j'ai fait une apparition dans la série Empire, j'ai fait 2 tournées là-bas, ça va. Ça peut donner un bon truc.

Tu as, en parallèle de ta carrière musicale, créé ta fondation pour aider les nécessiteux au Congo, tu te verrais l'ouvrir à l'international et continuer ce genre d'action ici ?Pourquoi pas. On exerce partout où il y a des démunis. En France c'est la démocratie mais il y a toujours des pauvres qui ont besoin d'aide. Sauf qu'en ce moment il y en a encore plus au Congo et en Afrique en général. J'ai créé la fondation en 2013, quand il y avait des guerres, des femmes violées, des enfants soldats qui mouraient bêtement… Je voulais aider, on a acheté des terrains pour faire des orphelinats, remis de l'eau dans une commune enclavée qui n'y avait pas accès, retapé des écoles, etc. Comme disent les Américains le concept c'est « give back ». Quand tu réussis, en tant qu'Africain, il faut aider dès que tu peux.

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Petit flashback : tu te rappelles comment tu es tombé dans la musique ?
Moi je viens de Bandal [abréviation de Bandalungwa], pour ceux qui ne connaissent pas, c'est un quartier qui correspond à Clichy-sous-bois + Montfermeil + Sarcelles. Et c'est un quartier à musique. Sur 10 artistes congolais, 8 vont être de Bandal. S'ils n'y sont pas nés, ils y ont grandi. Je suis tombé dans la musique là-bas, c'était trop pour mes parents qui m'ont envoyé à l'internat sauf que là-bas je suis devenu encore plus artiste. Ça c'était en 94-95. Vers 99 j'ai été repéré par Koffi Olomidé, on a fait une tournée, puis en 2006 je suis parti en solo.

C'était un pari osé à l'époque, mais aujourd'hui j'imagine que tu es plus que satisfait.
Si je dis que je suis le meilleur de ma génération… Bon, les gens avouent ce genre de truc seulement quand tu meurs. Mais je m'en fous, moi, je suis réellement le meilleur de ma génération [Rires]. Avant moi, les gens de mon âge ne cartonnaient pas. En plus j'étais presque le seul solo, c'est seulement après que d'autres ont voulu faire pareil. Et j'ai marché rapidement. On a grandi, on était « roots », sur la rumba, dont l'origine date de 75 ans maintenant. On ne va pas la reproduire éternellement, sans rien changer, jusqu'à aujourd'hui. Moi je l'ai retravaillée, ce n'est plus de la rumba authentique. Et pourtant, ça marche encore : avec ce dernier album, des gens ont été déçus et me réclament des morceaux comme « Canne à sucre », une rumba que j'ai faite. Je sais le faire, mais je suis un artiste qui peut proposer d'autres musiques. J'ai préféré m'ouvrir sur cet album. Et puis bon, la guitare congolaise est quand même dans tous les morceaux.

Avec les autres chanteurs, il y a une émulation ? Une compétition positive ?
Y'a pas de compétition parce que je suis le numéro 1. Le peloton est derrière. Je les aime tous, ils sont bons, mais je suis différent, je suis le précurseur. Ils le savent [Rires] Demandez aux Congolais, ils confirmeront. Je prends des risques : mon public me dit : « putain Fally, qu'est-ce que t'as fait avec ces nouveaux sons bizarres ? Mais pourquoi ? ». Mais je connais mon peuple : dans 3-4 mois ils diront « il est trop loin ». Faut savoir que quand je me suis lancé en solo mes copains m'appelaient pour me dire « Fally, tu pètes les plombs ». Parce qu'il y avait déjà des stars en solo, des grosses pointures, Koffi, Papa Wemba, etc. Tous sortaient des albums. Donc ils m'ont pris pour un fou et 7 mois après ils ont dit « non, il doit être mystique lui » parce que ça marchait [Sourire].

On va passer à la question phare de cette interview : est-ce que tu connais la blague qui circule sur ton nom ?
Ah non, c'est quoi ça ?

Dieu a dit à Fally « tu sens très bon » et effectivement, Fally Ipupa.
[Silence, puis éclat de rire] Je n'étais pas au courant du tout, je vais faire un titre où je vais reprendre ça [Rires] C'est lourd ça ! Excellent. Je retiens ça, je connaissais pas.

Quelque chose à ajouter sur l'album ?
L'album est sorti, achetez, téléchargez, piratez pas s'il vous plaît. Je vous demande pas de jeter d'autres albums mais le meilleur c'est Tokooos quoi. C'est un album riche, beaucoup de couleurs, et surtout ça chante très très bien. C'est mon meilleur album.

Tu es en France depuis longtemps maintenant. Qu'est-ce qui te plaît et te déplaît le plus ici ?
Quand je dis que ça fait 17 ans c'est en partant de la 1ère fois que je suis arrivé en France, genre « ouah, putain, la Tour Eiffel », etc. Mais sinon je suis tout le temps en promo ailleurs. Ce qui me plaît le plus c'est les infrastructures déjà : le pays est construit quoi ! Y'a la démocratie, tu peux aller au cinéma, faire ce que tu veux. Par contre là où j'habite des fois c'est un peu relou, on me regarde bizarrement. Genre « mais qu'est-ce qu'il fait là, lui ? Il a sûrement dû voler cette voiture » Ça c'est le côté qui me manque pas quand je quitte la France [Rires]. Une fois, j'étais au volant, un mec est passé juste à côté, il a juste dit « pfff, noir, con et grosse voiture » avant de filer. J'ai rigolé. Encore un article ou deux et Yérim Sar pourra s'acheter une grosse voiture. Il est sur Twitter.