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La triste histoire des femmes incarcérées dans des asiles sous Mussolini

Entre 1922 et 1943, l’Italie fasciste a emprisonné des milliers de « dégénérées » dans des institutions psychiatriques.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur VICE Italie.

Sous la dictature de Mussolini en Italie – de 1922 à 1943 – des milliers de gens furent internés dans des asiles pour ne pas avoir voulu se conformer aux mœurs imposées par le régime. Annacarla Valeriano et Costantino Di Sante, chercheurs à l'université de Teramo, ont passé des années à étudier des récits et journaux intimes évoquant l'emprisonnement inhumain de milliers de personnes – en particulier des femmes –, considérées comme des malades mentaux car « moralement anormaux » pour s'intégrer à la société.

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Leur étude a donné lieu à une exposition – mêlant photos, registres médicaux et lettres personnelles – qui s'est tenue un peu partout en Italie. J'ai discuté avec Annacarla Valeriano au sujet de son travail et du traitement qu'a fait subir le régime aux femmes qui ne voulaient pas écouter.

VICE : Comment ce projet est-il né ?
Annacarla Valeriano : En 2010, nous avons commencé à fouiller dans les archives de l'asile Sant'Antonio Abate à Teramo, qui a été fondé en 1881 et fermé en 1998. Dans le cadre d'une étude, j'ai analysé les registres médicaux de 7 000 des 22 000 hommes et femmes à avoir été incarcérés là-bas entre 1881 et 1945. Une partie de cette recherche figure dans mon livre, The History of Teramo's Asylums. Après que le livre a été publié, j'ai décidé d'y retourner et de me concentrer sur les femmes qui y ont été hospitalisées pendant les 20 ans de règne fasciste, de 1922 à 1943.

Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous intéresse tant à leur sujet ?
À l'époque fasciste, des photos d'identité ont commencé à apparaître sur les registres médicaux des femmes. Et au cours de ces années, de plus en plus de femmes ont été admises à l'asile pour « déviance ». J'ai trouvé ce concept de « déviance féminine » fascinant, donc j'ai décidé de m'y intéresser de plus près.

Pourquoi les photos d'identité avaient-elles de l'importance ?
Selon la théorie positiviste, qui était populaire à l'époque, il était possible de déterminer si quelqu'un était un criminel ou un malade mental simplement d'après la dimension de son crâne, la forme de ses pommettes ou la position de ses yeux. Les photos avaient également une fonction utilitaire – les patients pouvaient être facilement reconnus s'ils tentaient de s'échapper.

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Quel diagnostic recevaient ces femmes, exactement ?
Celui de la « déviance », mais l'État a créé bon nombre de catégories de la déviance. Dans un discours célèbre daté de 1925, Mussolini a déclaré que l'unique rôle qu'une bonne épouse doit jouer est celui d'une bonne mère. La plupart des femmes hospitalisées étaient accusées d'être des « mères dégénérées » – elles ne correspondaient pas à l'image que l'État se faisait d'une bonne mère.

Cela touchait-il les femmes d'une classe en particulier ?
La plupart venaient de la classe ouvrière et vivaient dans une extrême pauvreté. Elles travaillaient dans les champs et avaient dix, douze, quatorze enfants. Quand elles étaient submergées par leurs responsabilités – la famine et la pauvreté n'arrangeaient rien – et qu'elles ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leur famille d'une manière jugée acceptable par l'État, elles se faisaient cataloguer de « mères dégénérées ». La même chose était dite des femmes souffrant de dépression post-partum et de celles qui refusaient d'avoir d'autres d'enfants. Elles ne collaient pas à l'image de la parfaite femme au foyer de Mussolini.

Qu'en est-il de la déviance sexuelle ? Le gouvernement fasciste a ouvert des bordels contrôlés par l'État, donc la prostitution n'était pas un problème, mais y a-t-il eu des femmes internées pour des raisons sexuelles ?
Oui, nous avons trouvé les registres de quelques prostituées, mais leur profession n'était pas le problème. La plupart du temps, elles étaient enfermées à l'asile parce qu'elles avaient contracté une MST. Mais pour le régime, le pire était les femmes qui refusaient de se soumettre pleinement à la volonté de leur partenaire. Elles étaient considérées comme des rebelles et avaient besoin d'être assujetties.

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Est-ce qu'il y a des histoires de femmes qui vous ont particulièrement touchée ?
J'ai été émue par tant d'histoires que je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir proche d'elles. Ce qui m'a le plus frappée, ce sont les lettres qu'elles ont écrites, dans lesquelles elles décrivaient leurs expériences avec leurs propres mots. Ces lettres étaient souvent adressées à leur famille, mais elles n'ont jamais été envoyées. Au lieu de quoi elles étaient simplement jointes à leur registre médical. Dans la plupart des lettres, elles suppliaient leur famille de venir les chercher, ou le personnel de la clinique de les relâcher. Certaines décrivaient leur quotidien, marqué par l'abus, le contrôle, les conditions de vie inhumaines et la famine.

Des lettres écrites par les patientes

Elles étaient internées, d'accord, mais suivaient-elles un traitement ?
L'emprisonnement en lui-même était censé être une forme de traitement. Avant que des traitements médicaux pour soigner les problèmes de santé mentale ne soient introduits au milieu du XXe siècle, l'isolement et la détention étaient jugés suffisants. À l'époque, on pensait que les troubles comportementaux et les problèmes de santé mentale étaient la même chose. Un homme incapable de travailler ou une femme incapable d'obéir étaient considérés comme « immoraux ».

Quelles autres formes de traitement y avait-il là-bas, à part la détention ?
Au début du XXe siècle, les problèmes de santé mentale étaient pris pour un déséquilibre organique. Ils étaient traités à l'aide de douches chaudes ou froides et de la soi-disant « cure de repos » – qui impliquait que les patients soient attachés à leur lit pendant de longues périodes. Sous le fascisme, les médecins avaient recours aux cures de Sakel, aux électrochocs et à la malariathérapie – qui consistait à inoculer la malaria aux patients pour que leur température corporelle atteigne un niveau de chaleur extrême et qu'elle « réveille » le patient catatonique. Ces expérimentations étaient incroyablement dangereuses.

Les gens finissaient-ils par sortir de ces asiles ?
Bien sûr, j'ai trouvé beaucoup de cas de personnes internées, relâchées, puis internées de nouveau, et ainsi de suite. Cela touchait surtout les femmes qui n'avaient pas de famille. En général, quand des gens mourraient dans les asiles, ou qu'ils passaient 50 ou 60 ans enfermés dedans, c'est que leurs proches ne voulaient pas s'occuper d'eux. C'était une honte d'avoir un proche ayant séjourné dans un établissement de santé mentale.

Le traitement des problèmes de santé mentale s'est amélioré, mais qu'est-ce qui n'a pas changé depuis cette époque ?
Nous devons encore briser la stigmatisation qui accompagne les problèmes de santé mentale. Après un meurtre, par exemple, la première chose qu'on nous dit est que le meurtrier était un « psychopathe » ou qu'il était instable mentalement, comme si c'était une explication à tout. De plus, il y a toujours de la violence et des abus dans certains établissements. Ce sont peut-être des incidents isolés, mais nous devons tout faire pour les prévenir.

Merci, Annacarla.