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Crime

Une journée de vote au Burundi

Le pays a voté ce lundi pour les élections législatives et municipales. VICE News était sur place pour rencontrer les Burundais qui se rendaient dans leurs bureaux de vote.
Photo by Pádraic MacOireachtaigh

MAJ, mercredi 1er juillet à 18h00 : Ce mercredi, jour de fête nationale, des affrontements sanglants ont eu lieu dans le quartier contestataire de la capitale, Citiboke, 5 assaillants ont péri après s'être opposés à la police, selon Jeune Afrique. La tension était déjà remontée d'un cran, ce mercredi matin, deux jours après des élections communales et législatives, quand trois grenades ont été lancées contre une patrouille de police. Des sources sécuritaires ont fait état d'un mort dans les rangs de la police auprès de RFI.

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VICE News était présent ce lundi dans les rues de Bujumbura, capitale du pays pour suivre une journée d'élection encadrée par un important dispositif de sécurité. Entre la peur d'aller voter de certains et l'amertume des autres en pleine crise politique, nombre de Burundais craignent toujours le pire.

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Un groupe de jeunes hommes s'est regroupé autour d'une petite télévision dans un bar de quartier de Bujumbura, alors que le reste de la population du Burundi était appelé à se rendre aux urnes ce lundi.

Les élections municipales et législatives sont la première étape de la saison électorale au Burundi. Le contexte est tendu dans ce pays d'Afrique de l'ouest. L'opposition boycotte les élections, les excès de violence sont quasi-quotidiens, tout comme les manifestations contre le projet du président en place, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat consécutif.

Des attaques à la grenade ont secoué Bujumbura pendant des semaines après un coup d'État raté en mai. Les coups de feu qui sifflent dans la nuit sont aussi devenus une habitude à prendre. Sans surprise, l'atmosphère dans la capitale burundaise était tendue ce lundi.

Alors qu'une radio crachait les dernières nouvelles des élections en fond sonore, la Coupe du monde de football féminin retenait totalement l'attention des hommes du bar.

« On préfère regarder le football, » explique le barman à VICE News. « C'est plus intéressant pour nous, que de suivre ces élections. » Un autre spectateur s'est ensuite immiscé dans la conversation, « Au moins là, on sera peut-être surpris par le résultat. »

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Un manifestant à Bujumbura, le visage couvert de suie, porte des fleurs sur la tête pour célébrer une tentative de coup d'État qui a échoué au bout de 2 jours. Photo de Pádraic MacOireachtaigh.

Cette opinion est partagée par pas mal de monde ici. Les résultats des élections de lundi sont, pour beaucoup, courus d'avance. En effet, des résultats partiels non-officiels suggèrent une large victoire pour le parti au pouvoir, celui de Nkurunziza, le CNDD-FDD.

Nkurunziza est arrivé au pouvoir en 2005 après une guerre civile qui a fait plus de 300 000 victimes. Le 25 avril dernier, il a annoncé avoir été nominé par son parti pour briguer un troisième mandat en tant que président — après des mois de débats sur la légalité constitutionnelle de sa candidature.

Les accords d'Arusha (signés en 2000), qui ont permis de mettre un terme à la guerre civile burundaise et sur lesquels la Constitution burundaise est fondée, sont clairs sur la limite de deux mandats présidentiels. Mais, les partisans de Nkurunziza estiment que son premier mandat ne devrait pas compter puisqu'il avait été nommé par le Parlement, et non au suffrage universel. La Cour Constitutionnelle a tranché en faveur de l'éligibilité de Nkurunziza, mais des critiques ont fleuri après la fuite du vice-président de la Cour, qui aurait subi des pressions.

« Ne confondez pas notre désintérêt avec de l'apathie. Ces élections sont une arnaque. »

Les partis d'opposition burundais avaient annoncé vendredi dernier qu'ils boycotteraient les élections pour protester contre la candidature de Nkurunziza, mais aussi parce qu'ils ont des doutes sur le processus électoral.

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« Ne confondez pas notre désintérêt avec de l'apathie, » expliquait un jeune blogueur à VICE News ce lundi. « En tant que Burundais, nous sommes énervés de voir comment les choses évoluent. Ces élections sont une arnaque. »

Le porte-parole du Département d'État américain, Mark Toner, s'est dit déçu que les élections ont été maintenues « malgré des conditions dramatiques qui ne les rendront pas crédibles. » Il a aussi appelé Nkurunziza à « placer le bien-être de son pays et de son peuple avant son souhait de briguer un troisième mandat. »

Les Nations Unies étaient le seul observateur international présent ce lundi — après le retrait du soutien de l'Union européenne et la décision de l'Union africaine de ne pas contrôler les scrutins.

« Le fait de ne pas être là signifie qu'ils font le jeu de l'opposition radicale qui a boycotté le processus, » expliquait à Reuters, Gervais Abayeho, porte-parole de la présidence.

Ces élections, qui avaient déjà été repoussées de quelques semaines, continuent d'être accompagnées d'un flot de controverses, manifestations, et de possibles violences — des attaques ont été observées devant les bureaux de vote avant leurs ouvertures ce lundi. Si le principal point d'achoppement est la constitutionnalité d'un hypothétique troisième mandat de Nkurunziza, d'autres points noirs existent comme les pressions sur les médias indépendants et les partisans de l'opposition.

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Certains votants ont été fouillés par la police à leur entrée dans les bureaux de vote ce lundi, alors que des véhicules lourdement armés faisaient des rondes dans Bujumbura. La plupart des magasins sont restés fermés et la ville était calme.

Les rues de Bujumbura étaient vides pour la plupart pendant la journée de lundi. De nombreuses zones de la ville ont vu peu de gens se présenter dans leurs bureaux de vote. Photo par Pádraic MacOireachtaigh.

Assis sur un cageot au bord de la route, un vendeur de rue du centre-ville résumait bien l'ambiance, » Tout est fermé aujourd'hui parce que les gens ont peur. Et ils ont des raisons de l'être. »

Un vieil homme qui vend des fournitures pour la maison,, nous avait avertis sur nos envies de visiter le marché ce lundi matin. « Visiter des endroits fréquentés pourrait être une mauvaise idée. »

Ouvrir son kiosque était en soi un risque, vu l'incertitude qui régnait en ville ce lundi. « Mais j'ai quoi comme choix ? Je dois bien gagner ma croûte, » nous expliquait le vieux monsieur. « À la fin de journée, j'ai besoin de manger. Même aujourd'hui. »

« On ne sait pas de quoi demain sera fait. »

Demandant à ne pas être photographiés, des votants ont confié à VICE News leur peur des conséquences d'exercer leur droit démocratique. Dans nombre de bureaux de vote, les gens essayaient désespérément d'enlever l'encre — dont on se sert pour voter au Burundi — de leurs doigts avant de partir. Des gens de tout bord politique ont fait état de menaces pour qu'ils ne s'approchent pas des bureaux de vote.

Au petit matin ce lundi, une grenade a explosé à quelques centaines de mètres d'un bureau de vote du quartier de Musaga à Bujumbura. L'attaque n'aurait fait aucun blessé. Dans la soirée de lundi, des échanges de coups de feu isolés se sont fait entendre, mais aucun combat d'importance n'a été reporté.

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Malgré une journée d'élection relativement calme, les Burundais continuent de craindre le pire.

Pacifique Nininahazwe, un activiste burundais qui a organisé et coordonné nombre de manifestations, a averti ce lundi soir, « Le Burundi risque la catastrophe humanitaire. Pour [Nkurunziza], toute opposition à son troisième mandat est une insurrection. »

Assise sur son canapé décoloré, une expatriée grecque — installée de longue date au Burundi — se souvient de l'incertitude quotidienne qui allait de pair avec la guerre civile burundaise.

« Assurez-vous d'avoir assez de nourriture pour vos enfants, » avertit-elle. « Au cours de ces périodes intéressantes, c'est important d'être préparé. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. »

Si les plus grandes manifestations ont eu lieu dans la capitale, des attaques isolées à l'extérieur de Bujumbura ont aussi contribué à l'exil de nombre de Burundais. Près de 127 000 personnes se sont inscrites comme « réfugiés » dans les pays frontaliers depuis le début des manifestations fin avril. Le nombre total de Burundais ayant quitté le pays ces dernières semaines serait bien plus grand.

Sur les 10 millions d'habitants, 3,8 sont inscrits pour aller voter. Les élections présidentielles sont pour le moment toujours maintenues au 15 juillet.

Pierre Claver Ndayicariye, le président de la commission électorale burundaise, estime que 70 pour cent de l'électorat avait voté en début d'après-midi lundi, mais a confié que la participation était moindre dans Bujumbura. « Dans la capitale, la participation a été moins forte, notamment dans les quartiers de Nyakabiga, Musaga, Cibitoke et même Ngagara, » a-t-il expliqué.

Ces zones ont été le théâtre des affrontements les plus violents de ces dernières semaines. Au moins trois personnes sont mortes au cours de combats durant le week-end précédant les élections, dont une fillette de 4 ans touchée par une balle perdue dans le quartier de Kamenge, lors d'un raid de la police.

Le porte-parole de la Commission électorale, Prosper Ntahorwamiye, a déclaré qu'en fin de journée près de 100 pour cent des gens avaient voté dans les zones rurales. D'autres ont mis en cause la neutralité de la Commission, après le départ de son vice-président en dehors du pays en mai.

Se reposant sur sa large base rurale, le CNDD-FDD pourrait étendre son contrôle sur les institutions de l'État et retenter d'imposer un amendement à la Constituon pour retirer la limite des deux mandats présidentiels.

Suivez Pádraic MacOireachtaigh sur Twitter : @kudupadraic