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Music

Comment le 11 septembre a influencé l’industrie musicale ?

C'est la question à laquelle tente de répondre Jean-Marie Pottier dans son livre « Ground Zero ». Nous sommes allés en discuter avec lui.

«

Telle sera notre réponse à la violence : jouer de la musique avec encore plus d'intensité, plus de beauté et plus de dévouement qu'auparavant.

» Cette phrase du compositeur américain Leonard Bernstein, prononcée juste après l'assassinat de J.F Kennedy en 1963, est posée en préambule de

Ground Zero, une histoire musicale du 11 Septembre

, le dernier livre de Jean-Marie Pottier aux éditions Le Mot et le Reste. Pour l'actuel rédacteur en chef de Slate.fr, l'idée est claire : il s'agit de comprendre comment le 11 septembre 2001 a pu influencer l'industrie musicale, de mesurer l'impact de la musique lorsque surgit un drame national, d'analyser en quoi ces attentats ont pu inspirer les musiciens et inciter les auditeurs à écouter différemment des morceaux parfois vieux de plusieurs décennies.

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Presque un an après les fusillades de novembre 2015, et quelques semaines après les attentats de Nice, Jean-Marie Pottier en est d'ailleurs convaincu : suite à des évènements aussi dramatiques, que l'on soit mélomane ou non, fan de Radiohead ou de Steve Reich, on attends forcément des musiciens qu'ils

« nous

incitent au partage, à l'unité et à la fête »

.

Noisey : L'idée du bouquin est née suite à un de tes articles publiés sur Slate en 2010. Pourquoi ? Parce que tu pensais qu'il y avait matière à creuser davantage ou parce que le 11 septembre 2001 est, selon toi, l'événement le plus marquant du 21ème siècle ?

Jean-Marie Pottier :

Si tu veux, il y a trois explications. La première, c'est effectivement ce papier publié en 2010 qui était une façon pour moi de mêler la pop culture à l'histoire, mais aussi de rebondir sur le bouquin de Chuck Klosterman où il dit que

Kid A

de Radiohead est la bande-son du 11 septembre. La seconde, ce sont les recherches effectuées dans le cadre de mon précédent bouquin (

Indie-Pop

) autour de « Enjoy The Silence » de Depeche Mode. À force de fouiller sur le net, je suis tombé sur une vidéo de ce morceau tournée dans le cadre de l'émission

Champs-Elysées

de Michel Drucker au sommet du World Trade Center, et je me suis dis qu'il y avait indéniablement quelque chose à creuser, qu'il devait certainement avoir de nombreuses références à ce monument dans la musique, contemporaine ou autre. La troisième explication, enfin, c'est tout simplement le fait que l'on « fête » le quinzième anniversaire de cet attentat en 2016, et que je considère que c'est un nombre d'années assez conséquent pour prendre du recul et l'analyser en profondeur.

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À propos des disques publiés le 11 septembre, tu dis qu'ils sont comme des « vestiges instantanés ». Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Cette expression, je l'ai utilisée parce que j'avais en tête ces animaux qui, après une éruption volcanique, se fondent dans la lave. Pour les albums publiés le 11 septembre, c'est pareil. Ils arrivent comme ça, l'air de rien, mais on ne peut plus les séparer de l'événement. Ils en font partie. Selon moi, c'est très compliqué de chroniquer l'album de Bob Dylan sorti ce jour-là (

Love and Theft

) sans prendre en compte l'impact des attentats. Il arrive dans un contexte très fort et Dylan y fait d'ailleurs référence quand sa tournée suivante passe par New York. Comme Jay-Z avec

The Blueprint

qui, lui, se sert de l'évènement pour s'affirmer plus fort que Ben Laden.

Tu parles de la pochette de Breakfast In America de Supertramp en disant que « le verre de jus d'orange que l'actrice Kate Murtagh brandit à la place de la torche de « Lady Liberty », pile dans l'axe des fausses Twin Towers, ressemble aux boules de feu qui ont traversé les tours ». Franchement, c'est de la surinterprétation là, non ?

Oui, bien sûr ! Lorsque j'évoque Supertramp, je dis d'ailleurs que ceux qui analysent ainsi la pochette sont un peu les numérologues du 11 septembre. Plusieurs théories prétendent également que, si on inverse la pochette, le U et le P de Supertramp semblent dessiner les chiffres « 9/11 »… Il faut bien comprendre que si on cherche, on arrivera toujours à trouver des signes prémonitoires ou autre. Ce qui est assez fou finalement dans cette histoire, c'est que Supertramp a une image auprès du grand public qui ne colle pas du tout avec ce qu'il s'est passé ce jour-là, contrairement à un mec comme Leonard Cohen dont le « First We Take Manhattan », qui a aussi été vu comme prophétique, résonne fortement avec l'événement.

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Puisqu'on parle de pochette, celle de Party Music de The Coup me paraît, pour le coup, nettement plus explicite.

The Coup n'est pas le seul à s'être joué d'une telle imagerie, Steve Reich a lui aussi tenté de se réapproprier l'événement en projetant d'utiliser (avant d'y renoncer) une photo où l'on voit le deuxième avion foncer sur la tour Sud pour l'album

WTC 9/11

. Cela dit, ce qui est marrant dans le cas de The Coup, c'est qu'il y a eu une forte polémique par rapport à cette couverture où l'on voit les tours jumelles exploser. Même les

Inrocks

, une semaine après la sortie de l'album, avaient interviewé Boots Riley pour en savoir plus sur le pourquoi de cette pochette. Et l'histoire est toute simple : si cette photo existe, c'est parce que le World Trade Center avait été attaqué huit ans plus tôt. L'image de ces deux tours en flammes existait déjà avant le 11 septembre. Aussi, il faut préciser que c'était une façon pour le groupe de s'attaquer à l'Amérique blanche et capitaliste, symbolisée par ces bâtiments.

Finalement, ça rejoint ce que dit KRS-One, quand il prétend qu'il ne se sent pas affecté par les attentats. Une réflexion que l'on retrouve d'ailleurs chez pas mal de rappeurs.

C'est assez logique, en fin de compte, que ce soient les rappeurs qui réagissent de façon critique, et parfois violente, aux évènements. Le hip-hop, c'est par essence la musique des dominés. Il est donc peu surprenant que les MC's s'attaquent au World Trade Center, principal symbole de la finance américaine, et au Pentagone, emblème de l'Amérique majoritaire, et donc blanche. Contrairement au rock, le hip-hop a donc pris beaucoup de distance avec les évènements, a beaucoup moins versé dans les hommages. Ça tient sans doute également au fait que les rappeurs, j'ai l'impression, croient encore à la portée des chansons engagées, même si, il faut bien le préciser, aucun artiste n'a réussi à créer LA chanson du 11 septembre. Il n'y a pas eu un « Imagine » ou une seule chanson à la portée universelle. Ou alors, s'il y en a eu une, ça a complétement foiré.

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C'est marrant que tu parles des rockeurs parce que ces derniers, contrairement aux rappeurs, semblent avoir clairement accepté la censure. Comme Primal Scream qui, en 2001, commence à jouer « Bomb The Pentagon » en concert, avant de renommer le titre « Rise » sur l'album Evil Heat.

Pour le coup, c'est assez logique quand on sait que le groupe, dans cette chanson, dit :

« Bombardez le Pentagone ! Bombardez, bombardez, bombardez le Pentagone ! »

. Ils ont voulu évité d'être trop directs et ça peut se comprendre quand on sait que 184 personnes ont perdu la vie dans le vol American 77. En revanche, je pense surtout que les rockeurs n'ont pas trop su comment formuler tout ça. Dans les années 1970, il y avait beaucoup de brûlots anti-Vietnam, mais c'était sans doute plus simple à expliquer et à mettre en chanson. Là, le déroulement des attentats est inédit, l'organisation qui est derrière très complexe, ses financements aussi… C'est pour ça que le cas de Radiohead est intéressant. Car, si le groupe se veut très critique, il a l'intelligence de masquer ses accusations sous des tonnes de références et d'expérimentations musicales.

À propos de la censure, il y a aussi cette fameuse liste que tu évoques. La liste Clear Channel, qui a interdit la diffusion de plus de 150 morceaux…

Je pense que l'impact de cette liste a été quasiment nul, mais qu'elle est devenue un symbole de notre entrée dans une ère de censure et de paranoïa vis-à-vis des attentats. D'ailleurs, cette liste est complétement absurde et ridicule. Que l'on s'empêche de diffuser « Another One Bites The Dust » de Queen, je peux le comprendre. Mais pourquoi interdire « A Day In The Life » des Beatles ? C'est limite une blague. Mais tout sauf anodine, même s'il est prouvé qu'elle n'a sans doute pas eu d'impact sur les diffusions radio ou les ventes de disques. Cela dit, l'impact de la liste Clear Channel a été assez faible, bien moins en tout cas que les directives de la société S.F.X., spécialisée dans l'organisation de concerts, que Radiohead a qualifié

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de « virus qui va juste continuer à se diffuser à jamais »

et qui est allée jusqu'à licencier le journaliste Davey D de la radio hip-hop KMEL pour avoir invité à l'antenne Barbara Lee, la seule élue du Congrès à s'être opposée à l'intervention militaire en Afghanistan. Bref, tout ça n'est évidemment pas anodin. Que ce soit directement lié ou non, on voit d'ailleurs que les ventes de disques ont tendance à chuter dans les semaines qui suivent le 11 septembre.

À New York, les ventes de disques ont baissé de 16 % dans la semaine qui a suivi les attentats. Comment tu l'expliques, sachant que la majorité des musiciens disent que la musique est essentielle dans ces moments-là ?

Je ne sais pas combien de disques se sont vendus le 11 septembre 2001, mais je pense que ces chutes s'expliquent par une incapacité matérielle à aller acheter un disque. À New-York, ce jour-là, les rues étaient désertes, tout le monde était chez soi. Et une journée pareille suffit à faire baisser les ventes de quelques pourcents. Mais ce qui est intéressant, c'est aussi d'entendre ces gens qui, à l'inverse, se sentaient tellement mal ce jour-là qu'ils ont quand même souhaité acheter le nouveau Dylan ou le nouveau Jay-Z. Pour les deux artistes, le 11 septembre n'a d'ailleurs eu aucune conséquence. Contrairement au dernier Mariah Carey qui a fait un flop, Dylan connaît ses meilleures ventes depuis plus de vingt ans, et Jay-Z écoule plus de 400 000 exemplaires de

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The Blueprint

la première semaine. Preuve que les attentats n'ont aucun impact sur eux.

Il y a toutefois quelques musiciens qui pensent qu'ils sont impuissants dans ce genre d'évènements, comme la guitariste jazz Joyce Cooling qui dit que « voir des sauveteurs accomplir leur travail si essentiel me faisait l'effet d'avoir un rôle superficiel dans le monde. »

Là, c'est une histoire intéressante parce qu'elle devait rentrer par le vol United 93 qui s'est écrasé en Pennsylvanie ce jour-là, mais a choisi de revenir un jour plus tôt. Sous le choc, je pense qu'elle ne pouvait que se sentir démunie face à un tel scénario… Mais il y a aussi des contre-exemples, comme Bruce Springsteen, que les gens viennent voir pour qu'il écrive des chansons autour de l'événement. Un peu comme s'ils souhaitaient trouver un peu de réconfort dans sa musique. Une sorte de « thérapie musicale », comme je dis dans le bouquin.

À l'inverse, penses-tu que la parano autour des attentats a provoqué le rejet de certaines chansons chez les auditeurs ? Je pense notamment à « New York City Cops » des Strokes.

Pour moi, ce titre, c'est typiquement l'exemple d'une maison de disques qui réagi de manière exagérée à l'événement. À force de tout calculer, de chercher la moindre référence dans les textes, de lisser l'image de leur groupe, d'autant plus qu'ils savaient que les Strokes avaient le potentiel pour devenir énormes, elle a fini par céder à la censure. Mais ça n'a pas changé grand-chose. Le single était toujours disponible en Europe et le groupe a commencé à rejouer ce titre sur scène dès la fin du mois de septembre.

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Quand des rappeurs comme Ab-Soul ou Jadakiss remettent en cause l'origine des attentats et prétendent que ceux-ci seraient l'œuvre du gouvernement américain, ce sont des propos avec lesquels tu es d'accord ?

Je ne prétends pas être un expert du volet

« policier »

du 11 septembre, mais je ne crois pas aux théories conspirationnistes. Il y a eu aussi beaucoup de rappeurs de manière directe les attentats à la politique étrangere des États-Unis, mais on sait tous que c'est très compliqué à expliquer et qu'on ne peut pas se limiter à une lecture simpliste de l'événement. Un peu comme lorsque les Français disent que c'est parce que l'on bombarde en Syrie que les djihadistes s'attaquent à nous aujourd'hui. Non, il y a des actes d'attentats qui datent de bien avant l'arrivée des forces françaises en Syrie. En revanche, je suis sensible au discours de rejet de tous ces rappeurs. Quand ils disent qu'ils sont rejetés au quotidien et que, soudainement, on leur demande d'être au garde-à-vous pour pleurer l'Amérique, ça les fait bien rire. « Makeshift Patriot », le morceau de Sage Francis, enregistré et diffusé gratuitement sur Internet en octobre 2001, est très fort dans ce sens puisqu'il dénonce un « patriotisme préfabriqué ».

Au cinéma, on voit que la censure est également de mise depuis les attentats en France, notamment avec Nocturama de Bonello. Tu penses que ton livre peut aider à mieux décrypter notre époque ?

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Je pense qu'il peut aider, mais que le 11 septembre avait pour particularité de frapper le pays de la pop culture. Le pouvoir des États-Unis, ce n'est pas du tout celui de la France, donc ça crée un décalage évident. Cela dit, on observe les mêmes phénomènes entre le 11 septembre et les meurtres du Bataclan. Murat, par exemple, on a l'impression qu'il a écrit « Interroge la jument » en réaction aux attentats du 13 novembre, alors que ses textes ont été écrits bien avant. Il y a aussi la façon dont les gens se servent de la musique pour se réunir à nouveau. Les concerts de l'après 2001 étaient une façon pour les gens de manifester leur désir d'être ensemble et de sortir. Et ça été pareil dans les jours qui ont suivi le 13 novembre 2015, ce qui est d'autant plus fort parce que ces attentats avaient directement touché le milieu de la musique.

Tu penses que l'on attend quelque chose de particulier de la part des musiciens suite à de tels évènements ?

Ce n'est pas forcément sous forme de chanson, mais l'on attend d'eux qu'ils nous incitent au partage, à l'unité et à la fête.

Tu disais que le 11 septembre n'avait pas donné naissance à de grandes chansons. On est dans le même cas avec le 13 novembre, non ?

C'est indéniable, en effet, mais je pense que ce serait une erreur d'en attendre une. D'un point de vue personnel, je dois avouer être nettement plus touché par des œuvres qui évoquent l'événement de manière métaphorique que de façon frontale. Je pense notamment à la chanson de Bowie, « New Killer Star », quand il décrit le paysage autour de lui en une seule phrase au début de sa chanson. C'est comme au cinéma : les grands films politiques ne traitent pas toujours directement leur sujet, ils ont parfois une approche plus poétique ou nuancée. C'est d'ailleurs pour ça que Radiohead est si passionnant. D'abord, parce que Thom Yorke, lors d'un concert à Berlin le 11 septembre 2001, juste avant d'entamer « Street Spirit (Fade Out) » remercie le public d'être venu et dit jouer ce titre

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« dans l'espoir que George Bush ne déclare pas la troisième guerre mondiale »

. Mais aussi parce qu'un journaliste comme Chuck Klosterman a fait de « Everything In Its Right Place » une métaphore de la ville de New York à 8 heures du matin le 11 septembre, à cet instant où

« tout est à sa place »

.

Il y a quelque chose que tu n'abordes pas dans le livre, c'est l'influence du 11 septembre au sein de la scène française. Tout genres confondus, il y a pourtant de nombreux exemples, comme « Manhattan-Kaboul » de Renaud, God Blesse de Saez ou 11 Septembre de Médine.

Il y avait forcément une question de place, mais il y avait surtout une volonté de rester concentré sur le territoire américain. Hormis Radiohead, qui est de toute façon reconnu internationalement, je ne parle pas tant que ça des Anglais non plus. Mais c'est vrai que l'événement a eu une forte résonance en France, et notamment dans le hip-hop encore une fois. Je pense qu'il y aurait également quelque chose à creuser dans les musiques arabes : dans la façon dont elles ont commencé à s'imposer en Occident, dans la façon dont elles se sont imprégnées de l'événement, etc.

Ground Zero - Une histoire musicale du 11 septembre

est disponible depuis le 18 août aux éditions Le Mot Et Le Reste.