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N'importe quoi

J’ai agi en trou de cul pendant une semaine et ça m’a fait beaucoup de bien

Est-ce qu'une personne comme moi — qui dit bonjour à Siri avec le sourire avant de lui demander quoi que ce soit — pourrait se comporter en trou de cul toute une semaine durant?
L'article original a été publié sur VICE Allemagne.

Je suis un très, très bon gars. Je suis fait comme ça. Avez-vous déjà offert votre place dans la file à l'épicerie à une personne qui semblait avoir eu une dure journée et avoir besoin de vite rentrer à la maison pour passer un moment de qualité avec un pot de crème glacée Häagen-Dazs? Moi, oui. Chaque fois que renifle, je prends le temps de dire à tout le monde autour que je suis désolé — parce que je suis vraiment désolé. J'ai même déjà présenté mes excuses par réflexe à un lampadaire dans lequel je venais de foncer. Dernièrement, un ami m'a dit que je pouvais être un trou de cul si je voulais, et que les gens m'aimeraient pareil. Il avait raison, d'une certaine façon. Quelques-uns de mes bons amis se comportent d'ailleurs parfois en vrais trous de cul. Je ne vois pas comment je pourrais être pire qu'eux, même en essayant très fort. Magdalena, une amie, aime à dire que mon travail est un « passe-temps ». Quand je lui ai annoncé que j'avais vendu un manuscrit à un éditeur, elle m'a répondu : « Wow, de nos jours, tout est possible! »

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Mot pour mot, c'est ce qu'elle m'a dit. Elle est désagréable. Mais je l'aime pareil.

Qu'est-ce que c'est, au juste, un trou de cul? J'ai fait un petit sondage sur Twitter pour obtenir une définition participative. Les réponses variaient : rester immobile du côté gauche d'un escalier roulant, être raciste ou sexiste, manger un sandwich à l'odeur forte dans le métro. Tous les exemples avaient un point en commun : l'espace public. Voilà. Un trou de cul fait ce qu'il veut et se fiche des autres.

Est-ce qu'une personne comme moi — qui dit bonjour à Siri avec le sourire avant de lui demander quoi que ce soit — pourrait se comporter en trou de cul toute une semaine durant? Quelles seraient les conséquences dans ma vie de tous les jours? Comment réagiraient mes amis? Est-ce que je commencerais à y prendre goût? J'ai décidé de le découvrir.

JOUR 1

Comme je ne veux pas cesser d'être un bon gars d'un coup, j'ai commencé par être un trou de cul passif. J'évite simplement les gentillesses : je ne tiens pas la porte pour les autres, je ne dis pas bonjour au commis à l'épicerie, je ne donne pas de pourboire à la crèmerie du coin. Un comportement acceptable pour beaucoup. Mais je me sens minable de ne pas saluer les gens ou donner du pourboire, et j'espère que mon régime de terreur n'entraînera pas une réaction en chaîne.

Une amie me texte pour me dire qu'elle espère que je n'ai pas oublié d'arroser ses plantes pendant ses vacances. La vérité, c'est que j'ai oublié, ce dont je ne suis pas du tout fier. À ma défense, j'ai beaucoup joué à Pokémon Go ces derniers jours. Je lui ai répondu : « Ouais. Je les ai toutes arrosées. »

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J'avais accepté de rejoindre des amis plus tard pour regarder la télé, mais je n'y suis pas allé. Parce que c'est ce que font les trous de cul, mais aussi parce que j'avais peur qu'on me propose ensuite de jouer au Scrabble. Je déteste le Scrabble.

Après trois appels manqués et cinq messages texte de mes amis, j'ai répondu : « Je ne viens pas. » Ils n'étaient pas fâchés, mais m'ont dit que j'avais manqué un « magnifique mot compte triple ». Ce projet a de très bons côtés.

JOUR 2

Aujourd'hui, je suis passé aux choses sérieuses. J'ai cherché un serveur envers lequel ne pas être aimable sans raison, ce qui est pour moi une attitude impardonnable. Je suis certain que tous ceux qui travaillent avec le public ont l'habitude de faire face à des clients qui ne savent pas vivre — mais moi, je n'ai pas l'habitude d'en être un. Même quand le plat ou le service sont mauvais, je reste courtois et laisse un pourboire de 20 pour cent. Je refuse de leur pourrir davantage la vie.

Mais aujourd'hui, oui! J'évite les contacts visuels de mon entrée à ma sortie. Je ne dis pas « s'il vous plaît » ni « merci » et je roule des yeux chaque fois que le serveur vient me voir. C'est difficile. Pour m'aider, j'imagine que le serveur est lui-même un trou de cul – par exemple qu'il est responsable de l'insatisfaisante finale de la septième saison de Gilmore Girls.

Je ne savais pas à quoi m'attendre, et je n'aurais jamais pu prévoir sa réaction : quand je me suis levé pour partir, le serveur m'a souhaité une bonne journée, même si je n'avais pas laissé un sou en pourboire. Je me suis senti mal. Il n'y a aucune excuse pour s'être montré désagréable envers une personne aimable. Arrivé chez moi, j'ai résisté à la tentation de le retrouver sur Facebook et de lui envoyer un message comme : « Tu as illuminé ma journée! » Je suis plutôt allé jouer à Pokémon Go.

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JOUR 3

Je suis tombé sur Magdalena — la désagréable personne citée précédemment — en me rendant à l'épicerie. Elle est de celles vous disent : « On devrait sortir s'amuser un de ces quatre », oubliant complètement le fait qu'on ne s'amuse jamais beaucoup en leur compagnie. Je l'aime pareil, comme je le disais, mais elle a l'habitude de dire des choses blessantes, d'éclater de rire et de dire que ce n'était qu'une blague. Rien de bien amusant.

On s'est donné des nouvelles, puis elle a dit qu'on devrait aller prendre un verre ensemble bientôt — ce qui serait sans aucun doute une autre occasion pour elle de m'envoyer une volée d'insultes. Pas cette fois. « Non, pas envie », lui ai-je répondu. J'ai eu un peu peur de sa réaction. « Bien, j'imagine qu'on ne se verra pas alors », a-t-elle simplement répondu, un peu surprise. Le silence suffoquant qui a suivi m'a mis si mal à l'aise que je me suis senti obligé d'ajouter quelque chose. Ce qui est sorti, c'est : « Je dois aller acheter des patates. » Puis je suis entré dans l'épicerie sans rien dire de plus, comme le trou de cul que j'étais devenu. Officiellement.

JOUR 4

J'ai pris le train parce que j'avais été invité à une dégustation de bières dans une autre région. C'est bien connu, les trous de cul du monde se donnent rendez-vous dans le train. C'est donc la parfaite occasion de les regarder, d'apprendre et de me perfectionner.

Je suis tombé sur une occasion en or. Dans la même voiture que moi, il y avait une famille avec quatre enfants. Chaque fois que le train passait dans un tunnel, ils criaient et pleuraient comme si on tombait en enfer. Normalement, je n'aurais rien dit — ayant moi-même la réputation de ne pas être le plus brave dans le noir — mais pas cette semaine.

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Chaque fois qu'ils criaient, je disais des gros mots tout bas à propos des enfants. Comme je lisais un journal, je me mouillais le doigt chaque fois que je tournais une page en soupirant, pour l'effet. Ils m'ont ignoré.

Pour essayer de les rassurer, le père leur a dit : « Ça va, c'est terminé. » Je connais bien cet itinéraire et je savais que c'était faux. « Désolé de vous dire ça, mais non, il y a plein d'autres tunnels », les ai-je prévenus. Les enfants se sont remis à pleurer encore plus fort qu'auparavant. Ce n'était pas mon intention, mais c'est ce qui s'est passé. Le père n'a pas semblé particulièrement heureux de mon intervention. Ses yeux parlaient. Il me regardait comme si je venais de dire à ses enfants que le père Noël a violé un renne. Quand je suis entré dans le train, j'étais une personne à moitié décente; quand j'en suis sorti, je ne l'étais plus beaucoup.

JOUR 5

À la dégustation, tout le monde était si gentil qu'il n'était pas facile d'être désagréable. Mais j'ai essayé. Même si on m'a rappelé plusieurs fois que je n'ai pas besoin de boire tout le verre de chaque bière qu'on déguste, je n'en laisse pas une goutte. Ce qui me semble être l'une des pires choses qu'on puisse faire dans ces circonstances.

À la fin, on nous a proposé de rapporter des bouteilles de bière à la maison. Ce n'était pas bien avisé de me dire ça cette semaine. En bon trou de cul, j'ai fait le tour et pris autant de bouteilles qu'il est humainement possible d'en transporter. Blondes artisanales, brunes, IPA… J'ai rempli mon sac à dos. J'ai même songé à demander à un des préposés de m'aider à rapporter mon butin à ma chambre d'hôtel, mais je n'étais pas encore prêt à aller jusque-là.

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JOUR 6

À ce point, je sentais que je commençais à adopter ce je-m'en-foutisme. Dans le voyage de retour en train, j'avais envie de fromage bleu et de bière, alors c'est ce que j'ai commandé. S'en sont suivis des rots bruyants à l'odeur légèrement écœurante. Bien que les passagers ne réagissaient pas, on pouvait devinait bien dans leur regard le désir de me voir m'étouffer avec mon gorgonzola.

En soirée, je suis allé au party d'anniversaire d'un ami. Sans cadeau. Je n'ai même pas apporté d'alcool, même si mon frigo était rempli de bières. Je me trouvais cordial en parlant de tout et de rien avec les autres invités, mais c'était surtout parce que je buvais depuis 11 heures du matin. Plutôt que la musique house ininterrompue, j'ai eu envie de faire jouer les succès de Tina Turner. C'est antipathique, mais pas davantage que d'imposer ces pulsations assourdissantes pendant des heures. Vers une heure du matin, après avoir mis Simply the Best — la meilleure chanson pour renvoyer tout le monde à la maison —, je suis parti, complètement saoul. J'avais pris soin de prendre une bière dans le frigo avant de sortir sans saluer qui que ce soit. Mais tout ça ne faisait pas vraiment partie de mon projet trou de cul : je suis comme ça quand j'ai trop bu.

JOUR 7

Je me suis réveillé avec un terrible mal de tête, sans doute parce que j'avais bu pendant 14 heures d'affilée. Et parce que j'avais été un trou de cul pendant une semaine. Je sais, je sais, malgré mes efforts, je n'ai pas été une si mauvaise personne. Sauf erreur, je ne suis jamais resté immobile du côté gauche d'un escalier roulant. Je me suis peut-être offert un dîner nauséabond dans un train, mais je n'ai été ni sexiste ni raciste.

Malgré tout, je sens que j'ai besoin de faire un peu de bien autour de moi pour compenser. À commencer par aller déjeuner au restaurant où je n'ai pas été aimable avec le serveur. Cette fois, je serai d'une courtoisie exemplaire. Impossible d'ignorer que cette semaine a aussi eu des effets positifs : j'ai évité avec succès une partie de Scrabble, refusé un rendez-vous avec une personne toujours désagréable avec moi et rempli mon frigo de bières gratuitement. Il y a des avantages à se comporter en trou de cul. Mais ce n'est pas pour moi. J'aime donner des pourboires, m'excuser quand je renifle et offrir mon siège dans le bus à toute personne de plus de 35 ans. J'aime être un bon gars et je le resterai. Sauf peut-être quand je serai saoul.