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Tribune

Comment la fac de droit a bien failli me détruire

Étudiants hostiles et professeurs sadiques : un guide non-exhaustif de ce qui vous attend avant de devenir avocat en France.
Paul Douard
Paris, FR
Photo via Flickr

Beaucoup de gens estiment que les études supérieures constituent la meilleure période de leur vie. C'est normal, puisque c'est le cas – du moins pour tous les étudiants qui n'ont pas besoin de bosser au McDo le soir afin de payer leur chambre de bonne, et pour ceux qui ont eu l'intelligence de ne jamais s'inscrire en fac de droit. Mais si vous êtes comme moi, il y a de grandes chances que vous ayez opté pour ce choix au moment de remplir votre formulaire d'admissions post-bac. Possible aussi que, quelques mois plus tard, vous vous soyez retrouvé en train de pleurer en position fœtale au milieu de tonnes de documents juridiques que vous n'avez absolument pas envie de lire. Après avoir passé quatre ans dans une université de droit parisienne, il est grand temps de le dire : c'est une sacrée purge.

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La fac de droit est la discipline la plus prisée de l'université française, avec 38 400 nouveaux entrants en 2015. Il faut savoir que 70 % de ces gens n'obtiendront jamais leur première année. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c'est que beaucoup de ces étudiants n'ont rien à foutre ici. Ce sont des personnes comme moi, qui n'avaient pas de notes assez bonnes pour prétendre à une classe préparatoire, et qui étaient beaucoup trop feignantes ou non informées pour préparer un concours l'été. La fac de droit devient alors un choix par défaut pour tous les enfants de famille de classe moyenne supérieure, pour qui il est hors de question de s'inscrire en histoire de l'art. Ensuite, il y a ceux qui viennent pour le côté « prestigieux » de l'université de droit. Malheureusement pour eux, ils se rendent vite compte que tout ce qui a trait au prestigieux est nécessairement chiant à mourir. La fac de droit, c'est comme revenir dans le passé. Tout y est gris, lent et encerclé d'armoires à dossiers marron. En y entrant, beaucoup s'imaginent déjà en costard trois pièces à jouer les avocats millionnaires dans un bar à cocktails. On ne peut pas leur en vouloir. Notre génération regarde plus Suits que Les Cordiers, juge et flic. Donc quand ils doivent passer leur week-end à apprendre par cœur des décisions de justice sur la possibilité d'installer un panneau stop sur la RN20 entre Orléans et Étampes, ils craquent. Et c'est bien normal. Enfin, la troisième catégorie de personnes en échec dès la première année de droit est majoritairement composée de gros fumeurs de weed – bien qu'il soit difficile de savoir si leur amour des substances psychoactives illicites a été alimenté par le stress des études, ou s'il était présent avant.

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Ceux qui réussissent facilement en fac de droit vous mépriseront profondément. Ils vous reprendront à chaque faute de français et se permettront, sans aucune gêne, d'utiliser l'expression latine de facto.

Si le travail scolaire bête et méchant n'est pas trop votre truc, fuyez. Le boulot en fac de droit est constitué à 95 % d'apprentissage par cœur de centaines de pages de cours – qui sont les mêmes depuis Napoléon –, de dates et de décisions du Tribunal d'Amiens datant de 1977. Personne ne vous demandera de donner votre avis. Au contraire, il serait éliminatoire de le donner, ou pire, de faire preuve de créativité. La fac n'est finalement qu'à l'image de la France aujourd'hui. Au lieu de ça, on va simplement vous demander de vomir les kilomètres de lignes de cours que vous avez pu apprendre sous Guronsan. Une sorte de dictature de la norme. Si vous pouvez vous acquitter de tout ça, alors vous pourrez briller. Sinon, vous allez souffrir en silence. Vous allez forcer votre esprit à faire quelque chose pour lequel il n'est pas fait, à savoir apprendre comme une machine, bêtement, sans rien comprendre. Car oui, vous pouvez faire toutes vos études de droit jusqu'à devenir avocat sans jamais rien capter. Le par cœur sera toujours plus efficace qu'une réflexion ou même une idée. Alors si vous n'êtes pas un cyborg, laissez tomber et inscrivez-vous ailleurs. Et je préfère vous prévenir tout de suite, ça ne changera pas d'une année à l'autre. Ce sera même pire : vous étudierez des matières de plus en plus désuètes, en compagnie de camarades toujours plus hostiles – et surtout, de professeurs psychopathes.

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La plupart des gens que vous pourrez y côtoyer sont des enfoirés. Ceux qui réussiront facilement en fac de droit vous mépriseront profondément, ils verront en vous une sorte de sous-espèce qui ne mérite que de finir community manager dans les assurances. Pour eux, faire des études de droit constitue le Graal de la masturbation intellectuelle. Ils trouveront normal de venir aux soirées en costume et de dire « Tu as vu cette décision de la CEDH la semaine dernière ? Aberrant. » Ils vous reprendront à chaque faute de français et se permettront, sans aucune gêne, d'utiliser l'expression latine de facto. Ce sont les mêmes personnes qui utilisent sans cesse leur auriculaire pour choisir leur plat sur la carte. Le droit ne sera plus un sujet d'étude, mais une façon de vivre. Finalement, ces étudiants ne sont que le reflet des professeurs qu'ils idolâtrent.

Une jeune fille étudie pour ses examens finaux en droit, probablement loin de soupçonner l'horreur qui l'attend. Photo via Flickr.

Un prof de droit est comme cette petite coupure que vous avez parfois au coin de la bouche. Vous avez envie d'y passer un peu de salive avec votre langue pour calmer la douleur, mais vous savez très bien que plus vous faites ça, plus elle s'intensifiera. Un prof de droit, c'est pareil. Plus vous détournez le regard, plus il vous démontera. Plus vous êtes mauvais, plus il vous humiliera. Si par malheur vous pleurez, n'attendez aucune pitié d'un homme ou une femme qui est payée pour défendre les intérêts d'une banque. Les professeurs de droit sont tellement sûrs d'eux qu'il leur est impensable que vous arriviez un jour à leur niveau. À leurs yeux, vous êtes nécessairement une merde qui ne comprend rien. C'est pour ça qu'ils ne liront jamais l'intégralité de votre copie, préférant se contenter de l'introduction et de survoler le reste pour voir si vous ressortez mot pour mot une phrase de leurs cours. Si c'est très bien, vous aurez 12, sinon ce sera entre 5 et 9,5 selon leur humeur.

À côté des maîtres de conférences existe une sous-classe de professeur : le chargé de TD. Le chargé de TD dispose du cerveau d'un vendeur de moquette, de l'humanité d'un banquier et de l'ego d'un Staline. C'est sans doute la plus grosse des raclures. Il est jeune – c'est-à-dire 30 ans maximum – et il vient de terminer sa thèse sur les garanties réelles financières dans le code monétaire et financier bulgare. Il se prend donc nécessairement pour Dieu. Mais un Dieu un peu pervers, autoritaire, et surtout incapable de dire quoi que ce soit d'intéressant. Comme me le confirmera un avocat que j'ai eu l'occasion de côtoyer plus tard, « les chargés de TD ne sont là que pour se taper des étudiantes ». Sale ambiance.

La fac de droit peut vous détruire, littéralement. Tout est fait pour que vous ratiez absolument tout. Dans la tête du corps professoral juridique, un élève part de 20/20 et suivant les réponses qu'il apporte, sa note baisse plus ou moins vite. C'est donc une notation sanction, en permanence, au lieu d'une récompense. Aussi, ne comptez pas sur vos camarades de classe pour vous aider. L'humanité a quitté les bancs de la fac de droit depuis longtemps. Au mieux, vous aurez un cours non terminé en TextEdit avec des paragraphes en jaune illisibles, au pire un faux cours qui bousillera votre semestre. Souvent, vous vous heurterez à une réponse type « Là j'ai pas mon cours sur moi, mais je peux te l'envoyer plus tard ! » avec un grand sourire. Évidemment, ce cours n'arrivera jamais.

Dernier avertissement : ne comptez pas non plus sur une quelconque administration. Elle est effectivement présente dans l'organigramme de l'Université, mais je ne l'ai jamais vue de mes propres yeux. Si jamais un jour vous arrivez devant la porte d'un secrétariat et que celle-ci est ouverte, vos espoirs seront probablement anéantis par un « Vous avez rempli le formulaire F408 ? Sans ça, je ne suis pas habilité à faire quoi que ce soit ». C'est chacun pour soi jusqu'au bout.

Les survivants, comme moi, qui se retrouvent miraculeusement en quatrième année se confronteront à un énième obstacle. Après un master 1, il faut absolument être admis dans un Master 2 de droit pour pouvoir faire quelque chose. Sauf que chaque master 2 est extrêmement sélectif, non pas par qualité d'enseignement, mais simplement par manque de place. En gros, vous vous êtes tapé quatre ans de droit, vous êtes à deux doigts de toucher au but et on vous dit « Si vous n'avez pas de master 2 vous ne ferez rien de votre vie ». Donc à quoi servent les quatre années précédentes si je ne suis pas admis en Master 2 ? À rien, ce qui est proprement magnifique. Vous l'aurez sans doute compris : à force de me sentir prisonnier d'un système qui ne laissait aucune place à la créativité et à l'humain, j'ai préféré quitter ce milieu qui n'était de toute évidence pas fait pour moi. Aujourd'hui, je ne suis pas surpris de voir tant d'avocats quitter ce métier après tous ces sacrifices. Ils ont juste eu un peu plus de patience que moi.