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Culture

Comment Hollywood rend la fausse drogue réaliste

Un accessoiriste dévoile les subterfuges qu'il utilise pour faire croire que les personnages de film prennent réellement de la drogue.
Hannah Ewens
London, GB
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
fausse drogue Hollywood

Johnny Depp fume une cigarette derrière les verres orange teintés de ses lunettes d'aviateur, tout en racontant les hauts et les bas qu'il a connus dans sa voiture. Al Pacino est avachi sur un trône en cuir face à une montagne de cocaïne. Christiane F., mal en point, se tortille dans son lit, tout en se disputant avec son copain à propos de sa consommation d'héroïne. Qu'elles annoncent la chute tragique d'un personnage ou qu'elles soient le thème principal d'un long-métrage, les drogues – quand elles sont bien faites – rendent le cinéma invariablement intéressant, même si vous n'êtes a priori pas porté sur la drogue dans la vraie vie.

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Les drogues illégales ne sont évidemment pas tolérées sur les plateaux de tournage, et c'est donc aux accessoiristes de trouver des subterfuges pour maintenir l'illusion. Ils travaillent en collaboration avec le chef décorateur, les acteurs et les réalisateurs afin de fournir tout objet manipulé directement par les personnages – que ce soit la nourriture, les livres, l'argent ou les drogues.

Sean Mannion est accessoiriste à Los Angeles. Il bosse dans l'industrie du cinéma depuis des années et a participé à de nombreux films, comme Dangereuse Alliance ou Mes meilleures amies. Il a surtout travaillé pour des comédies impliquant de la drogue comme En cloque, mode d'emploi, 40 ans, toujours puceau ou American Trip. En somme, il a bâti toute sa carrière sur la fabrication de faux joints. S'il y a bien quelqu'un qui sait comment faire passer de fausses drogues pour des vraies, c'est lui.

« Avant, je devais utiliser du basilic, de l'origan ou toute herbe qui ressemblait à de la weed et qui était fumable », raconte-t-il. « Il y a plus de vingt ans, j'ai fait un film avec Madonna. Elle m'a dit que c'était terrible à fumer. Pour les grandes touffes de weed, j'utilise de la colle en spray et je jette juste l'herbe sur la table. Je laisse les tiges d'origan pour l' authenticité. » Aujourd'hui, ce travail est beaucoup plus facile, et demande moins de bricolage. L'industrie du cinéma a connu une expansion rapide, et des centaines de nouveaux films sont réalisés chaque année. Lorsque Mannion a besoin d'une quantité considérable de fausse weed , il se tourne vers l'Independent Studio Services qui sont toujours à même de le fournir.

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« Je leur ai demandé des brouettes entières de weed pour Les Voisins. Parfois, on a besoin de beaucoup d'herbe. Dans un film sur lequel j'ai travaillé l'année dernière, un mec ne faisait rien d'autre que rouler des joints à longueur de journée. Il me fallait un Tupperware rempli d'au moins 400 joints. »

La plupart du temps, Mannion va acheter sa « weed » chez Ecstacy, une marque de cigarettes aux plantes, car ce substitut est très efficace pour un certain nombre de raisons. « C'est entièrement à base de plantes et beaucoup plus facile à utiliser. Ça a vraiment l'odeur de la weed. Évidemment, si vous êtes un fumeur régulier, vous allez sentir la différence. Un producteur du projet sur lequel je travaille m'a demandé : " Que sont-ils en train de fumer ?" Je lui ai répondu : "Eh bien, les acteurs avaient vraiment envie de fumer un joint." Les yeux lui sont sortis de la tête. "Vous plaisantez ?", a-t-il demandé. "Bien sûr que je plaisante, c'est à base de plantes." » Une autre fois, une actrice assez célèbre – dont je ne citerais pas le nom – a joué dans une scène où elle faisait la fête et fumait toute la nuit. Elle m'a demandé de la vraie herbe, mais je lui ai filé un faux joint aux plantes. Au bout d'un moment, elle et ses potes, qui figuraient dans le film, étaient persuadés qu'ils étaient défoncés. C'était très drôle. »

Photo via YouTube

On pourrait supposer que n'importe quelle poudre blanche peut faire office de cocaïne. « Avant, nous nous servions des diluants utilisés en médecine, mais c'est devenu difficile à trouver – il faut une ordonnance. » Maintenant, il utilise du sorbitol, un alcool de sucre souvent utilisé dans les produits diététiques. « Il suffit de pas grand-chose pour que ça ressemble à de la vraie cocaïne. Il faut juste ajouter un peu de sucre raffiné et tasser. Ça peut se sniffer et ça a une étrange saveur sucrée. Il faudrait vraiment être un expert pour remarquer que c'est de la fausse. »

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Mannion n'est pas expert en drogues, mais il rigole encore en repensant à certaines expériences du passé (« Et je mettrais l'accent sur passé. ») Quand il s'agit d'héroïne ou de crack, il est surtout question de chercher des images sur Google et de rendre ça aussi vrai que nature. Heureusement, il est rare de montrer la prise dans une scène. « Souvent, on se contente de mettre la drogue en évidence. On laisse traîner des pipes à crack ou des seringues ici et là. Il suffit d'aller chez un fournisseur d'équipement médical et de prendre ce qu'il faut pour faire de la meth ou ce genre de chose. »

Paradoxalement, si les studios n'ont aucun scrupule à montrer des drogues illicites à l'écran , il n'en va pas de même pour le tabac. « Tous les studios sont devenus anti-tabac et ont banni les cigarettes des tournages », a expliqué Mannion. « Il est désormais rare de voir un acteur fumer une cigarette dans un film. Je travaille actuellement sur une scène dans un bar et il est impossible pour le videur de fumer un cigare. Pourtant, dans l'arrière-salle, les gens fument de la weed et prennent de la coke. » Le but est d'arrêter de rendre la consommation du tabac glamour et, selon Mannion, très peu des acteurs fument car ils sont très soucieux de leur santé . S'ils devaient fumer dans un film, ils fumeraient une cigarette à base de plantes.

Il en va de même pour la boisson. Quand un personnage se saoule dans un bar ou consomme de l'alcool et des stimulants tout au long d'un film – Miles dans Sideways, tout le monde dans Le Loup de Wall Street – ce n'est qu'une illusion, là encore. Lorsque Josh Hartnett et Kirsten Dunst partagent une gorgé e de schnaps à la pêche dans Virgin Suicides, on pourrait presque sentir la douce liqueur sur n os lèvres. En revanche, certains acteurs n'ont pas hésité à consommer de l'alcool pour rendre leur performance plus crédible. Shia LaBeouf a déclaré que pour jouer le rôle d'un gangster à l'époque de la prohibition dans Des hommes sans loi, il était bourré en permanence, de sorte à arriver sur le plateau avec les yeux rouges et le visage boursouflé. Brad Pitt et Edward Norton étaient complètement torchés lorsqu'ils ont jeté des balles de golf sur des bâtiments dans Fight Club.

Néanmoins, ces exemples restent des exceptions. « Je n'ai jamais vu quelqu'un boire plus d'un ou deux shots », affirme Mannion. « Il est arrivé que des acteurs me demandent du véritable alcool, mais il est hors de question qu'ils boivent réellement pour une prise qu'ils devront refaire plus de 20 fois. À long terme, cela les empêcheraient de jouer correctement. » Au lieu de cela, ils boivent du thé cul sec ou de l'eau couleur caramel pour la liqueur. Si un acteur boit dans une bouteille de bière brune, ne vous inquiétez pas, c'est probablement de l'eau.

Que ce soit l'alcool, le tabac ou les drogues dures, un bon chef accessoiriste doit rivaliser d'ingéniosité. « Cela demande beaucoup de travail, il n'y a pas d'à peu près », déclare Mannion.« Il y aura toujours des yeux fins pour repérer le moindre petit défaut. Mon boulot consiste à maintenir l'intégrité et à rendre cet environnement réel, et c'est vraiment gratifiant quand j'y arrive. »

@hannahrosewens