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LE NUMÉRO PRÉFÉRÉ DES OUGANDAIS

Un smörgâsbord de haine

L'État islamique trouve de nouvelles recrues parmi les jeunes Suédois en colère.

Illustration : Paul Hornschemeier

Ahmed* m'attend dans un parking du nord de Göteborg, en Suède. Il fait gris ce matin et il est debout sur un bout d'herbe perdu au milieu d'une étendue de béton. C'est un jeune homme sympathique de 25 ans, timide et aimable, qui m'accueille avec une honnête poignée de main. Son anglais est clair, poli.

Il est aussi membre de l'État islamique (EI), le groupe sunnite extrémiste désormais en guerre avec une coalition de plus de soixante pays emmenés par les États-Unis. Au fast-food du coin, devant un café brûlant et des donuts au chocolat, il m'explique pourquoi il a rejoint l'organisation.

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L'État islamique contrôle aujourd'hui de vastes zones en Syrie et en Irak rassemblées sous un « califat » autoproclamé, où des militants imposent leur interprétation fanatique de la loi islamique et commettent des atrocités qu'ils rendent ensuite publiques.

Ahmed ressemble vaguement à un combattant de retour des lignes de front. Il arbore une barbe pleine (sans moustache) sous sa casquette camouflage. Sa barbe est taillée, il a un sourire aimable, et tandis qu'il parle, il garde sa poudre de tabac typiquement scandinave – du snus – sous sa lèvre supérieure.

Il est de retour en Suède après avoir passé un an et demi à combattre en Syrie. Malgré le confort de son cadre actuel, il a envie d'y retourner et de trouver la mort au cours d'un combat armé contre ceux qu'il voit comme les ennemis de sa religion.

« Finir en martyr, c'est le meilleur destin auquel on puisse rêver dans l'islam » explique-t-il calmement, ajoutant que c'était ce à quoi il aspirait depuis toujours. Ses parents, originaires du Moyen-Orient, l'ont éduqué dans les préceptes de la religion. « J'ai toujours pensé au djihad. Je ne savais pas qu'il y avait des musulmans qui ne voulaient pas le faire. »

L'interprétation qu'Ahmed fait de l'islam n'a rien de pacifique. Il pense en effet que tous les croyants devraient faire le djihad pour mettre fin à leurs jours comme l'eschatologie de l'islam le prophétise. « À présent, mon intention principale est de satisfaire Allah, déclare-t-il. Sa parole est la plus haute, et celle des kuffar [les non-croyants] la plus basse. »

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Beaucoup de ses compatriotes suédois ont fait le même voyage en direction de la Syrie. Fredrik Milder, un porte-parole du service de sécurité suédois, m'a dit qu'on savait qu'au moins 130 « individus inspirés par Al-Qaïda » avaient voyagé en Irak et en Syrie pour se battre aux côtés de groupes extrémistes dont l'EI, et que d'autres chiffres, qui n'ont pas encore été confirmés, disaient que le véritable nombre se situait quelque part entre 250 et 300. Au moins 30 d'entre eux seraient morts, et près de 40 seraient rentrés en Suède, a ajouté Milder.

Le bras syrien de l'EI est principalement constitué d'étrangers, et affronte les rebelles locaux – dont l'armée syrienne libre (ASL) – qui combattent également les troupes du gouvernement dans le pays. Les recrues étrangères du groupe ont participé avec enthousiasme aux pires atrocités, parmi lesquelles crucifixions, lapidations et exécutions de masse, ensuite diffusées dans différentes vidéos de propagande. Un militant à l'accent anglais a joué un rôle important dans les images montrant la décapitation de plusieurs journalistes étrangers et travailleurs humanitaires.

Ahmed parle des territoires détenus par l'EI comme d'un paradis ou chacun serait libre de pratiquer l'Islam. « Tout le monde sait qu'il y a des bombes au-dessus de nos têtes, mais les gens sont heureux, » dit-il, affirmant que le groupe aide à libérer les pieux victimes du régime du président syrien Bachar al-Assad et même de l'ASL, soutenue par l'Occident et qu'il accuse de crimes de guerre.

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Il nie les pires atrocités commises par l'EI et affirme que les médias ne donnent pas une bonne image du groupe. « Vous [les journalistes] aimez nous faire passer pour fous, et dire que l'on tue des innocents, que l'on viole. On n'a pas quitté notre monde pour violer les femmes. » Il reconnaît, malgré tout, que l'EI tue ceux qui ne respectent pas son code moral. Pour lui, les vidéos brutales montrant des assassinats d'otages sont les bienvenues, et même une arme de guerre nécessaire contre les États-Unis et sa coalition. « C'est bien. Ils [l'EI] font la même chose que ce que font les Américains et les Anglais… [Les otages] n'ont pas été tués parce qu'ils sont journalistes mais parce que ce sont des kuffar et nous voulons que les États-Unis arrêtent [de nous bombarder]. Quand on pend un Américain, le monde entier se soulève, mais nous [les musulmans] on ne vaut rien. »

Plus tard, il admet malgré tout que beaucoup de Syriens ne souhaitent pas vivre sous le régime de l'EI. « Ils nous disent : "Allez-vous en, vous nous causez du tort." Mais les terres que Daesh considère comme parties du califat n'appartiennent pas aux Syriens, poursuit-il. La majorité des Syriens ne nous aiment pas ; personne ne nous aime. Mais ce n'est pas leur pays. Face à l'Islam, ils n'ont aucun droit. »

Le profil d'Ahmed correspond à celui des nombreux Suédois ayant aussi rejoint les rangs de Daesh. La plupart des recrues sont des hommes, âgés de 18 à 30 ans, originaires de Malmö, Göteborg ou Stockholm. Une grande majorité d'entre eux viennent de Göteborg.

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Le journaliste suédois Per Gudmundson, qui a beaucoup écrit sur l'extrémisme islamique, a mené une étude en 2013 sur 18 citoyens suédois partis se battre pour des groupes djihadistes en Syrie. Il m'a dit qu'ils appartenaient tous à la première ou seconde génération d'immigrés venus d'Irak, du Maroc, du Liban, de Jordanie ou des Philippines. La moitié d'entre eux était originaire de la périphérie de Göteborg.

Ulf Boström, un officier de police de 37 ans qui a passé la dernière décennie en tant que membre de l'unité d'intégration de la ville, décrit Göteborg comme l'épicentre de l'idéologie extrémiste en Suède. Les causes sont en partie sociales, dit-il. Plus de 20 % des 540 000 habitants de Göteborg sont des immigrés. Aussi, 80 % d'entre eux vivent dans les quartiers du nord-est de Backa et Biskopsgården, excentrés, où le chômage est élevé, les résultats scolaires médiocres, et où l'on compte un fort taux de criminalité. « D'une certaine manière, nous [les autorités suédoises] avons participé à créer ce problème avec nos politiques d'intégration, parce que nous ne savions pas comment les adresser, admet Boström. Aujourd'hui, cette terre est fertile pour la terreur. »

L'analyse de Boström, semblable à celle de Gudmundson, est que tous les sujets sont passés par le système scolaire suédois, qu'ils viennent de milieux prolétaires et possèdent un casier judiciaire, souvent pour de menus larcins. Boström dit que beaucoup des Suédois qui ont combattu en Syrie ont le sentiment de ne pas avoir de futur dans leur pays natal.

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Ces jeunes hommes deviennent donc des cibles faciles pour les extrémistes qui cherchent à radicaliser leurs recrues. « Quand vous êtes au fond et que quelqu'un vous ouvre les bras, s'adresse à vous avec respect, vous offre à manger et vous parle de religion de la meilleure façon qu'il soit, vous pouvez le considérer comme votre seule porte d'entrée vers le futur », dit Boström, notant que les recruteurs avancent souvent que le combat dans les rangs de l'EI serait pour eux « une chance d'avoir une nouvelle vie ».

Cependant, un contingent non-négligeable de futurs soldats islamistes semble plus éduqué, d'après Mohammad Fazlhashemi, professeur de théologie islamique et de philosophie à l'université suédoise d'Uppsala. Dans ces cas-là, au lieu de leur offrir une forme de reconnaissance tant recherchée, les recruteurs les séduisent avec des théories religieuses qui légitiment les actions de l'EI.

À Göteborg, explique Boström, le réseau de recruteurs est bien établi et actif dans les mosquées – que les imams en aient connaissance ou non. Ce réseau s'étend également à de plus petits lieux de cultes, des caves ou des garages. Le premier contact s'établit sur Internet.

Ahmed nie s'être fait radicaliser par une tierce personne, et prétend qu'il s'agit de sa propre décision. Contrairement à d'autres militants venant de milieux plus modérés, il affirme qu'il a prévenu ses parents avant de partir en Syrie. Ils ont soutenu sa décision et lui ont même demandé de prendre avec lui un autre membre de la famille, mort au combat au début de l'année 2014. Ahmed ne regrette pas de l'avoir amené. Il est heureux qu'un membre de sa famille soit devenu martyr.

Beaucoup des compagnons d'Ahmed viennent de milieux beaucoup moins radicaux. Certains de ses amis ont rallié Daesh en secret, sachant que leurs familles tenteraient de les en empêcher. « Si on obéissait à tout ce que disent nos parents, personne ne ferait le djihad ! » m'a dit Ahmed en riant. De retour en Suède, Ahmed ne touche pas de salaire de guerre. Il est coincé. Il est entré illégalement en Syrie via la frontière perméable avec la Turquie. Il tient à repartir, pour combattre et rejoindre sa femme syrienne et leur fille qui vient de naître et qu'il n'a pas encore vue.

Dans une série de textos envoyés depuis une application de messagerie mobile, il a demandé plusieurs fois de l'aide aux combattants pour rejoindre la Syrie une nouvelle fois. « Ils n'ont pas le temps de m'aider ; ils ont tant à faire… Ou peut-être qu'ils ont le temps, mais je ne sais pas à qui demander. » Pas plus, ajoute-t-il, que les autres combattants suédois, ou même anglais.

Les hommes comme Ahmed, dont on ne peut prouver la culpabilité mais que l'on soupçonne sérieusement de rejoindre des groupes djihadistes, constituent un gros problème pour les autorités suédoises. Selon Milder, les services de sécurités passent leurs journées à traquer ces hommes. Ils les questionnent à leur retour en Suède et rassemblent des informations afin de déterminer s'ils pourraient ou non lancer une attaque sur le territoire ou « soutenir activement le terrorisme » de quelque manière que ce soit.

Ahmed raconte qu'il a été interrogé par les autorités à son retour. Il dit que leur plus grande peur était de savoir s'il allait commettre un attentat sur le territoire suédois. Il me dit qu'il est toujours sous surveillance. « Ils m'espionnent sans cesse, ils me suivent » dit-il, ajoutant, suffisant, que quiconque l'observe doit sérieusement s'ennuyer, puisqu'il passe le plus clair de son temps à la maison.