Paix et guerre

FYI.

This story is over 5 years old.

Interviews

Paix et guerre

On a rencontré un général de l'Armée française pour savoir à quoi celle-ci servait en temps de paix – à part à faire la guerre.

Lorsque l'on est reçu pour un déjeuner de presse avec un général de l'armée française dans les jardins de l'Hôtel du Commandement à Rennes, il y a toujours un sommelier à vos côtés. C'est la tradition de réception à la française. Celle-ci est respectée à toute occasion. Même lorsqu'un journaliste cherche juste à savoir à quoi peut bien servir un général en temps de paix.

Le général en question s'appelle Christophe de Saint Chamas et ce dernier a un CV militaire qui nécessite 15 minutes de lecture. Comandant d'un escadron de chars de la cavalerie de l'armée blindée dans les années 1980, il devient planificateur de la construction d'un camp de prisonniers pendant la guerre du Golfe en 1991 aux côtés des Américains. D'abord instructeur à l'école des officiers de ​Coëtquidan – zone qui sert de base à l'École Militaire de Saint-Cyr – dans le Morbihan, en 1994 il part faire l'École de guerre à Paris avant de se rendre au Rwanda, en plein génocide tutsi. Suivent des missions à Mayotte, au Tchad, en République Centrafricaine, puis l'évacuation de Brazzavill​e au Congo, en 1997.

Publicité

Dans les années 2000, sous la présidence de Sarkozy, il est d'abord nommé général à l'État-major de la coalition en Afghanistan pendant 13 mois. Après avoir commandé la légion étrangère entre 2010 et 2013, il a été nommé le 1er août 2014 général de la ​Zone de défense et de sécurité Ouest.

Entre deux verres de vin et plusieurs petits fours au saumon, on s'est assis au bord d'une fontaine, sur une chaise de jardin, pour discuter du rôle de l'armée française aujourd'hui, des avions français, et de ce qu'il ferait si jamais une catastrophe nucléaire se déclarait quelque part près de chez vous.

Le général Christophe de Saint Chamas

VICE : Bonjour général. Tout d'abord, quel événement craignez-vous le plus pour la France ?
Général Christophe de Saint Chamas : Ce qui me ferait le plus peur, c'est que les Français oublient qu'ils ont des militaires pour les protéger. Le plus dangereux à mes yeux aujourd'hui, c'est la rupture de ce lien entre les Français et leur armée. Le militaire est un citoyen qui a fait le choix de donner sa vie pour les autres au quotidien. Et si nécessaire, il est prêt à faire des engagements opérationnels extrêmes ! C'est la plus importante et la plus passionnante de mes missions. Le jour où les Français ne sauront plus à quoi sert leur armée, il y en a qui se demanderont à quoi sert la France.

C'est précisément ce que je cherche à savoir aujourd'hui. Pouvez-vous m'expliquer quelle est cette « Zone de défense et de sécurité Ouest » dont vous êtes le responsable ?
​Il s'agit des cinq régions de l'Ouest français, et dans cette zone je suis le conseiller du préfet pour l'emploi des forces armées. Car le responsable de l'ordre public, c'est le préfet. Il a des moyens à son service en temps de paix, mai'si il y a une crise particulière qui nécessite l'aide des armées, je deviens son conseiller. Je lui indique quels sont les moyens, les capacités et les délais pour que l'armée intervienne.

Publicité

Dans quelle situation l'armée peut-elle être appelée à intervenir ?
Ça peut être une marée noire, un événement neigeux, des inondations, une tempête ou les dégâts causés par les marées – toutes les catastrophes naturelles qu'on a pu connaître ces dernières années. Je fais le lien avec l'état-major des armées à Paris pour voir quelle aide peut être apportée. En cas de crise, ce ne sont pas forcément les moyens de la région qui peuvent intervenir. Vous comprendrez bien qu'en Bretagne, il n'y a pas de chasse-neige.

OK. Admettons qu'il y ait un accident nucléaire dans l'Ouest, sous quelle forme l'armée française pourrait-elle intervenir ?
​Dans le cas des catastrophes écologiques, le premier atout ce sont les moyens de communication en complément des forces de sécurité. Le rôle de l'armée, ce n'est pas de faire le boulot que les autres ne font pas, c'est de compléter. Dans ce contexte il faut que cela soit immédiat, mais aussi de courte durée – les moyens militaires ne sont pas dédiés à cela, même s'ils sont « prêts-à ». Cela peut-être aussi le cloisonnement de la zone, aider à isoler pour ne pas que des gens entrent à l'intérieur, aider les populations pour l'alimentation ou la fourniture de l'eau.

Et pour la décontamination radioactive ?
​En matière de défense nucléaire et chimique, les armées ont des moyens. Ils sont plutôt minimes, mais ils peuvent être utiles. Pour répondre à votre question, si les moyens ne sont pas à la disposition des forces de sécurité, il sera fait appel à ceux de l'armée en complément. Mais on n'est pas là pour dire : « Dégagez, on fait tout ».

Publicité

En quoi consiste la « défense aérienne » ?
​C'est une mission de dimension nationale. Il n'y a pas de « frontière de zone » dans les airs. Nous avons désormais des accords avec les pays alliés, tout est centralisé à Paris et relève du Premier ministre. L'autorité de l'Armée de l'air qui s'occupe de la sécurité du territoire est en lien direct avec son cabinet. Si un avion se promène au mauvais endroit ou qu'il menace d'un acte dangereux, l'autorisation d'intervenir, c'est-à-dire d'abattre un avion en vol, est donnée directement par le Premier ministre.

Mais comment vous surveillez tout le ciel français ?
​Il y a un maillage complet. D'abord, il faut savoir qu'il y a des radars de contrôle qui sont civils : dès qu'un avion décolle, il est pris par un radar, puis par un autre, etc. Et il y a les radars de la défense, en plus. Tout ce maillage de l'espace aérien est en lien, et s'il y a la moindre attitude anormale, nous faisons décoller des avions de chasse dans un délai très court – en fonction de la menace. Il y a en France un certain nombre de patrouilles en alerte qui interviennent dès qu'il se passe quelque chose. Cela va de l'avion en perdition à l'avion ouvertement hostile.

D'accord. En cas de guerre, c'est vous qui serez le commandant « du front de l'Ouest » ?
​Alors ça, c'est le cas extrême ! Je pense qu'il peut d'abord s'agir d'une « posture de guerre », et puis, hmm, ça dépend contre qui ! Bon, si la menace vient de la mer, vous pensez bien qu'il y aura des troupes qui viendront et là c'est à Paris, au commandement central, que l'on coordonnera les opérations. Mais si la Bretagne est sur les arrières de la menace, on me demandera probablement de coordonner les actions sur place. Vous savez que face à la tempête il ne faut pas changer de cap. C'est pourquoi s'il y a une crise, l'idéal c'est d'utiliser les gens qui sont en place et qui sont préparés.

OK Général, merci beaucoup.

Suivez Gaspard sur ​Twitter.