Photos : WeegeeâInternational Center of Photography/Getty ImagesPortant sa perruque et ses lunettes de soleil assorties
Elle a des chaussures Ă talons hauts et un chapeau en peau dâalligator
Portant ses perles et ses bagues en diamant
Elle a des bracelets aux doigts, et plein dâautres choses
Elle est le Diable en robe bleue, robe bleue, robe bleue
Le Diable en robe bleue.
ââLe Diable en robe bleue,â
Shorty Long, 1964La plupart des femmes nieront que le plaisir quâelles tirent de leurs vĂȘtements est en lien avec lâidĂ©e dâattirer le sexe opposĂ©. Elles sâhabillent, disent-elles, pour se plaire ou (si lâon cherche bien) pour concurrencer les autres femmes. Mais cette compĂ©tition entre femmes, Ă quoi sert-elleâ?
âClothes, James Laver, 1952Le sexe nâa rien Ă voir avec la mode. La mode nâa rien Ă voir avec le sexe. Si la mode Ă©tait sexuelle, les modĂšles feraient du twerk sur les podiums devant les pigistes de la presse magazine. Les rĂ©dactrices de Vogue bĂ©nĂ©ficieraient de lapdances gratuits. Les mannequins nâauraient rien de prĂ©pubĂšre. Les seins feraient leur grand retour. Les stripteaseuses seraient sursapĂ©es et Sasha Grey ferait des pubs pour les parfums Cacharel.Victoriaâs Secret dit participer au monde de la mode, mais son dĂ©filĂ© de mode nâen est pas un â câest du burlesque rĂ©publicain dans toute sa splendeur. Il ne sâagit pas de mode. La mode est un monde et le sexe en est un autre. Les deux peuvent se rencontrer de temps en temps mais si nous chĂ©rissons leurs moments dâunion, il sâagit de deux systĂšmes distincts. Quand la mode est sexy et que le sexe est chic, vous avez une entente cordiale. Le sexe et la mode sont intimement liĂ©s depuis leur origine, et de temps en temps, aujourdâhui encore, ils se rejoignent quelque part sous les hanches. Mais si la mode ne se fonde pas exclusivement sur lâattirance sexuelle, alors Ă quoi sert la modeâ?Traditionnellement, la mode est une histoire de classe sociale. Si vous avez un certain style, alors vous appartenez Ă une certaine classe, et ce que vous portez vous identifie en tant que tel. La mode peut mĂȘme affirmer votre statut Ă lâintĂ©rieur de votre propre classe sociale. Ă lâorigine, la mode Ă©tait le domaine exclusif de lâĂ©lite â lâaristocratie, puis la bourgeoisie. Les propriĂ©taires fonciers portaient des vĂȘtements de mode, puis les grands barons mercantiles ont fini par sây mettre aussi, tandis que les autres portaient seulement des vĂȘtements. Les coutumes vestimentaires des classes sociales constituent un codeâ: ceux dâen bas portent des uniformes qui ressemblent Ă ceux de lâarmĂ©e, tandis que les costumes des habitants de la haute prĂ©fĂšrent mettre en lumiĂšre lâhistoire, la crĂ©ativitĂ©, le talent artistique et le goĂ»t. Pour les hommes et femmes de la classe dirigeante, la mode Ă©tait aussi une maniĂšre de souligner le fait quâils ne travaillaient pas de leurs mains.Dans Clothes, James Laver Ă©critâ: « Dans lâancien temps, avant que les femmes commencent Ă voir les autres femmes comme autant de concurrentes potentielles, la HiĂ©rarchie Ă©tait la seule chose qui comptait. Tout ce qui permettait Ă un homme de sâĂ©lever au-dessus de ses semblables Ă©tait le bienvenu, souvent dans le sens littĂ©ral du terme. DâoĂč la ferveur pour les plumes dans les cheveux et lâinstauration de rĂšgles strictes conçues pour empĂȘcher les personnes de moindre classe de porter autant de plumes que leurs supĂ©rieurs. »
Le texte sĂ©minal Ă propos de la lutte des classes au sein de la mode est la ThĂ©orie de la classe de loisir de Veblen Thorsten. Il dĂ©voile deux motivations principales derriĂšre la maniĂšre codifiĂ©e avec laquelle nous nous habillonsâ: dĂ©voiler Ă la fois la qualitĂ© de nos loisirs et notre pouvoir de consommation. Les membres de la classe supĂ©rieure cherchent Ă mettre lâaccent sur le fait quâils ne travaillent pas ou, sâils le font, quâils ne transpirent pas ou ne se salissent jamais les mains. Le travail de la classe supĂ©rieure, selon Veblen, est « dâexploiter », tandis que le travail de la classe infĂ©rieure est fait de « corvĂ©es ». LâidĂ©e dâune sociĂ©tĂ© Ă©chelonnĂ©e en diffĂ©rentes classes veut que les classes du haut ne travaillent pas. De la mĂȘme façon, travailler aujourdâhui nâest acceptĂ© quâĂ condition que vous bossiez depuis votre iPhone sans devoir vous rendre dans un bureau.
La mode nâest quâune façon de fournir des preuves de votre oisivetĂ©, de votre paresse et de vos loisirs â les ongles longs et vernis, les jupons, les tournures, les crinolines, jusquâaux chaussures Ă talons qui rendent souvent problĂ©matique le simple fait de devoir marcher seule. Les femmes obligĂ©es de clopiner en sociĂ©tĂ© sont les manifestations les plus visibles de cette histoireâ; celle-ci commence avec les chaussures Ă plate-forme de la GrĂšce antique et aboutit aux bottes de Lady Gaga, qui donnent aux femmes de petite taille des physiques de joueurs de NBA. Pendant des siĂšcles, les chaussures chĂšres et pour femmes ont Ă©tĂ© conçues pour nâĂȘtre portĂ©es quâen position assise sur un siĂšge de berline (ou plus tard, de limousine). Lorsque vous devez marcher pour aller quelque part, vous nâĂȘtes pas quelquâun dâimportant. Les pimps nâont jamais aimĂ© marcher, câest pourquoi ils portaient des chaussures Ă plate-forme dans les annĂ©es 1970. Ils ont Ă©galement laissĂ© pousser leur ongle du petit doigt, pas seulement pour sniffer de la dope, mais aussi pour montrer que leur travail Ă©tait tout sauf manuel. Les tenues de travail ne sont jamais Ă la mode. La mode, ce sont des vĂȘtements qui laissent entendre Ă ceux qui vous croisentâ: « Je ne bosse pas. »
En ce qui concerne la consommation ostentatoire, ce jeu a quelque peu changĂ© et les vĂȘtements chics ne sont plus ce quâils Ă©taient. HermĂšs vend un simple T-shirt Ă 67â000 eurosâ; un jean APO Ă 3â000 euros possĂšde des rivets en or. Ă prĂ©sent que tout est codĂ©, les gens se reconnaissent en consommant telle ou telle famille de marques â de fait, les riches peuvent se reconnaĂźtre entre eux, et seulement entre eux.Aujourdâhui, nous regardons les costumes du siĂšcle dernier avec un regard bien diffĂ©rent de celui de ceux pour qui ils Ă©taient conçus. Nous pouvons les trouver ridicules, et Ă bien y regarder, nous rĂ©alisons que tout ce que nous trouvons sexy est en rĂ©alitĂ© soumis Ă lâesprit du temps. Durant la Renaissance, il Ă©tait envisageable quâune femme dĂ©voile sa poitrine Ă la Courâ; en revanche, si elle osait montrer sa cheville, câĂ©tait un scandale. Les seins Ă la mode Ă©taient des seins de femme qui nâavait encore jamais eu dâenfant ou ceux dâune femme qui, si elle en avait eu, avait payĂ© quelquâun pour les allaiter.Il suffit de regarder la façon dont Marie-Antoinette Ă©tait habillĂ©e pour comprendre que la rĂ©volution contre la mode, comme on lâa appelĂ©e, Ă©tait inĂ©vitable. AprĂšs la dĂ©capitation de Marie-Antoinette, la France a aussitĂŽt cherchĂ© Ă se dĂ©barrasser des corsets, des talons hauts et des Ă©normes perruques poudrĂ©es. Tout Ă coup, les femmes avaient le droit (et le devoir) de bouger. Elles pouvaient mĂȘme courir. Il sâagissait dâun avant-goĂ»t de libertĂ©, du moment juste avant le changement intĂ©gral de lâaccoutrement fĂ©minin.
Plus tard, en 1851, une femme mariĂ©e membre du mouvement de la tempĂ©rance, Amelia Jenks Bloomer, a popularisĂ© le pantalon pour femmes via son journal, la Lily. GrĂące Ă une coalition hĂ©tĂ©rodoxe de suffragettes, de fabricants textiles employant des femmes et de dĂ©fenseurs de la santĂ©, les « culottes bouffantes » â ou bloomers, en anglais â sont devenues populaires. Et lorsque les femmes se sont mises Ă faire du vĂ©lo, eh bien, cette mode sâest une nouvelle fois affirmĂ©e.
Le premier style « sexy » (au sens actuel du terme) vient de Madeleine Vionnet â fondatrice de la Maison de la couture â en 1912. InspirĂ©e par les danseuses dâĂ©poque, notamment Isadora Duncan, et faisant appel Ă la sensibilitĂ© nĂ©oclassique des bohĂšmes qui admiraient les paĂŻens grecs et romains, celle-ci a libĂ©rĂ© le corps de la femme des corsets et de tout le reste. Vionnet voulait recouvrir les corps Ă la maniĂšre des sculptures classiques, et a Ă©tĂ© la premiĂšre Ă se servir de la coupe en biais â qui permettait de cacher la peau tout en rĂ©vĂ©lant les formes fĂ©minines.
Cette renaissance esthĂ©tique a coĂŻncidĂ© avec des changements sociaux qui ont libĂ©rĂ© les femmes des rĂŽles qui allaient de pair avec les jupons et les corsets. Lâironie, câest que ce que nous voyons aujourdâhui comme le dĂ©but de lâĂ©rotisme dans la mode fĂ©minine est en rĂ©alitĂ© plus liĂ© Ă lâaccession des femmes au travail quâĂ leur libĂ©ration sexuelle. Les jeunes filles dĂ©lurĂ©es de lâĂąge dâor du jazz, avec leurs jupes courtes, leurs cheveux dĂ©tachĂ©s et leurs lĂšvres rouges, fumaient des cigarettes, buvaient des cocktails et dansaient sur de la « musique afro-amĂ©ricaine ». Elles couchaient ici et lĂ , mais bossaient derriĂšre un bureau et devant une machine Ă Ă©crire. Le neveu de Freud, Edward Bernays, inventeur des relations publiques, a alors dit Ă ces filles que les cigarettes Lucky Strike Ă©taient leurs « torches de la libertĂ© » ; du jour au lendemain, le tabagisme Ă©tait Ă la mode chez les suffragettes. Pardonnez-moi pour cette comparaison, mais le jazz des annĂ©es 1940 Ă©tait un peu le « Girls Gone Wild » dâaujourdâhui. Et beaucoup dâhommes ont aimĂ© ça.
Les femmes ont par la suite trouvĂ© de nouveaux moyens dâafficher leur statut de femmes sans emploi, Ă la coule, et la mode sâest transformĂ©e en une immense industrie promouvant des styles et des marques qui rĂ©vĂ©laient plus explicitement encore leur statut social.
Cette rĂ©volution sâest prolongĂ©e tout au long du XXe siĂšcle. Le siĂšcle dernier a cherchĂ© Ă abolir les classes, lesquelles se sont mĂ©langĂ©es jusquâĂ ce que lâancienne hiĂ©rarchie ne forme plus quâun spectre de variations et de segmentations infinies. Les maĂźtres de lâunivers se sont mis du cĂŽtĂ© de la haute-couture et le prolĂ©tariat sâest inscrit Ă lâopposĂ©. En rĂ©alitĂ©, la mode est devenue une nouvelle forme de lutte des classes, les barricades en moins. Aujourdâhui, lâindustrie de la mode est une machine complexe. Elle est composĂ©e dâun grand nombre de couches diffĂ©rentes, chacune correspondant Ă la sensibilitĂ© dâune classe spĂ©cifique. Aussi, certaines de ces couches sont invisibles aux autres. Certains sont attirĂ©s par la haute-couture traditionnelle et autres crĂ©ations destinĂ©es Ă dĂ©clarer au monde leur pouvoir de consommation infini. Ensuite, vous avez la mode dâavant-garde, qui repousse les limites de la mode et rend obsolĂštes les tendances de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente â on peut parler de « demi-monde ». Et enfin, vous avez des centaines de styles diffĂ©rents, de lâintellectuelle Ă la working girl, en passant par la fly girl. Ces strates fonctionnent toutes de la mĂȘme maniĂšre mais prennent des apparences diverses. Les meufs de lâindustrie du sexe possĂšdent aussi leur propre mode â des fringues de dĂ©esses bimbo. Chaque strate fonctionne comme une micro-industrie-de-la-mode. Quoi quâil en soit, la mode, Ă nâimporte quel niveau, se doit dâĂ©voluer â sinon ce nâest pas de la mode, mais un style. La mode doit attirer lâĆil, et crĂ©er le temps dâun instant une nouvelle forme de beautĂ©. Lorsque notre vision est reformatĂ©e selon de nouvelles conventions, nous nous demandons comment nos parents â ou mĂȘme, notre soi dâil y a dix ans â ont pu trouver ces styles OK. Ont-ils jamais Ă©tĂ© OK, en faitâ? Ă bien y rĂ©flĂ©chir, peut-ĂȘtre que les pantalons de Barbara Stanwyck ou que les Ă©paulettes de Rita Hayworth nâont jamais Ă©tĂ© conçus pour charmer Fred MacMurray ou Glenn Ford â mais quâils ont plutĂŽt servi Ă Ă©radiquer les autres femmes. Le baby-boom a commencĂ© aprĂšs la seconde guerre mondiale, lorsque tous les soldats sont rentrĂ©s chez eux pour retrouver leur femme et leur lit. Ce nâest pas une coĂŻncidence si la mode sâest du jour au lendemain intĂ©ressĂ©e aux poitrines gĂ©nĂ©reuses de type Marilyn Monroe, Jayne Mansfield ou Sophia Loren. Oui, les corps aussi influent sur la mode. Vous vous souvenez de quand les mannequins avaient des formesâ? Si vous avez moins de 30 ans, câest impossible. Dâautant plus que les designers dâaujourdâhui ne cherchent quâĂ se faire applaudir Ă la fin de leur show et en consĂ©quence, ils ne prennent jamais de risques. Le sexe nâen essaie pas moins de faire son retour dans la mode, mais sous de nouvelles formes. Comme lâa Ă©crit Mary Eliza Joy Haweis dans son livre paru en 1879, The Art of Dressâ: « Lâhabit hĂ©site perpĂ©tuellement entre la nĂ©cessitĂ© dâĂȘtre vu et de la nĂ©cessitĂ© de couvrir. Une partie de la beautĂ© du corps est affichĂ©e tandis que le reste est sacrifié⊠Un jour, câest un morceau de bras ou dâĂ©paule qui est dĂ©nudĂ©â; lâautre câest au tour du pied ou de la taille. » Mais tout ne tourne pas quâautour de lâargent, de la classe sociale ou du sexe. Il sâagit aussi dâavoir un coup dâavance, du flair. Il sâagit dâĂȘtre prĂ©curseur et dâinfluer sur les tendances futures. Les femmes cherchent toujours Ă ĂȘtre imitĂ©es par dâautres. MĂȘme lorsquâil ne sâagit que de recyclage, la mode demeure la vraie religion de la modernitĂ©. La plupart des femmes qui sâintĂ©ressent et participent Ă la mode sâhabillent pour les autres femmesâ; seule une minoritĂ© sâhabille pour les hommes. Celles qui sâhabillent pour les femmes semblent appartenir Ă une classe plus Ă©levĂ©e que leurs consĆurs plus « sexuĂ©es ».
Leandra Medine, jeune reporter mode pour le blog Man Repeller, explique que la vraie poursuite de la mode converge avec « ce que les hommes dĂ©testent ». Elle dĂ©finit les vraies modeuses comme suitâ: « Ce sont celles qui sâhabillent avec des vĂȘtements bizarres, ceux Ă mĂȘme de repousser le sexe opposĂ©. Ces vĂȘtements comprennent â mais ne sont pas limitĂ©s aux â pantalons, ââboyfriend jeansââ, salopettes, Ă©paulettes, bijoux en forme dâarmes de poing, sabots, etc. » Les femmes qui sâinvestissent dans la mode ne sont pas rĂ©ellement motivĂ©es par la perspective de faire fuir les hommesâ; en revanche, elles veulent laisser entendre au mec hĂ©tĂ©ro de base que celui-ci ne connaĂźt pas les codes nĂ©cessaires pour comprendre ce quâelles portent â et de fait, la raison pour laquelle elles aiment ces fringues. La mode est toujours en avance sur la majeure partie de la population, et donc, sur le mĂąle alpha. Cela dit, la mode contient toujours une partie lisible et comprĂ©hensible pour lâhomme hĂ©tĂ©rosexuel. Certains ont beau se perdre dans les mĂ©andres de la mode et de ses codes, il arrive quâun style nous excite, tout simplement. Par exemple, on voit lâessentiel Ă travers la sophistication dâAzzedine AlaĂŻaâ: il rend les femmes sexy. On peut dire la mĂȘme chose des maĂźtres italiens â Antonio Berardi, Dolce & Gabbana, Gianni et Donatella Versace, et du nouveau venu sicilien, Fausto Puglisi, qui mâa ditâ: « Jâaime lâidĂ©e dâune fille si sĂ©duisante quâelle pourrait causer un accident juste parce quâun conducteur ne pourrait pas dĂ©tourner ses yeux dâelle. Câest mon cĂŽtĂ© sicilien. »âIl serait plausible que⊠la crĂ©ature humaine â qui par nature, n'est pas un animal vĂȘtu, mais un animal nu â revienne quoi quâil arrive Ă son Ă©tat dâorigine. Mais elle ne peut jamais atteindre ce but, quelle que soit la rĂ©volution du sentiment, de la santĂ© ou de la morale. La crĂ©ature doit ĂȘtre vĂȘtue, bien quâelle aspire Ă ĂȘtre habillĂ©e et dĂ©shabillĂ©e en mĂȘme temps.â
âMary Eliza Joy Haweis,
The Art of Dress, 1879Nous calculons aujourdâhui en permanence les signaux que nous envoyons Ă travers nos fringues â câest une sorte de lutte des classes instantanĂ©e qui se dĂ©roule sous nos yeux. Prenez Lady Gaga par exemple, avec ses seins gĂ©nĂ©reux et ses cornes qui lui poussent des Ă©paules. « Born this way »â? Pas exactement. Il sâagit dâaliĂ©nation volontaire. Aussi, en portant certains vĂȘtements, une femme peut sĂ©duire un homme tout en en Ă©loignant un autre. Nous ne pouvons plus nous permettre de plaire Ă tout le monde. Câest dangereux. Câest pour ça que les milliardaires ne portent pas de manteau en fourrureâ; ils portent des jeans. Aujourdâhui, mode et sexe sont codĂ©s. Et lorsque les gens arrivent Ă dĂ©coder votre look, en gĂ©nĂ©ral vous le savez. Dans lâAncien Testament, aprĂšs avoir mangĂ© le fruit de la connaissance du bien et du mal, Adam et Eve se sont soudain retrouvĂ©s honteux. Les vĂȘtements, selon toute vraisemblance, ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s aprĂšs cette rĂ©vĂ©lation satanique. Mais la rĂ©ciproque est possible. Dans On Human Finery, Quentin Bell Ă©crivaitâ: « Les races qui vont et viennent nues sont peut-ĂȘtre aussi coincĂ©es que nous autresâ; dâailleurs, les premiers vĂȘtements portĂ©s lâont sans doute Ă©tĂ© lors de danses Ă©rotiques, afin de dĂ©cupler lâexcitation des hommes. » Il se peut que de nos jours, le rĂŽle de lâhabit ne soit plus de bloquer lâexcitation mais au contraire de la manifester plus rapidement. Et Dieu sait si ce codage doit ĂȘtre minutieux pour que mode et sexe sâalignent en parfaite harmonie.
Elle a des chaussures Ă talons hauts et un chapeau en peau dâalligator
Portant ses perles et ses bagues en diamant
Elle a des bracelets aux doigts, et plein dâautres choses
Elle est le Diable en robe bleue, robe bleue, robe bleue
Le Diable en robe bleue.
ââLe Diable en robe bleue,â
Shorty Long, 1964
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âClothes, James Laver, 1952Le sexe nâa rien Ă voir avec la mode. La mode nâa rien Ă voir avec le sexe. Si la mode Ă©tait sexuelle, les modĂšles feraient du twerk sur les podiums devant les pigistes de la presse magazine. Les rĂ©dactrices de Vogue bĂ©nĂ©ficieraient de lapdances gratuits. Les mannequins nâauraient rien de prĂ©pubĂšre. Les seins feraient leur grand retour. Les stripteaseuses seraient sursapĂ©es et Sasha Grey ferait des pubs pour les parfums Cacharel.Victoriaâs Secret dit participer au monde de la mode, mais son dĂ©filĂ© de mode nâen est pas un â câest du burlesque rĂ©publicain dans toute sa splendeur. Il ne sâagit pas de mode. La mode est un monde et le sexe en est un autre. Les deux peuvent se rencontrer de temps en temps mais si nous chĂ©rissons leurs moments dâunion, il sâagit de deux systĂšmes distincts. Quand la mode est sexy et que le sexe est chic, vous avez une entente cordiale. Le sexe et la mode sont intimement liĂ©s depuis leur origine, et de temps en temps, aujourdâhui encore, ils se rejoignent quelque part sous les hanches. Mais si la mode ne se fonde pas exclusivement sur lâattirance sexuelle, alors Ă quoi sert la modeâ?
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Cette rĂ©volution sâest prolongĂ©e tout au long du XXe siĂšcle. Le siĂšcle dernier a cherchĂ© Ă abolir les classes, lesquelles se sont mĂ©langĂ©es jusquâĂ ce que lâancienne hiĂ©rarchie ne forme plus quâun spectre de variations et de segmentations infinies. Les maĂźtres de lâunivers se sont mis du cĂŽtĂ© de la haute-couture et le prolĂ©tariat sâest inscrit Ă lâopposĂ©. En rĂ©alitĂ©, la mode est devenue une nouvelle forme de lutte des classes, les barricades en moins. Aujourdâhui, lâindustrie de la mode est une machine complexe. Elle est composĂ©e dâun grand nombre de couches diffĂ©rentes, chacune correspondant Ă la sensibilitĂ© dâune classe spĂ©cifique. Aussi, certaines de ces couches sont invisibles aux autres. Certains sont attirĂ©s par la haute-couture traditionnelle et autres crĂ©ations destinĂ©es Ă dĂ©clarer au monde leur pouvoir de consommation infini. Ensuite, vous avez la mode dâavant-garde, qui repousse les limites de la mode et rend obsolĂštes les tendances de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente â on peut parler de « demi-monde ». Et enfin, vous avez des centaines de styles diffĂ©rents, de lâintellectuelle Ă la working girl, en passant par la fly girl. Ces strates fonctionnent toutes de la mĂȘme maniĂšre mais prennent des apparences diverses. Les meufs de lâindustrie du sexe possĂšdent aussi leur propre mode â des fringues de dĂ©esses bimbo. Chaque strate fonctionne comme une micro-industrie-de-la-mode. Quoi quâil en soit, la mode, Ă nâimporte quel niveau, se doit dâĂ©voluer â sinon ce nâest pas de la mode, mais un style. La mode doit attirer lâĆil, et crĂ©er le temps dâun instant une nouvelle forme de beautĂ©. Lorsque notre vision est reformatĂ©e selon de nouvelles conventions, nous nous demandons comment nos parents â ou mĂȘme, notre soi dâil y a dix ans â ont pu trouver ces styles OK. Ont-ils jamais Ă©tĂ© OK, en faitâ? Ă bien y rĂ©flĂ©chir, peut-ĂȘtre que les pantalons de Barbara Stanwyck ou que les Ă©paulettes de Rita Hayworth nâont jamais Ă©tĂ© conçus pour charmer Fred MacMurray ou Glenn Ford â mais quâils ont plutĂŽt servi Ă Ă©radiquer les autres femmes. Le baby-boom a commencĂ© aprĂšs la seconde guerre mondiale, lorsque tous les soldats sont rentrĂ©s chez eux pour retrouver leur femme et leur lit. Ce nâest pas une coĂŻncidence si la mode sâest du jour au lendemain intĂ©ressĂ©e aux poitrines gĂ©nĂ©reuses de type Marilyn Monroe, Jayne Mansfield ou Sophia Loren. Oui, les corps aussi influent sur la mode. Vous vous souvenez de quand les mannequins avaient des formesâ? Si vous avez moins de 30 ans, câest impossible. Dâautant plus que les designers dâaujourdâhui ne cherchent quâĂ se faire applaudir Ă la fin de leur show et en consĂ©quence, ils ne prennent jamais de risques. Le sexe nâen essaie pas moins de faire son retour dans la mode, mais sous de nouvelles formes. Comme lâa Ă©crit Mary Eliza Joy Haweis dans son livre paru en 1879, The Art of Dressâ: « Lâhabit hĂ©site perpĂ©tuellement entre la nĂ©cessitĂ© dâĂȘtre vu et de la nĂ©cessitĂ© de couvrir. Une partie de la beautĂ© du corps est affichĂ©e tandis que le reste est sacrifié⊠Un jour, câest un morceau de bras ou dâĂ©paule qui est dĂ©nudĂ©â; lâautre câest au tour du pied ou de la taille. » Mais tout ne tourne pas quâautour de lâargent, de la classe sociale ou du sexe. Il sâagit aussi dâavoir un coup dâavance, du flair. Il sâagit dâĂȘtre prĂ©curseur et dâinfluer sur les tendances futures. Les femmes cherchent toujours Ă ĂȘtre imitĂ©es par dâautres. MĂȘme lorsquâil ne sâagit que de recyclage, la mode demeure la vraie religion de la modernitĂ©. La plupart des femmes qui sâintĂ©ressent et participent Ă la mode sâhabillent pour les autres femmesâ; seule une minoritĂ© sâhabille pour les hommes. Celles qui sâhabillent pour les femmes semblent appartenir Ă une classe plus Ă©levĂ©e que leurs consĆurs plus « sexuĂ©es ».
Leandra Medine, jeune reporter mode pour le blog Man Repeller, explique que la vraie poursuite de la mode converge avec « ce que les hommes dĂ©testent ». Elle dĂ©finit les vraies modeuses comme suitâ: « Ce sont celles qui sâhabillent avec des vĂȘtements bizarres, ceux Ă mĂȘme de repousser le sexe opposĂ©. Ces vĂȘtements comprennent â mais ne sont pas limitĂ©s aux â pantalons, ââboyfriend jeansââ, salopettes, Ă©paulettes, bijoux en forme dâarmes de poing, sabots, etc. » Les femmes qui sâinvestissent dans la mode ne sont pas rĂ©ellement motivĂ©es par la perspective de faire fuir les hommesâ; en revanche, elles veulent laisser entendre au mec hĂ©tĂ©ro de base que celui-ci ne connaĂźt pas les codes nĂ©cessaires pour comprendre ce quâelles portent â et de fait, la raison pour laquelle elles aiment ces fringues. La mode est toujours en avance sur la majeure partie de la population, et donc, sur le mĂąle alpha. Cela dit, la mode contient toujours une partie lisible et comprĂ©hensible pour lâhomme hĂ©tĂ©rosexuel. Certains ont beau se perdre dans les mĂ©andres de la mode et de ses codes, il arrive quâun style nous excite, tout simplement. Par exemple, on voit lâessentiel Ă travers la sophistication dâAzzedine AlaĂŻaâ: il rend les femmes sexy. On peut dire la mĂȘme chose des maĂźtres italiens â Antonio Berardi, Dolce & Gabbana, Gianni et Donatella Versace, et du nouveau venu sicilien, Fausto Puglisi, qui mâa ditâ: « Jâaime lâidĂ©e dâune fille si sĂ©duisante quâelle pourrait causer un accident juste parce quâun conducteur ne pourrait pas dĂ©tourner ses yeux dâelle. Câest mon cĂŽtĂ© sicilien. »âIl serait plausible que⊠la crĂ©ature humaine â qui par nature, n'est pas un animal vĂȘtu, mais un animal nu â revienne quoi quâil arrive Ă son Ă©tat dâorigine. Mais elle ne peut jamais atteindre ce but, quelle que soit la rĂ©volution du sentiment, de la santĂ© ou de la morale. La crĂ©ature doit ĂȘtre vĂȘtue, bien quâelle aspire Ă ĂȘtre habillĂ©e et dĂ©shabillĂ©e en mĂȘme temps.â
âMary Eliza Joy Haweis,
The Art of Dress, 1879Nous calculons aujourdâhui en permanence les signaux que nous envoyons Ă travers nos fringues â câest une sorte de lutte des classes instantanĂ©e qui se dĂ©roule sous nos yeux. Prenez Lady Gaga par exemple, avec ses seins gĂ©nĂ©reux et ses cornes qui lui poussent des Ă©paules. « Born this way »â? Pas exactement. Il sâagit dâaliĂ©nation volontaire. Aussi, en portant certains vĂȘtements, une femme peut sĂ©duire un homme tout en en Ă©loignant un autre. Nous ne pouvons plus nous permettre de plaire Ă tout le monde. Câest dangereux. Câest pour ça que les milliardaires ne portent pas de manteau en fourrureâ; ils portent des jeans. Aujourdâhui, mode et sexe sont codĂ©s. Et lorsque les gens arrivent Ă dĂ©coder votre look, en gĂ©nĂ©ral vous le savez. Dans lâAncien Testament, aprĂšs avoir mangĂ© le fruit de la connaissance du bien et du mal, Adam et Eve se sont soudain retrouvĂ©s honteux. Les vĂȘtements, selon toute vraisemblance, ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s aprĂšs cette rĂ©vĂ©lation satanique. Mais la rĂ©ciproque est possible. Dans On Human Finery, Quentin Bell Ă©crivaitâ: « Les races qui vont et viennent nues sont peut-ĂȘtre aussi coincĂ©es que nous autresâ; dâailleurs, les premiers vĂȘtements portĂ©s lâont sans doute Ă©tĂ© lors de danses Ă©rotiques, afin de dĂ©cupler lâexcitation des hommes. » Il se peut que de nos jours, le rĂŽle de lâhabit ne soit plus de bloquer lâexcitation mais au contraire de la manifester plus rapidement. Et Dieu sait si ce codage doit ĂȘtre minutieux pour que mode et sexe sâalignent en parfaite harmonie.