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Ce que l'on ressent lorsqu'on est fauché

Avoir des rapports sexuels, entretenir des amitiés et rester confiant en l'avenir – voilà des choses qui me sont impossibles maintenant que je n'ai plus une thune.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
frigo vide
Photo via l'utilisateur Flickr Steven Mileham

Quel est le plus petit montant d'argent que vous ayez eu ? Zéro ? Je ne parle pas du zéro métaphorique, celui qui veut dire « plus beaucoup », mais du zéro qui s'affiche sur le solde de votre compte, celui qui veut dire «plus rien ». Plus de découvert dans lequel taper, plus d'ami à qui emprunter, plus de pièces rouges à ramasser. Il ne vous reste plus que vous, votre esprit et vos organes, dont vous prenez tout à coup conscience de l'importance.

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J'ai atteint le zéro plusieurs fois. Rien de permanent ou de trop effrayant. C'était le temps d'une journée ou deux. Aucune raison tragique non plus : budget serré + mauvaise planification + manque de maîtrise de soi = zéro euro. Quoi qu'il en soit, quand vous atteignez le zéro, vous n'avez plus l'impression d'être une personne à part entière. Vous êtes impuissant, incapable d'interagir avec le monde qui vous entoure. Vous n'êtes plus qu'un spectre hantant une terre à laquelle vous n'appartenez plus. Vous repensez sans cesse aux événements qui vous ont mené à cet instant.

Bien sûr, à chaque fois que je me retrouve dans cette situation précaire, je n'ai que moi à blâmer. Je ne sais pas gérer mon argent. Je n'ai jamais économisé le moindre centime.

Je n'économise pas pour la simple raison que l'argent est le souverain de mes pulsions les plus fulgurantes et les plus immédiates. De l'argent en plus ? Bien sûr, le mieux serait de le mettre de côté afin de m'assurer un avenir stable, sauf que là, tout de suite, j'ai envie de beuh et de bière.

C'est cette impulsivité et ce manque de discipline qui m'ont mis dans la merde. J'attends désespérément le moindre chèque dans une panique croissante, je croule de plus en plus sous les dettes, aussi bien institutionnelles (30 000 euros de prêt étudiant, 13 000 euros de prêt bancaire et 700 euros de dette d'opérateur téléphonique) que personnelles (1 000 euros à mon ex, 180 euros à ma tante), sans véritable espoir d'en régler la moindre. J'avais l'habitude de contrer la peur et le dégoût de moi-même par des platitudes hippies, du genre : « L'argent est une illusion destinée à nous asservir » ou bien « tu es un artiste, tu recherches quelque chose de plus grand que l' argent », mais ces conneries ne changent rien au fait que je suis fauché et que je n'ai qu'un seul short à porter.

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Photo via l'utilisateur Flickr megawatts86

Photo via l'utilisateur Flickr megawatts86

Comme pour la plupart des couples, les plus grosses disputes de mes parents, celles qui nous envoyaient, moi, mes frères et mes sœurs dans nos chambres tremblants de peur, concernaient l'argent. Évidemment : l'argent (ou son absence) était la manifestation de tous les défauts de mon père en tant qu'homme. L'argent était le poison de notre vie de famille.

Quand elle ne se disputait pas avec mon père, ma mère (qui a tout mon respect pour avoir supporté quatre fils et un conjoint pourri par la drogue) partageait ses craintes avec moi. J'étais son fils le plus âgé et elle n'avait personne d'autre vers qui se tourner quand l'apocalypse financière nous guettait. Les larmes aux yeux, elle me disait n'avoir aucune idée de la façon dont nous allions payer l'électricité ou remplir le frigo. Elle me parlait de la honte qu'elle ressentait à notre égard et de son désespoir face à la situation. Sauf que le ciel ne nous est jamais complètement tombé sur la tête. Certes, nous ne partions jamais en voyage et n'allions jamais faire du shopping, mais nous n'étions pas les plus à plaindre du quartier. Notre frigo était toujours plein, nos lumières toujours allumées et mes frères et moi avons même pu jouer au hockey.

Pour moi, c'est cette ambiguïté mystérieuse, cette dimension catastrophique, qui définit l'argent. Le manque d'argent était une peur toujours présente mais jamais aboutie. Voilà pourquoi l'argent ne m'a jamais semblé réel. Élevé dans une maison où la principale source de revenu était un charpentier toxicomane, l'argent ne m'a jamais paru être quelque chose de stable ou de raisonnable, mais plutôt un bien mystérieux. L'argent ne semblait jamais matériel, ce n'était pas quelque chose que l'on pouvait compiler et gérer. Au contraire, c'était – et c'est toujours – une force toute-puissante et inexplicable qui nous entoure, à l'instar de la gravité ou du temps (la physique n'est pas mon point fort). Un truc qui affecte ma vie tout en restant hors de ma portée et de mon contrôle.

L'argent est devenu l'objet de mon traumatisme. Une des choses que j'ai apprises en thérapie, c'est que nous essayons constamment de recréer les circonstances dans lesquelles nous sommes le plus à l'aise, même si ces circonstances sont anxiogènes. C'est la raison pour laquelle je suis constamment en train de tout dépenser jusqu'à ce que j'arrive à zéro. Être fauché et incertain au sujet de mon avenir est épuisant et déprimant, mais c'est ce que je recherche.

Je ne veux pas dire que la solution est de travailler plus dur et d'économiser de l'argent. L'argent, cependant, ne se résume pas qu'à des chiffres sur votre compte. Ce sont vos rêves, vos libertés, et, finalement, vous. J'ai compris que l'argent a toujours été le véhicule de mon autodestruction parce que je me considère moi-même comme sans valeur – j'éprouve le besoin que mes comptes reflètent cela.

Je veux commencer à gérer mon argent comme si c'était une chose réelle, un truc que je contrôle. Cela implique de ne pas me contenter de jobs merdiques, d'oser demander plus d'argent quand il est mérité, d'accorder de l'importance à mon avenir et d'économiser. Première étape : déterminer où économiser de l'argent. Sous mon matelas, comme un fermier rebelle pendant la Grande Dépression ? Je sais ce que vous allez me dire : un plan d'épargne. Ouais, ça sonne bien, ça fait middle class. Je vais devenir le fier propriétaire d'un compte épargne élégant et sexy et le monde m'appartiendra.

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