L'histoire de l'enquête menée par le FBI sur le Wu-Tang Clan

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LE NUMÉRO MUSIQUE

L'histoire de l'enquête menée par le FBI sur le Wu-Tang Clan

Le groupe de rap new-yorkais a fait l'objet d'une investigation de la part de la police fédérale américaine – nous vous présentons ces documents.

Le gangsta-rap a toujours irrité l'épiderme du FBI. En 1989, l'assistant-directeur aux affaires publiques de la célèbre agence a envoyé une lettre à Brian Turner, alors président de Priority Records (et foyer de NWA), afin de protester contre le fameux brûlot du groupe, « Fuck tha Police ».

« Les officiers de police ont dédié leurs vies à la protection de nos concitoyens, et des enregistrements comme celui de NWA sont décourageants et dégradants pour ces dévoués agents », écrivait Milt Ahlerich du FBI.

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Plus de 20 ans après, le FBI est allé un peu plus loin et a relié directement la musique rap à l'augmentation de la criminalité et du nombre de membres de gangs, allégation infondée émise dans un rapport de 2011 livré par le National Gang Intelligence Center du FBI.

« Dans plusieurs juridictions, les unités de police attribuent également cette augmentation des gangs à la culture du "gangster rap", à la facilité de communication et de recrutement via Internet et les réseaux sociaux, à la prolifération de membres de gang formateurs, et à un manque de ressources pour les combattre », statuait le rapport.

Pendant des décennies, le FBI a enquêté sur des artistes légendaires, parmi lesquels Jimi Hendrix, les Doors, les Beatles, ou le Grateful Dead. Leur bureau a même lancé une investigation entière sur le « Louie Louie » des Kingsmen, afin de savoir si les paroles inintelligibles de la chanson violaient les lois contre l'obscénité.

VICE a récemment envoyé des demandes au FBI relatives à la Loi sur la liberté de l'information (FOIA) au sujet de leurs dossiers sur certains groupes de rap et de rock (incluant Slaughterhouse, Blink-182 et Radiohead). En attendant de recevoir ces dossiers (s'ils existent), il est toujours bon de se repencher sur l'un des cas les plus notoires de la collection « pop culture » du FBI : celui d'Ol' Dirty Bastard et des superstars du rap de Staten Island, le Wu-Tang Clan.

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Entre 1999 et la mort d'ODB en 2004, le FBI a travaillé main dans la main avec le Département de police de New York afin d'enquêter sur plusieurs crimes fédéraux imputés au Wu-Tang. En 2012, le FBI a publié un dossier de 95 pages sur ODB et le « WTC », l'acronyme avec lequel l'agence se référait au groupe. Les accusations soulevées dans le dossier (deal, implication dans divers gangs, meurtre) ont déjà été évoquées par le passé, mais peu d'attention a été portée sur l'étendue de l'enquête du FBI et la manière dont celle-ci a débuté.

1. Cette page est une communication électronique qui a servi d'ouverture au dossier. Elle indique que l'investigation part de New York et découle d'un référé du NYPD qui enquêtait sur les meurtres de deux dealers. La police suspectait alors RZA du Wu-Tang Clan de les avoir commandités, avec la complicité de Raekwon.

2. Ce code de classification, « 281F », montre que le FBI a classé le Wu-Tang Clan comme une « organisation criminelle majeure ».

3. « OC/DI » est un acronyme du FBI désignant les enquêtes liées au crime organisé et au trafic de drogue.

4. Ce sont des exceptions stipulées par le FOIA, dont le FBI se sert afin de protéger la vie privée d'un individu. Dans ce dossier, les exceptions de confidentialité protègent l'inspecteur du NYPD, lequel a demandé l'assistance du FBI et la (ou les) personne(s) qui, selon les administrations, ont « financé » les actions criminelles du Wu-Tang.

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5. Le dernier paragraphe de cette page contient les détails les plus croustillants. Les agents du NYPD ont sollicité l'appui du FBI afin de lancer une poursuite en invoquant la loi RICO contre l'« organisation » Wu-Tang Clan. Dans les années 1970, le Congrès avait fait passer cette loi pour que les procureurs puissent plus facilement dissoudre les familles mafieuses.

On peut lire ici que Ben Campbell, alors procureur fédéral adjoint dans le District Est de New York (le même bureau qui s'est chargé de l'instruction des pontes de la Cosa Nostra) « se déclare disposé à lancer une poursuite contre le WTC ». En d'autres termes, si l'on se fie à ce fichier, le Wu-Tang Clan, groupe hip-hop mythique ayant vendu des millions de disques, était au même moment une organisation criminelle qui trempait dans le trafic de drogue.

6. Cette page montre que le FBI avait demandé la permission de se rendre à Allentown, en Pennsylvanie, où la « RA » (le FBI local) « fournirait et comparerait les informations liées au trafic de drogue du gang des Bloods avec celles du Wu-Tang Clan ».."

7. C'est sans conteste l'une des pages les plus importantes du dossier du FBI sur le Wu-Tang Clan. Elle révèle qu'en avril 2000, moins de six mois après que le FBI a lancé son enquête, le bureau avait demandé l'assistance de l'unité FAST du FBI new-yorkais afin d'examiner « les affaires et les entités contrôlées par le WTC ». L'inclusion de cette unité souligne le sérieux de l'investigation. Il est impossible de trouver quoi que ce soit sur l'unité FAST par une simple recherche Google. Néanmoins, avec l'aide de l'avocat du FOIA, Jeffrey Light, nous avons découvert ce que FAST signifiait : analyse financière et ciblage stratégique.

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Cette unité a été citée durant une assemblée d'un sous-comité du Sénat le 25 juin 1990 afin de lutter contre les « zones d'intense trafic de drogue » dans la ville de New York. Selon une transcription de la séance du comité, David J. Ripa, l'assistant du commissaire régional au service des douanes, a affirmé que l'unité FAST avait été développée « en tant que partie intégrante des enquêtes menées par l'État de New York sur le blanchiment d'argent et le renseignement ».

« Cette unité décortique les rapports, saisies et preuves, et utilise une grande quantité de sources afin de déterminer des cibles majeures dans le cas d'enquêtes et/ou de poursuites. L'unité FAST, composée d'analystes, d'agents et d'inspecteurs, et complétée par les moyens de recherche de l'IRS [le fisc américain], du HHS [ministère de la Santé américain], du DEA [Lutte antidrogue], du Bureau du procureur du District de Brooklyn, de la police de l'État de New York et du Bureau du procureur du District de Manhattan, fournissait des moyens pour l'identification, l'évaluation préliminaire et la collecte de renseignements (de même que leur diffusion) à plusieurs équipes enquêtant sur les transactions d'argent réalisées sur le territoire américain. »

8. Les deuxième et troisième pages de cette partie du dossier identifient les différentes affaires gérées par le Wu-Tang Clan : leur boîte de production, leur maison de disques, ainsi que leur ligne de vêtements. Le FBI suspectait alors le Wu-Tang Clan de blanchir l'argent de la drogue via ces différents business. En effet, on peut lire sur le dernier paragraphe de la page que Campbell, procureur fédéral adjoint du District Est de New York, a requis l'aide du FAST. Il est également mentionné qu'un agent spécial assigné au « RIS » (que nous suspectons d'être une faute typographique pour désigner l'IRS ; aucune agence officielle n'a été capable de définir ce qu'était le RIS) avait la tâche d'« identifier les opérations financières à travers les biens et personnes dirigées par le WTC, en collaboration avec l'unité FAST ».

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9. La mention de l'unité C-30 du FBI new-yorkais vaut le coup qu'on s'y attarde. Selon un rapport du Bureau de l'inspecteur général du Département fédéral de la justice, le C-30 faisait partie d'une équipe luttant contre le crime violent, et dont la mission était de « désorganiser et démanteler les activités des gangs de rue violents identifiés par la National Gang Strategy du FBI dans les cinq districts de New York ».

10. En juillet 2004, le FBI a clos le dossier « 281F » et l'enquête contre l'« organisation criminelle majeure » Wu-Tang Clan, en notant que l'unité C-30 du FBI se chargerait de l'examen. De plus, le document du FBI stipule que l'agent secret qui a assigné le code « 267C » au dossier, code qui renvoie à des affaires d'homicides liés à la drogue, était en charge de l'affaire.

Le dossier Wu-Tang Clan du FBI a ressurgi à nouveau fin 2015 dans l'affaire des barons de la drogue de Staten Island – deux frères condamnés pour une affaire de trafic, l'un d'eux ayant été reconnu coupable des meurtres de dealers que le NYPD et le FBI suspectaient RZA et Raekwon d'avoir commandités. Au fur et à mesure que l'audience des frères approchait, l'avocat de l'un des accusés a averti la cour que son client, Anthony Christian, n'était pas responsable, mentionnant notamment l'enquête de cinq ans à propos du Wu-Tang Clan.

« Ces rapports [du FBI] semblent indiquer que quelqu'un d'autre était lié à ces meurtres. Je ne suggère pas que le Wu-Tang a commis ces crimes. Mais le FBI, si », affirmait alors l'avocat Michael Gold au Staten Island Advance. « Ce que j'essaie de montrer, c'est que cette déclaration dans le dossier officiel affirmait que le Wu-Tang avait commandité cet homicide. »

Malgré un an de tractations auprès des procureurs fédéraux pour obtenir une réouverture de l'enquête au sujet du rôle du Wu-Tang Clan dans ces affaires de meurtres, le juge fédéral de Brooklyn, Eric Vitaliano, a rejeté les appels de la défense. En juillet dernier, Christian a été condamné à la prison à perpétuité, pour meurtre.

Par voie de conséquence, RZA, Raekwon, et le Wu-Tang Clan ont été acquittés. La leçon que doivent retenir le FBI, le NYPD, Christian et son avocat de tout cela ? Que le Wu-Tang Clan ain't nuthing ta fuck wit.