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Comment mon passé de tête de Turc m'a aidée dans ma vie d’adulte

Avoir été harcelée à la fac par des filles cruelles ne m'a pas empêchée de mener une existence tout à fait satisfaisante, bien au contraire.

Une brute qui fait la brute. Capture d'écran de « Stand By Me »

Il paraît que la pire chose qui soit est d'être ignorée, mais il m'est impossible de le savoir. J'ai des cheveux tellement épais et frisés qu'on me voit arriver de loin. Je suis un peu prétentieuse. Je balance des blagues à haute voix, en en faisant des caisses, et je propose souvent à des inconnus d'aller boire un café, parce qu'après tout, pourquoi pas. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi sociable que moi, ce qui – tout dépend de vous – peut être une bonne chose comme une mauvaise.

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En grandissant, je n'ai pas non plus été ignorée. Mon penchant pour les livres, les débats et les tenues bizarres m'a valu les moqueries de mes camarades à l'école primaire – ces mêmes camarades qui ont continué à m'insulter et me taquiner au collège et au lycée, et qui m'ont ridiculisée en public à l'université. J'avais pourtant quelques amis, hors des institutions académiques que je fréquentais – autant vous dire qu'ils ne m'étaient d'aucune aide au quotidien.

Les rôles sont bien établis dans le harcèlement : d'un côté, la victime impuissante et introvertie, qui, au fil des années, devient de plus en plus fragile jusqu'à tomber dans la dépression et l'anxiété sociale. De l'autre, l'intimidateur – une figure violente qui a des « problèmes à la maison » et qui se défoule sur les plus vulnérables. Cela peut être vrai dans certains cas, mais d'expérience, je sais que ce n'est pas toujours tout noir ou tout blanc.

Il y a quelques années, je suis partie en week-end avec une amie proche, qui – tout comme moi – est extravertie au point d'en devenir odieuse. À un moment, je lui ai demandé si, d'après elle, nous serions devenus amies si l'on s'était rencontrées dix ans plus tôt. « Nous étions une bande de filles à l'école. Blondes, minces, avec beaucoup de maquillage. Personne ne nous embêtait », m'a-t-elle répondu, l'œil fuyant. « Pour être honnête, Sirena, j'aurais probablement fait de ta vie un enfer. »

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Elle sait tout au sujet du harcèlement que j'ai subi – et pour le groupe Facebook qu'une bande de filles de 19 ans a créé à la fac pour m'humilier. Elle le sait parce que je lui ai tout raconté – je n'éprouve aucune honte quant au fait d'avoir été harcelée. Ce n'est pas un petit secret ; c'est ce qui m'a aidée à devenir qui je suis aujourd'hui. Bien sûr, tout le monde ne s'en sort pas aussi bien ; j'ai la chance d'avoir pu surmonter mes problèmes, plutôt que d'intérioriser la douleur et la laisser me bouffer plus tard dans la vie.

Mon amie, semble-t-il, faisait partie du groupe des agresseurs. Elle se sentait visiblement honteuse lorsqu'elle m'a raconté la fois où ses amies et elle ont dit à une fille obèse à lunettes que le tombeur de la classe en pinçait pour elle, juste pour pouvoir se moquer d'elle quand elle irait lui parler. De même, elle n'en menait pas large quand elle m'a raconté la fois où elles avaient invité une fille impopulaire à une soirée pyjama pour lui raser complètement les sourcils.

« Ouais, tu étais une véritable garce à l'époque, lui ai-je dit. Mais ne t'inquiète pas trop, avec un peu de chance, elles s'en sont remises, tout comme moi. »

Liam Hackett

Liam Hackett est l'une des personnes les plus brillantes que j'ai rencontrées. À tout juste 24 ans, il dirige une agence de marketing digital après avoir fondé une association anti-harcèlement, Ditch the Label.

Lui aussi a été harcelé pendant l'adolescence, au point d'être hospitalisé après une attaque physique particulièrement brutale. Malgré cela, il affirme que ces expériences lui ont donné la force et l'ambition d'exceller dans les études et de se lancer dans une carrière qui le pousse à apparaître régulièrement dans les médias.

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« Le harcèlement que j'ai subi a été ma force motrice, déclare-t-il. Quand vous grandissez en étant rejeté, en tant qu'adulte vous cherchez à vous protéger. C'est ce qui m'a mené au succès. Il est étrange de dire que le harcèlement peut avoir un impact positif, mais tout dépend de la façon dont les gens le gèrent. Ça peut être une chose vraiment positive. »

Il est fascinant de rencontrer quelqu'un dont l'histoire est similaire à la mienne – quelqu'un qui peut comprendre qu'après avoir subi une telle violence, il est facile de relativiser au quotidien.

Pour toutes les personnes harcelées qui liraient ce papier, je comprends qu'un tel changement de comportement ne va pas avoir lieu du jour au lendemain. Pour s'en sortir, il faut déjà trouver une activité en dehors de votre sphère habituelle, afin de ne plus être seulement Celui Qu'on Persécute.

J'ai parlé à Lisa, une jeune fille de 21 ans qui vient de commencer la fac. Elle est pétrifiée à l'idée d'être encore une fois exclue et harcelée par ses camarades de classe. Elle est une cible depuis ses neuf ans. Elle a été harcelée verbalement, aussi bien en ligne qu'à l'école. On lui a souvent dit qu'elle devrait se suicider.

« Je n'ai pas postulé après mon lycée parce que j'ai souffert d'anorexie pendant des années, m'a-t-elle dit. Je venais tout juste de m'en remettre. J'avais tendance à ne pas parler du tout. J'ai peur de la fac parce que je ne veux pas revivre ce que j'ai vécu dans le passé. Je suis timide et je ne sais pas comment me faire des amis. Je panique tous les jours à cause de ça. »

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J'aimerais lui dire qu'à la fac, c'est différent – que les adultes ne se comportent pas comme des gros cons – mais je ne peux pas, parce que je n'en suis pas sûre. Tout ce que je peux affirmer, c'est que ça s'arrangera un jour.

Ana Bird a la vingtaine. Comme moi, elle n'a aucune honte ou gêne à admettre avoir été harcelée. Elle parle ouvertement du fait que, adolescente, elle se faisait frapper et insulter, brûler les cheveux avec un briquet, voler et détruire ses affaires, sans parler des rumeurs dont elle faisait l'objet.

Quand c'est devenu intolérable, elle a quitté l'école et, par un apprentissage autonome, elle a réussi à être diplômée. « Grâce au harcèlement, j'ai appris à copier des mécanismes, et je suis devenue une personne plus résiliente, affirme-t-elle. J'ai eu mon traumatisme, donc en tant qu'adulte je sais qui je suis et je suis à l'aise avec ça. Je m'aime comme je suis et dans un certain sens je le dois à mes intimidateurs, car ils ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. »

Cependant, le fait de se retirer des institutions qui ont échoué à la protéger n'a pas mis un terme aux conséquences du harcèlement sur la vie d'Ana. Elle est terrifiée à l'idée d'avoir des enfants par peur qu'ils puissent un jour vivre quelque chose de similaire à ce qu'elle a enduré.

« Je veux que mes futurs enfants soient éloquents, bien élevés, futés, studieux, or c'est le stéréotype même de la victime, déclare-t-elle. Ça me terrifie, parce que je suis passée par là. Le harcèlement détermine mon choix d'avoir des enfants ou non, et c'est assez triste. »

Le professeur Chris Kyriacou enseigne la psychopédagogie à l'université de York et a écrit d'innombrables ouvrages sur le harcèlement. Je lui ai demandé ce qui conduisait à devenir une brute ou une victime pendant la scolarité. Sa réponse a été rassurante : « Dans certaines circonstances, n'importe qui peut devenir une brute ou une victime, a-t-il déclaré. Mais souvent, une brute peut avoir des problèmes dans sa vie personnelle, et c'est pourquoi s'en prendre à quelqu'un lui offre du soulagement et un statut social. Les victimes sont souvent juste au mauvais endroit au mauvais moment. »

Le harcèlement peut être une chose terrible à subir, et je ne le souhaite à personne. Si vous êtes harcelé, il est important d'en parler à quelqu'un – que ce soit un ami ou un parent, ou une association comme Ditch the Label – car ils peuvent vous aider à vous en sortir. Il est également important de vous rappeler que les choses vont s'améliorer ; ça a été le cas pour moi, pour Liam, pour Ana, ça le sera pour Lisa, et pour vous aussi.

*Les noms ont été changés.