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Culture

Le covoiturage demeure l’un des plus grands refuges de tarés en France

Ce que l'on subit lorsqu'on partage la route avec de parfaits inconnus.
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Photo via Flickr CC.

Le covoiturage constitue à la fois l'un des meilleurs moyens d'économiser de la thune et l'un des plus grands risques de s'exposer à la connerie des hommes. L'idée de base de Covoiturage.fr, devenu Blablacar en 2013, se résume pourtant à une idée tout à fait louable : voyager en partageant les frais entre un conducteur et ses passagers, rencontrés sur Internet. J'en suis moi-même un utilisateur régulier depuis 2012.

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Lorsque j'ai commencé à me servir de Blablacar, je pensais qu'il était plus intéressant d'être conducteur. Ce qui est faux. J'ai appris avec l'expérience que c'était le passager qui avait la place du roi. C'est pourquoi certains d'entre eux se permettent tout, confondant le concept de covoiturage avec la prestation d'un Uber ou d'un taxi, d'où la création de conflits infernaux entre les deux partis. Un jour par exemple, j'ai pris un gars. Le mec avait l'air plutôt réglo, jusqu'au moment où sur la route, il m'a révélé qu'il voulait que je fasse un détour de 70 km par rapport au trajet initial, et ne comprenait pas du tout en quoi cela pouvait poser problème.

Heureusement, le site de Blablacar, qui compte aujourd'hui 35 millions de membres, a depuis mis en place un système de questions/réponses, évitant ainsi ce type de déconvenues – sans pour autant pouvoir se prémunir de toute mauvaise surprise. Il n'empêche : sur 35 millions de personnes, combien d'entre elles peuvent se révéler être des sociopathes, des fous en liberté ou juste des mecs sur lesquels vous ne voudriez surtout pas tomber la nuit dans une rue sombre ? Admettons : le pourcentage d'hommes atteints de psychopathie s'élève à 3 % selon le site Psychologies.fr, soit environ 1,5 % de la population totale. Ça veut dire que potentiellement, à peu près 500 000 personnes inscrites sur Blablacar ne ressentent aucune empathie pour leur prochain. C'est-à-dire : vous.

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Parmi les cas les plus suspects que j'ai vécus, je me souviens d'un gus de Vienne, dans l'Isère, il y a quatre ans. Celui-ci m'avait demandé de transporter une chèvre naine dans un carton en lieu et place de lui-même. Outre le fait que j'avais bien indiqué que je ne prenais « pas d'animaux », j'avais toutefois reçu ce message délirant, que je publie ici en version non modifiée :

« bonjour, je souhaiterai réserver un trajet mais pas pour moi mais pour 1 petit carton dans lequel il y a 1 petite chèvre naine toy de 2 mois. l'éleveur viendrait vous donner le colis à Vienne et moi je le récupèrerai à montpellier. . il n'y a absolument rien à faire du tout pout la biquette puisqu'elle aura du foin pour la réhydratation. et ce sera un petit carton d'environ 40x60cm (bien protégé et fermé). et bien entendu, l'éleveur vous montrera la chevrette dans le carton avant le départ. je vous remercie cordialement vous pouvez regarder mes avis sur le covoiturage d'animaux, tout se passe toujours bien et simplement »

Comme l'indique Laure Wagner, porte-parole de Blablacar à qui j'ai relaté ces anecdotes, « on ne peut pas remplacer les cerveaux des gens ! » Pour autant, un vrai travail de modération est opéré en interne : « les contenus du site sont passés au crible par 150 personnes, au centre Blablacar en France. Ils vont vérifier que les annonces et questions sont bien du covoiturage, au moyen d'une machine en learning. L'autre point que nous avons constaté, c'est que les gens ne lisent pas ce qui est écrit sur Internet », poursuit-elle. Et quelques jours après, quand j'ai posté une annonce de covoiturage, cela s'est vérifié : j'avais précisé que je ne passerai pas par le centre-ville, ce qui n'a pas empêché à un utilisateur de me demander « si je pouvais le déposer en centre-ville ». Ouais.

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Photo via Flickr CC.

Une autre fois, un passager athlète m'a demandé s'il était possible de prendre avec lui une perche de 7 mètres « dans ma voiture ou sur le toit » – j'avais indiqué « bagages moyens ». Une autre fois encore, et pour un trajet de quelque 800 km, une personne d'une cinquantaine d'années m'a demandé via le site si elle pourrait voyager avec sa « gentille chienne qui ne fera pas de bruit et ne dérangera pas ». À quel moment le pictogramme « animaux non admis » pourrait-il avoir un autre sens ? Après une discussion animée, la femme est quand même venue, sans son chien, bien heureusement.

« Un jour, sur un trajet Paris-Lyon, j'ai pris en covoiturage un gars qui était très sympa », raconte Jonathan, covoitureur depuis 2010. « Il me racontait qu'il photographiait des canards et d'autres oiseaux dans la Dombes. Et puis tout d'un coup, il nous sort qu'il a été enfant soldat au Cambodge. Ça a jeté un froid dans la voiture – puis on a discuté d'autre chose. »

Toutefois, ces histoires peuvent aller plus loin, jusqu'au sordide. En 2014 par exemple, un Nantais de 49 ans a tenté d'abuser sexuellement de sa passagère en la droguant au moyen d'anxiolytiques planqués dans du chocolat. Il semblerait que le conducteur s'était déjà servi de ce procédé par le passé, dans le même but.

Quand on demande à un conducteur de dresser le portrait type du passager casse-bonbons, les réponses diffèrent. Néanmoins, tous s'accordent à peu près sur cette définition, livrée par Quentin : « Quand un passager parle trop c'est chiant, et quand il ne parle pas du tout c'est pas mieux, me dit-il. Je déteste les passagers égocentriques ou encore qui confondent le covoiturage avec un Uber. On ne peut pas savoir à quoi s'attendre ; un mec qui avait l'air super-sympa va s'avérer être un gros connard, ou l'inverse. »

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À l'inverse, le passager cool est généralement quelqu'un qui s'intéresse au conducteur, et qui va pouvoir être éventuellement un bon copilote s'il n'y a pas d'autres passagers. Car bien sûr, il ne faut pas noircir le tableau. Le covoiturage est, dans la plupart des cas, extrêmement cool. Il m'est arrivé de discuter d'anthropologie avec un passager intelligent, de philosopher sur le sens et non-sens de la vie. Et il est également possible de voir sa vie bouleversée. C'est arrivé à d'autres : trouver l'amour de sa vie ou de son trajet, trouver un travail, rencontrer un futur collaborateur ou un ami.

Cela peut également donner lieu à des situations intéressantes d'un point de vue sociologique. Une fois, j'avais mis une annonce de covoiturage partant de Paris jusqu'à Deauville. À l'époque, je possédais une voiture antique (mais solide) : une Fiat Tempra. Au lieu de rendez-vous convenu, je vois alors arriver un homme bien propre sur lui, qui me confie sa housse de costume Kenzo. J'étais un peu gêné au vu de ma voiture, qui valait probablement 10 fois moins que son seul costume. Âgé d'une quarantaine d'années, c'était sa première expérience de covoiturage ; sans doute sa dernière aussi, vu qu'il n'avait « pas pu prendre le train pour Paris, complet » et qu'ensuite « un hélico l'attendait ». Le gars n'était pas très bavard, mais semblait toutefois satisfait de cette première expérience en ma compagnie, malgré la durée du trajet – doublée à cause des embouteillages.

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Cependant, il faut le reconnaître : tous les passagers ne se valent pas. Comme le suggère Jonathan, « la politesse c'est assez subjectif. Une fois, une passagère est restée tout le long du trajet au téléphone », ce qui est, il faut bien le reconnaître, assez infernal.Il est communément admis, par les règles de la politesse, par le bon sens ou encore par la logique, que lorsqu'une personne s'intéresse à une autre (même de façon feinte), il est de bon ton de lui répondre. Combien de fois des passagers à qui j'ai demandé ce qu'ils faisaient dans leur vie ne m'ont jamais demandé « et toi ? ». Ce qui est d'autant plus dommage lorsqu'un passager vient de disserter en solitaire pendant 1 h 30 sur sa conception de la vie.

Pour la porte-parole de Blablacar, c'est aussi ce qui fait le charme du covoiturage : « On peut rester en contact avec des gens, cela peut créer du lien – dans mon cas, je me suis fait cinq ou six amis par le covoiturage. Mais on peut aussi avoir voyagé pendant 3 heures avec quelqu'un, et se dire qu'on ne se reverra pas. » Reste que je me souviendrai de ce trajet de deux heures durant lequel un couple à l'hygiène approximative s'était roulé des pelles tout au long du voyage, m'offrant une sympathique vision à chaque fois que je regardais dans le rétroviseur.

Sans virer à la paranoïa, les passagers peuvent aussi avoir des comportements inattendus. L'autre fois, une passagère s'est mise à crier alors que j'étais sur l'autoroute, me faisant faire un petit écart. Ça n'a pas duré longtemps – le temps d'un hurlement. J'ai cru qu'il y avait une bête, un obstacle, mais en fait non. Elle avait simplement oublié son shampooing chez elle. Un autre truc récurrent et moyennement agréable : lorsqu'un tout autre passager que celui d'Internet se pointe au rendez-vous. Difficile dans ce cas de dire non. Pour pallier – en partie – cela, le site de Blablacar permet désormais de « réserver au nom de quelqu'un ».

Autre point à avoir été résolu par le système de paiement en ligne de Blablacar : la confiance en autrui. « Une fois j'ai pris une personne, qui dans la voiture m'a dit qu'elle n'avait pas de quoi payer. Même si ça m'a fait chier, je lui ai dit "tant pis" et l'ai conduite jusqu'à la destination convenue. Je n'ai pas trouvé ça honnête – mais le covoiturage c'est aussi la solidarité », se souvient Jonathan. Et en tant que passager, les surprises existent aussi. Une fois, je me suis retrouvé à l'arrière d'une caisse avec un chien presque aussi gros que moi, sans que le conducteur en ait mentionné la présence. Lorsque je me suis tourné vers lui, il m'a demandé, un peu tard : « ça ne vous dérange pas ? »

Selon une étude commerciale récemment menée par Blablacar, les membres de la communauté se feraient « plus confiance entre eux qu'à leur voisin ». C'est souvent assez vrai. Et en même temps, si votre intuition s'est gourée sur la personne, cela peut être tout le contraire. Car de ma propre expérience, il vaut peut-être mieux pour votre santé mentale (ou votre vie) de ne jamais revoir les conducteurs et passagers qui ont gâché plusieurs heures de votre vie sur la route. Quand ce n'est pas leur chèvre.

Guillaume est sur Twitter.