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La réouverture du Bataclan, un an après

Hier soir, la salle de concert célébrait sa réouverture après les attentats de novembre dernier.

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Samedi 12 novembre 2016,19h30. Comme chaque week-end, l'heure est à la fête dans les rues du 11ème arrondissement parisien. Sauf que ce soir, elle se tient dans une ambiance d'état de siège aux abords du Bataclan. Massés sur la terrasse de l'Apérock, le bar voisin de la salle de concert parisienne, des dizaines de personnes descendent leurs pintes au son intermittent des sirènes de police, tandis que la lumière fade des lampadaires est relevée par les lueurs bleues et rouges des gyrophares. Une cohorte de policiers contrôle les entrées à proximité. Le ton est donné. Dans une heure et demie, le Bataclan rouvrira ses portes au public, à la veille d'un anniversaire aussi redouté qu'attendu : celui des attentats du 13 novembre dernier. Et c'est Sting, venu pour la première fois dans cette salle en 1979, qui a été choisi pour célébrer cette renaissance.

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Mais en attendant le début du concert, une chape de plomb pèse sur les centaines de spectateurs coincés dans la file d'attente. Viviane, 23, ans, est étudiante en graphisme, mais aussi une abonnée du zinc de l'Apérock, sa « deuxième maison ». Accoudée au bar, elle tarde à s'engager dans la queue. Son regard intense balaie le boulevard, désert depuis que les forces de l'ordre l'ont bouclé. Et trahit cet état d'anxiété qui précède les moments importants : « Cette attente est très étrange. Tout le monde est en suspens, alors que d'habitude, les soirs de concert, les gens boivent des bières non-stop sur le boulevard. C'est tellement vide. J'ai l'impression d'être dans un western, au moment où les deux mecs du film sont sur le point de dégainer. »

Avec sa bande d'habitués de l'Apérock, ils n'ont pas hésité une seule seconde quand la date de réouverture du Bataclan a été annoncée : « En même temps, je n'avais pas vraiment le choix, j'ai dit en direct sur BFMTV que je serai là pour la réouverture. » Rire discret pour se décharger de sa nervosité. Puis le sourire s'évanouit, les mains tremblent : « Depuis une semaine, je me dis que cette soirée va être géniale, mais là je ne sais même pas si je vais arriver à rentrer dans la salle. Alors je me raccroche à des petits détails, je vais regarder le plafond, observer les rénovations. » Son pote Cédric, avec qui ils « pourraient être patrons du bar tellement ils y passent du temps et de l'argent », adopte la même ligne. « Je n'ai pas d'appréhension, j'essaye de ne penser à rien avant de rentrer dans le Bataclan », déclare-t-il. « Le truc, c'est de rester terre à terre, de laisser les choses se faire. On souhaite tous la même chose ici : The show must go on. »

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Dans la file d'attente, Didier, 48 ans, se distingue par ses yeux bleus, aussi délavés que son perfecto. Entre Rennes, Paris, Annecy et Los Angeles, ce vieux routard a toujours conservé le même amour de la musique. Et donc forcément du Bataclan. « Pour moi, cette salle, c'est avant tout ma jeunesse, une autre époque faite de punks et de bastons dans les concerts. C'est aussi ça qui a été attaqué le 13 novembre dernier. C'est ce que je viens défendre. » Mais Didier est surtout venu rendre hommage à Caroline, une amie tuée dans la fusillade. « Sa famille ne pouvait pas y aller, alors je leur ai fait la surprise », se réjouit Didier, qui enchaîne les interviews avec les journalistes. Besoin de parler, de laisser libre cours à une logorrhée apaisante qui masque son angoisse avant d'en découdre avec cette soirée. Car il est désormais l'heure de rentrer dans la salle, sous le regard de Jean, 58 ans.

Jean est un flic à l'ancienne, 35 ans de métier, bonnet Harley Davidson sur la tête et bagues têtes de mort aux doigts. Entre deux coups de talkie, il veille sur la foule, sans états d'âmes. Au cours de sa carrière, il a assisté à trois attentats : deux en 1995, à la station du RER de Saint-Michel, puis celle du musée d'Orsay, avant de porter secours aux blessés des explosions au pied du Stade de France en novembre dernier : « Ce soir, il n'y a aucun aspect émotionnel pour moi », assure-t-il. S'il reste professionnel, Jean n'est pas sans empathie. « Au Stade de France, j'ai vu des vertèbres étalées au sol, puis un bras déchiré. Mais je n'ai jamais eu de traumatisme. Je ne l'explique pas, certains collègues ne s'en sont pas remis, moi ça m'a tout simplement vacciné. Mais je comprends que les gens puissent être très émus ce soir », conclut-il en observant deux jeunes filles en pleurs, un bouquet de fleurs à la main.

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Pour Viviane, Cédric et leurs potes, c'est le moment d'entrer dans la salle, refaite à l'identique. Avec cette même sensation d'un temps suspendu et tendu. Les regards se croisent, les verres se remplissent au bar où un groupe trinque avec les serveurs, fêtés comme il se doit : « Bienvenue à la maison ! », hurlent les habitués. Quelques spectateurs arborent un badge estampillé CUMP, la cellule d'urgence médico-psychologique qui suit les rescapés et proches des victimes du Bataclan. Parmi eux, Claudine arbore un sourire à peine esquissé. Ce soir, elle a déjà croisé plusieurs personnes qu'elle avait suivies pendant des semaines, voire des mois : « Tous n'ont pas forcément voulu me reparler », explique-t-elle. La plupart ont abandonné en route la thérapie qu'ils avaient commencée. Sans qu'elle leur en tienne rigueur : « La thérapie se fait par petites touches, ça ne marche pas d'un trait. Les gens ont souvent du mal à l'accepter, c'est normal c'est frustrant. Mais elle est souvent nécessaire quand les gens ont été confrontés à une telle violence physique. »

Sting en concert. Photo publiée avec l'aimable autorisation du Bataclan

Les lumières se tamisent, le silence se fait. Sting apparaît sur scène et commence par une minute de silence, respectée par les spectateurs de la salle aux 1500 places, qui affiche complet pour l'occasion. Dans le public, les membres du gouvernement Audrey Azoulay et Juliette Méadel, mais aussi Anne Hidalgo et Valérie Pécresse se sont déplacées. François Hollande, lui, est venu quelques heures plus tôt en signe de soutien. A mesure que les chansons s'enchaînent, Sting assure une prestation qui se joue sur un fil. Entre commémoration sobre et euphorie festive, de « Message in a bottle » à « Roxanne », la star anglaise entretient cette ambivalence. Avec l'aide d'Ibrahim Maalouf, monté sur scène pour « Fragile » et « Inch Allah ». Dans la salle, les applaudissements sont appliqués, chacun veut montrer son envie de simplement profiter. Puis les cris deviennent plus naturels, la musique prend le pas sur le contexte. La fosse s'anime, les mains se lèvent, la danse s'empare d'une partie du public. Jusqu'au bouquet final acoustique de «The Empty Chair », chanson écrite en hommage à Jim Foley, photojournaliste américain assassiné par Daech en Syrie en 2014. Un morceau pour atterrir et se souvenir.

Après une heure et demie de concert, la boucle est bouclée pour Sting, et la foule peut doucement quitter cette salle qu'elle craignait tant d'investir. Hébétés ou enivrés par cette première prise de contact avec le « nouveau » Bataclan, resté le même finalement, les spectateurs ressortent au compte-goutte. Didier est un des premiers. Il a hâte de partir, comme soulagé : « Je suis fier d'avoir rendu ce bel hommage à Caroline. Et fier de ne pas avoir craint un seul instant qu'une catastrophe nous tombe dessus pendant le concert », glisse-t-il avant de s'engouffrer dans la froideur des boulevards. Bien plus tard, c'est au tour de Viviane de revenir à l'air pur. Son regard a changé : « C'était de la joie pure ! Ça ne résout pas tout, mais ça fait beaucoup de bien. Depuis un an, j'avais l'impression de vivre en off, je ressentais une grande douleur à chaque fois que je m'approchais du Bataclan. Là j'ai passé un cap. J'ai hâte d'y retourner. »

Barthélémy est sur Twitter.