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Nos ancêtres étaient cannibales

Si vous étiez un hominidé vivant en Europe de l’ouest au Paléolithique, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, vos préoccupations tournaient autour de quelques missions essentielles : trouver une grotte habitable, courtiser un(e) partenaire potentiel(le), et éviter d’être bouffé par votre voisin.

Nos ancêtres lointains s’adonnaient occasionnellement au cannibalisme. Longtemps, nous avons cru que cela n’arrivait que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque les sources de nourriture se faisaient si rares que les individus n’avaient pas d’autre choix qu’en venir aux pires extrémités pour survivre. Pourtant, un nouvel article publié dans Scientific Reports nous explique que les motivations du cannibalisme étaient sans doute plus complexes qu’il n’y paraît. Au-delà de l’apport calorique qui permettait parfois à nos ancêtres de ne pas mourir de faim dans des conditions extrêmement rudes, les Néandertaliens et les membres de l’espèce Homo erectus mangeaient parfois leurs semblables sans être motivés par la faim.

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La chair humaine « n’est pas très nourrissante », explique l’auteur de l’étude, James Cole, maître de conférences en archéologie à l’Université de Brighton. Cela signifie qu’en cas d’alternative (chair animale non-humaine, céréales, etc), il est très improbable que les hominidés aient préféré dévorer leur petit-cousin plutôt qu’une cuisse de mammouth bien charnue, sans motivations profondes pour cela.

Jusque-là, on a évoqué l’hypothèse de la préférence culturelle, du cannibalisme guerrier, et même du phénomène psychotique.

Pour arriver à cette conclusion, Cole a comparé la valeur calorique de la chair d’animaux qui étaient communs dans les régions d’Europe de l’ouest où l’on a retrouvé les preuves archéologiques du phénomène de cannibalisme – comme à Les Pradelles, en France. L’étude explique que massacrer un mammouth, un auroch ou un bison permettait d’accéder à un garde-manger de 2000 calories par kilo de viande. L’hominidé moyen, lui, ne fournit que 1 300 calories par kg de muscle : en d’autres termes, cela ne vaut pas le coup de passer un temps déraisonnable à traquer un congénère (l’humain est substantiellement plus intelligent que le bison), quand il y a de gros mammifères de plusieurs centaines de kilos à disposition.

« Une proie humaine est aussi maligne que vous, court aussi vite que vous, se bat de la même manière que vous », explique Cole. « Il est donc difficile de la tuer, et les risques associés sont considérables, notamment sur le plan social. En termes de bénéfices caloriques, ce n’est pas rentable. »

Pourtant, nos ancêtres ont bel et bien pratiqué le cannibalisme, et ce de manière répétée. L’étude a passé en revue les résultats de neuf fouilles archéologiques distinctes apportant les preuves que les premiers hominidés mangeaient parfois des membres de leur propre espèce il y a près d’un million d’années. Avant l’article de Cole, on imaginait que ces cas s’expliquaient simplement par la recherche d’une source calorique facile d’accès. Maintenant que le bénéfice/risque d’une telle entreprise a été évaluée, ce présupposé est remis en question. Selon le scientifiques d’autres facteurs sont en jeu.

La grotte de Gough. Image : Chris Allen/Wikimedia Commons

« J’imagine plusieurs scénarios. Ça pourrait être : ‘Nous avons un territoire, ces gens ne l’ont pas respecté et ont fait irruption sur nos terres, nous devons régler ça avec un petit festin humain’ », explique Cole en passant en revue les motivations potentielles des hominidés cannibales. 

Il évoque également des preuves de cannibalisme rituel sur le site de la grotte de Gough, en Angleterre. Le site a seulement 14 700 ans, et abritait les restes de cinq personnes dûment dévorées. Il est apparu que, après que les corps aient été consommés, les crânes ont été nettoyés, conservés et « modifiés pour en faire des bols » explique un papier de Silvia Bello, du Natural History Museum.

« Il y avait sans doute une sorte de rituel tournant autour de l’utilisation du crâne de ces individus. Le reste du corps a été mangé », déclare Cole.

« Au fil des années, nous avons soulevé toutes les hypothèses possibles pour expliquer l’acte de manger autrui au Paléolithique. On a pensé à des préférences culturelles, à des motifs médicinaux, rituels, guerriers, et même à des phénomènes psychotiques », ajoute-t-il.

Son travail suggère que nos ancêtres avaient un comportement complexe, et qu’il existait de fortes différences culturelles entre les communautés. « Ces hominidés étaient aussi différents les uns des autres que les humains d’aujourd’hui », explique Cole.

Nous savions que les Néandertaliens portaient des bijoux et enterraient leurs morts. Ils possédaient probablement, eux aussi, des sociétés complexes empreintes de tendances contradictoires, que leur propension au cannibalisme cristallise certainement de notre point de vue.

« Nous, archéologues et paléontologues, devons nous remettre en question, et accepter le fait que nous avons, nous aussi, des préjugés sur les anciens hominidés. Nous projetons ces nos attentes sur nos observations, ce qui nous conduit à sous-estimer la complexité du comportement de nos ancêtres, qui étaient tout sauf de bêtes brutes, » conclue Cole.