Jusqu’ici tout va bien, mais les réserves mondiales de pétrole s’épuisent et l’exploitation des gaz de schistes et autres sables bitumineux ne feront que retarder l’atterrissage. Et si cette perspective semble merdique, notre caca pourrait bien nous sortir de cette situation délicate. En novembre dernier, la compagnie britannique GENeco dévoilait son premier bus carburant aux excréments humains, notamment conçu pour améliorer la qualité de l’air au Royaume-Uni. Aussi alambiqué que cela puisse paraître, il semblerait que nos excréments soient la seule source de carburant infiniment renouvelable dont dispose l’humanité pour continuer son train de vie infernal.
Le procédé est relativement simple et existe à l’état naturel. Il suffit de priver d’oxygène des matières organiques pour que leur fermentation dégage un gaz inflammable, le méthane. C’est ce qu’on peut observer à la surface de certains marais. Et quand ce phénomène est provoqué par l’homme, on parle de biogaz. Ce processus est applicable aux eaux usées – plutôt pratique, sachant que les Parisiens en produisent près de 30 mètres cubes par seconde, soit l’équivalent du débit de la Seine en période estivale.
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« Nos eaux usées sont composées plus ou moins à 95 % d’eau, et si on savait transformer l’eau en pétrole, ça se saurait. Ce qu’on peut transformer en biogaz, ce sont les “boues” résiduelles, la matière brute », m’a expliqué Pascal Peu, ingénieur-chercheur à l’IRSTEA (Institut de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture ) de l’unité de recherche de gestion environnementale et de traitement biologique des déchets.
« On parvient à extraire 4 à 5 mètres cube de biogaz par tonne de matière brute. Et un mètre cube de biogaz est composé à 60 % de méthane et à 40 % de dioxyde de carbone et de quelques sulfites, présentes en quantités infimes. Ensuite par compression et les molécules de méthane (CH4) étant plus grosses que celles de carbone (CO2), on arrive à isoler le méthane du reste. »
Et c’est ce dernier qui peut être utilisé comme carburant. « Il faut comprendre que les boues ont un potentiel bio-méthanogène assez faible. On doit donc jouer sur les volumes, dont un mètre cube équivaut en production énergétique à environ un litre de fuel ou 1,5 kg de charbon », a précisé Pascal Peu, avant d’ajouter : « Le problème est un peu le même que pour les autres sources d’énergies renouvelables. La production de bio-méthane, notamment sa compression et sa liquéfaction, sont des procédés gourmands en énergie. Et il ne faut pas que l’énergie nécessaire à sa production soit supérieure à celle dégagée par sa combustion. Sinon le bilan est nul et c’est stupide. » Même rengaine pour les panneaux photovoltaïques : coûteux à fabriquer, composés de matériaux rares et difficiles à recycler une fois leur fin de vie atteinte.
Si la Suède et la Norvège font rouler des bus aux biogaz depuis plusieurs années et que l’Angleterre vient de réaliser leur première, la France et l’Allemagne ne l’entendent pas exactement de la même oreille. Avec déjà 8000 unités de productions de bio-méthane, l’Allemagne a fait le choix d’utiliser son biogaz, produit essentiellement depuis des cultures agricoles spécialement dédiées à cet effet, pour la production électrique. C’est la même direction que prend la France. « Une direction liée aux politiques publiques incitant, par des tarifs de rachats attractifs, l’injection des biogaz dans le réseau national de production d’électricité », note Pascal Peu. Depuis 2012, les biogaz ont en effet l’autorisation d’être distribués dans le réseau national, mais, avec seulement 150 unités de méthanisation, la production reste marginale et ne pèse que 1,5 % du volume de gaz consommé et 3 % des énergies renouvelables produites. La part de ces dernières dans le mix énergétique en France est aujourd’hui de 13,7 %. L’objectif fixé par le gouvernement d’atteindre 23 % en 2020 sera soutenu par l’installation programmée de 1000 unités de méthanisation.
En réalité, nous pouvons fabriquer du bio-méthane à partir de n’importe quelle matière organique. Les déchets agricoles sont ceux qui concentrent les efforts de l’industrie car ils sont homogènes et faciles à traiter. Les boues résiduelles des stations d’épurations commencent également à être ciblées. Patrice Renard, patron de Methaneva estime « à au moins 30 000 le nombre d’habitants nécessaire pour qu’une unité de production de méthane depuis des eaux usées soit intéressante. »La construction de la première usine du genre en France a débuté à Strasbourg début septembre. « La méthanisation des déchets requiert un traitement en milieu anaérobie, il faut donc de nouvelles installations », commente Patrice Renard.
Pourtant l’expérience des transports publics roulant au biogaz a déjà été tentée en France. De 1994 à 2004 à Lille, quatre bus ont fonctionné au bio-méthane avant que le projet ne s’arrête. Patrice Renard s’en souvient et pointe plusieurs problèmes liés à cet abandon. « L’épurateur installé en 1994 était de mauvaise qualité – ensuite, les techniques de traitements n’étaient pas celles d’aujourd’hui et l’usine où les bus devaient s’approvisionner était trop loin. » L’alimentation des bus de l’agglomération lilloise au gaz comprimé n’a cependant pas été arrêtée. D’autres villes, quelques entreprises et particuliers disposent également de tels véhicules – il y en aurait environ 10 000 en France, mais le bio-méthane, étant injecté dans le même réseau de distribution, n’est cependant pas dissocié des gaz fossiles. On parle donc de véhicule roulant au gaz-carburant, où le méthane, massivement d’origine fossile (donc non renouvelable), est à l’état gazeux dans les réservoirs.
Fervent partisan des véhicules roulant au gaz-carburant, Patrice Renard pointe l’absence de structure permettant son développement : « Il faudrait que les constructeurs automobiles français équipent les voitures et les bus – il s’agit d’adapter les réservoirs pour accueillir du gaz, les moteurs étant identiques aux véhicules roulant aux GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié) –et aussi disposer de stations de gaz-carburant. Actuellement il n’y a pas de marché, pas de station à gaz-carburant et pas d’équipements pour des véhicules qui rouleraient aux GNV (Gaz Naturel Véhiculé). L’initiative appartient aux grandes villes qui ont un parc automobile et un réseau de bus important. »
Un domaine où la France est à la traîne de ses voisins européens. À peu de chose près, on recense en Italie 400 000 véhicules fonctionnant au GNV alimentés par plus de 1000 stations, l’Allemagne a un parc en constante progression et 900 stations et on dénombre en Suisse 140 stations pour 8 millions d’habitants.
Pierre Denis-Farge, patron et héritier de DEFA, l’une des rares entreprises à faire en France du gaz naturel comprimé pour véhicules, du GNV, regrette « l’absence de volonté politique pour développer des stations et inciter les constructeurs automobiles. Des marques allemandes et italiennes ont déjà une offre de véhicules carburant au GNV développée. Pourtant la législation est en place. Les contrôles techniques pour les voitures roulant au GNV existent. ». En fait, faire rouler des véhicules au gaz carburant n’est pas vraiment une idée neuve. Dans la pénurie d’après-guerre, les gisements naturels de méthane furent largement utilisés comme moyen de propulsion. « C’est en 1948 que notre famille a installé le poste de compression et de distribution de GNV à Saint-Girons », se souvient Pierre Denis-Farge.« Une source de carburant que les politiques n’ont pas retenu comme option. Mais les décisions politiques sont réversibles », croit-il. Et à l’époque, l’avenir c’était le diesel et on n’envisageait pas le pétrole comme une ressource épuisable.
D’un point de vue environnemental, faire rouler des véhicules aux biogaz est idéal. Pas de rejet de particules fines qui sont provoquées par la combustion de corps gras et un bilan carbone nul, car il s’agit d’une ressource renouvelable. Des problèmes d’émission que ne connaissent également pas les moteurs électriques dont l’offre des constructeurs français commence à s’étoffer. Mais sur ce sujet, outre l’origine de la production électrique, ce sont les batteries au lithium, matériau rare, polluant et difficile à recycler une fois hors d’usage, qui concentrent les attentions des écologistes.
« Ça y est, on fait rouler un bus avec du biogaz et demain tout le monde roulera avec… Ils en ont parlé au JT. J’ai des doutes, mais il y a des choses à faire. C’est un secteur qui bouge beaucoup, alors peut-être pas demain, mais il faut y croire », conclut Pascal Peu. Nos déjections peuvent attendre avant de nous faire carburer, mais la voie, aussi impénétrable soit-elle, est en train d’être pavée.
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