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Nostalgie de l’East End : quand West Ham jouait à Upton Park

Dans l’épilogue de son livre Long live The Boleyn, Freddie Bonfanti raconte sa douleur et son deuil lorsqu’il a appris que West Ham emménageait au London Stadium. Publié fin 2016, le livre décrit la culture d’Upton Park et de West Ham en tant que club de foot à travers des photos en noir et blanc prises à l’intérieur et à l’extérieur du vieux stade. Tout en capturant des centaines de rituels de jours de match, des moments au cœur des matches ainsi qu’une grande partie du tempérament des supporters de West Ham, les clichés présentent également la vie locale dans son état naturel et son authenticité. On y voit des fans dans les cafés, des pies et de la purée, le Pearly Kings et d’innombrables pubs bondés. Il y a également des enfants qui jouent au foot à l’ombre des barres, des supporters tatoués vendant des fanzines et, au milieu de tout cela, des milliers de détails qui expriment ce qu’a signifié, un jour, être fan de West Ham. Et ce, tout en dépeignant l’esprit du quartier londonien tel qu’il était avant que le club ne passe à autre chose.

Lorsque les clubs de foot décident de déménager pour des raisons commerciales et financières, le coût humain de l’entreprise n’est quasiment jamais évalué. En regardant les photos de Freddie, il apparaît évident qu’il est simplement impossible de déraciner un club de son foyer traditionnel et de s’attendre à ce que la culture du club reste la même. L’identité d’un club de football est profondément enracinée dans ses alentours, pas seulement à cause de son implantation physique mais aussi à cause des souvenirs collectifs, des repaires familiers et des monuments, des odeurs et des sons des jours de match. Ajoutez à cela les commerces locaux dont l’existence-même dépend du club – les pubs favoris, les brasseries et les baraques à frites dans lesquelles les supporters ont passé un nombre incalculable d’heures – et la réalité de la délocalisation semble bien plus profonde que les platitudes de Karren Brady, l’adjointe au président du club, à propos du changement de “valeurs” et du développement de “l’attraction globale” de West Ham.

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Bien que le London Stadium ne soit à seulement quelques kilomètres de ce qui est le siège de West Ham depuis 112 ans, la différence entre Stratford et Upton Park est marquée. Alors que le premier quartier est désert par endroits – quelques terrains vagues, le centre commercial Westfields, un groupement de quartiers résidentiels – le dernier bouillonne d’activité, bordé par des pubs victoriens délavés et dont les rues sont envahies par le Queen’s Road Market. En discutant avec Freddie, la différence fondamentale que cela fait pour ceux qui supportent le club devient encore plus évidente. « Pour moi, c’était toute l’expérience qui rendait la chose spéciale, dit- il. Ce qui nous manque tous, c’est le coin, surtout maintenant qu’il faut traverser un centre commercial pour se rendre au stade. »

Bien qu’Upton Park fut loin d’être le stade le plus raffiné du pays, son authenticité et son atmosphère étaient uniques. « À Upton Park, c’était réel, raconte Freddie. Lorsqu’on allait au stade, de la même manière que lorsque tu vas à Crystal Palace ou à QPR, c’était comme être ailleurs – c’était le Londres qu’on connaissait. » Dans une ville de plus en plus dominée par les monolithes de verre et autres nouveaux quartiers sans charisme, l’Upton Park était une sorte de vestige d’une époque passée. C’était un lieu d’héritage pour beaucoup, bien que trop brut pour être reconnu comme tel par d’autres que les supporters de West Ham.

En créant un album de photographies d’Upton Park et de ses alentours, Freddie voulait à l’époque préserver quelque chose de cet héritage collectif pour la postérité. En parlant de ce qui a motivé le projet, il dit : « J’ai toujours pensé que nous avions quelque chose de spécial à l’Upton Park. C’était l’antithèse du football moderne, vraiment, c’était tout ce que le football moderne n’était pas. Nous avions une communauté forte et un gros groupe de supporters, donc dès que l’on nous a appris que nous allions déménager à l’Olympic Stadium, je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un garde une trace de tout ça, pour que l’on puisse se souvenir de cette époque. »

Après avoir posté quelques photos sur Twitter et reçu des retours positifs, l’idée de faire un reportage photo est venue à l’esprit de Freddie. Il a commencé par en tirer 1000 exemplaires, dont les profits des 300 premiers ont été reversés au Fonds Bobby Moore. Le livre est déjà un succès aujourd’hui, ce qui n’est pas une surprise étant donné les débuts chaotiques de West Ham au London Stadium et la vague de nostalgie qui s’en est suivi. « Je veux vraiment juste m’assurer que les fans puissent garder quelque chose, quelque chose grâce auquel ils pourront se rappeler la bonne vieille routine du samedi à l’Upton Park », explique Freddie.

Par rapport au changement culturel et identitaire du club qui a accompagné sa délocalisation, Freddie semble quelque peu désenchanté : « Je pensais qu’il faudrait beaucoup de temps avant que les choses ne changent, mais là, même cette année, c’est comme supporter une toute autre équipe. Ce n’est plus ce que c’était avant, donc je suis heureux d’avoir pu immortaliser quelques aspects de l’ancien West Ham. » Les photos sont même disposées dans l’ordre du rituel de jour de match de Freddie, en commençant avec quelques pubs – dont le très populaire Black Lion à Plaistow – puis la marche vers le stade, l’arrivée aux guichets, les tourniquets puis les tribunes. Il y a quelque chose de poignant dans ces clichés. Economiquement, culturellement et socialement, on se demande si le quartier de l’Upton Park s’en remettra un jour, et comment est-ce que cette partie de l’est de Londres va s’en sortir sans le club.

Lorsqu’on lui a demandé si le processus de réalisation du livre l’avait aidé à faire un peu son deuil, Freddie a semblé quelque peu partagé. « Peut-être un peu, mais ça reste douloureux à vivre. Beaucoup de gens qui ont lu le livre ressentent la même chose – qu’il y a beaucoup de douleur. Ce n’est que maintenant que les gens réalisent qu’on nous a vendu un rêve corporate, mais au regard de cette année, je préférerais largement revenir à l’Upton Park pour être honnête. »

D’un point de vue commercial, Freddie comprend pourquoi la direction de West Ham a décrété que le changement était nécessaire. « Je comprends le fait que les équipe de football aient besoin de progresser et que changer de stade est inévitable dans le football moderne, dit- il. Sur le long-terme, je suis certain que le club bénéficiera du changement. C’est simplement que je ne suis plus aussi excité qu’avant le samedi en me rendant au match. » Alors que se rendre à l’Upton Park était l’une des expériences typiques du football anglais, il est dur de dire la même chose du London Stadium, du moins dans un futur proche. Au regard du ressentiment de Freddie par rapport à la délocalisation ainsi que de tout ce qui a été dit et écrit ces derniers mois, West Ham semble courir le danger de s’aliéner beaucoup de ses supporters traditionnels de la classe ouvrière à cause de sa prétention à accéder à un standing corporate. Ils ne représentent plus l’est de Londres à l’ancienne, et n’attirent peut-être même plus autant les clans de l’East End qui constituent la majorité du cœur de leurs supporters.

Cela annonce-t-il une transformation imminente de la fanbase de West Ham ? Ça reste à voir. Peut-être que c’est ce que Karren Brady veut dire lorsqu’elle parle de changement d’image, la population de Stratford étant plus en accord avec des valeurs à la mode que celle de Green Street et de l’Upton Park. Même si le London Stadium peut encore faire ses preuves : qui sait à quoi ressemblera le club par la suite ? En attendant, les supporters de West Ham ont ces photos pour leur rappeler leur club tel qu’il était, afin de ranimer leurs souvenirs des pubs, des cafés, des chants, des rires, des petits rituels et de leur ancienne arène.

Le livre de Freddie est disponible ici.