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Pourquoi la fusion nucléaire n’est-elle pas notre unique source d’énergie ?

Le plus grand projet de réacteur à fusion au monde est encore retardé.
X-ray Sun. Photo: NASA/Wikimedia Commons

X-ray Sun. Photo: NASA/Wikimedia Commons

Le rêve de l'utilisation de la fusion nucléaire comme source d'énergie universelle a connu un gros coup dur en début de semaine après une annonce plutôt décourageante : il faudra encore dix ans et 4 milliards d'euros supplémentaires pour que le premier réacteur ne soit mis en route.

Cela signifie que le Réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) construit en France ne sera pas testé avant 2025, et qu'il faudra attendre au moins 2035 avant qu'il puisse être utilisé à son plein potentiel, selon des documents publiés par le journal Les Échos.

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Un représentant d'ITER, un projet international faisant intervenir l'Europe, la Chine, la Corée du sud, l'Inde, le Japon, la Russie et les Etats-Unis, a confirmé à Motherboard que 2025 et 2035 sont les dates pressenties, quoique optimistes, si l'on se réfère à l'avancement actuel du projet. Un agenda officiel, plus précis, devrait être annoncé au mois de juin.

Des estimations antérieures, que le chef de projet Bernard Bigot a qualifié de « parfaitement irréalistes, » avaient programmé les premiers « tests plasma » pour 2020 et la fusion nucléaire en bonne et due forme pour 2023.

Le fait que le projet soit encore peu avancé n'est guère surprenant. L'utilisation de la fusion nucléaire n'est pas exactement un objectif facile à atteindre. Du moins, pas si l'on désire qu'elle atteigne une efficacité suffisante pour remplacer l'énergie fossile. Le cœur du réacteur ITER devra atteindre les 150 millions de degrés Celsius, selon ITER, à savoir une température 10 fois plus élevée que celle du noyau solaire. Il faudra fusionner des atomes d'hydrogène pour créer de l'hélium, ce qui aura pour effet de produire une énorme quantité d'énergie qui sera contenue par un puissant champ magnétique.

Si cette énergie est commercialisée, les bénéfices seront énormes : plus d'émissions carbone, plus de déchets nucléaires, juste un approvisionnement en deutérium et en tritium que l'on trouve respectivement dans l'eau et dans le lithium.

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« La fusion est si complexe. Vous n'imaginez pas à quel point. »

Il existe une blague récurrente selon laquelle l'horizon de la fusion serait perpétuellement repoussé de trente ans, et ce depuis le milieu du siècle dernier. Mais admettons que les dernières estimations sont réalistes et que tout se passe comme prévu. Que se passera-t-il une fois qu'ITER aura démontré son bon fonctionnement, en 2035 ?

Dennis Whyte, directeur du Centre d'études du plasma et de la fusion du MIT, fait remarquer qu'il y a un monde entre un test réalisé avec succès et une centrale à fusion capable de fonctionner sur une période prolongée.

« La fusion est extrêmement complexe, » affirme Whyte. « Nous connaissons bien les principes scientifiques qui la sous-tendent, mais quant à la rendre viable économiquement parlant, c'est une autre histoire. Pour le moment, nous nous contentons d'extrapoler. »

Quand le projet ITER sera achevé, il pourra générer 10 fois l'énergie qui lui est nécessaire pour fonctionner. Cependant, à terme, les centrales à fusion devront être au moins 5 fois plus puissantes que cela.

L'objectif est donc de créer un modèle agrandi du tokamak d'ITER : il mesurera 25 mètres de long, possèdera une masse de 23 000 tonnes, et devrait être réalisé environ 15 ans après qu'ITER a atteint son plein potentiel , c'est-à-dire vers 2050. Ensuite, un prototype, qui servira de modèle aux organisations désirant leur propre réacteur à fusion, sera construit.

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Tout cela signifie qu'il faudra attendre le milieu du siècle avant qu'une centrale à fusion ne puisse alimenter le réseau électrique, si toutefois les recherches entamées se poursuivent sans heurts.

Concept du tokamak d'ITER. Image © ITER Organization

Construire un réacteur à fusion efficace n'est pas suffisant. Il faudra également intégrer cette nouvelle source d'énergie dans l'économie globale sans déséquilibrer le secteur de l'énergie, explique Whyte. Si la construction de centrales à fusion est trop onéreuse, les pays pauvres ne pourront pas se l'offrir.

« Si vous introduisez une source d'énergie que seuls les pays riches peuvent s'offrir, vous allez devoir vous confrontez à une myriade de nouveaux problèmes, » explique-t-il.

Il faudra alors régler des problèmes politiques et économiques très complexes. Et parvenir à surmonter les défis techniques qui permettront d'intégrer pleinement la fusion dans les infrastructures et technologies actuelles. Les avions, les bateaux, et la plupart des véhicules fonctionnent grâce au pétrole. Il faudra évidemment les adapter au tout-électrique, ou utiliser les réacteurs à fusion pour créer du carburant à base d'hydrogène.

Whyte était persuadé que la fusion nucléaire serait parmi nous avant la fin du siècle. Mais avec la menace du changement climatique, ce sera peut-être déjà trop tard. Il estime que tout pourrait être prêt avant 2050 si les investissements dans la recherche étaient plus importants. Peu de projets de recherche sur la fusion trouvent des financements, car tous les regards sont tournés vers ITER : nous avons, en quelque sorte, mis tous nos œufs dans le même panier.

« ITER est une expérience scientifique inestimable, bien entendu, » ajoute-t-il. « Mais nous avons besoin que ces technologies soient développés par d'autres programmes en parallèle. »

Cela inclue le projet de construction du réacteur ARC, qui fera environ la moitié de la taille d'ITER mais produira une quantité d'énergie similaire grâce à un nouveau modèle de superconducteur générant un champ magnétique extrêmement puissant. Jeff Bezos (Amazon) et Paul Allen (Microsoft) ont déjà investi dans la recherche sur la fusion au travers des entreprises General Fusion et Tri Alpha.

De nouveaux matériaux et de nouvelles technologies, comme l'impression 3D, ont rendu Whyte confiant quant à la viabilité économique future de la fusion. Il espère que les gouvernements et les multinationales seront aussi optimistes.

« Je pense que nous devons commencer à prendre des risques, dès maintenant, » ajoute-t-il. « Il faut arrêter de se reposer sur nos lauriers en espérant que d'ici 50 ans, nous aurons trouvé la solution parfaite. »