On a parlé au cerveau du « Beergorithme » à l'origine du Netflix de la bière

Comme bon nombre de ses semblables, Charlie Mulligan est sorti de l'université avec un goût amer dans la bouche – pas forcément causé par son dernier repas au Crous.

Il avait échoué à l'UE de base. La conception de la bière qu'il avait développée pendant ses années d'études, se réduisait à la descente régulière de canettes insipides et paraissait plutôt éloignée de la richesse et de la complexité des parfums du monde de la « bonne bière ». Une fois loin du campus, surpris de boire autre chose que des lagers mal coupées ou des fins de fût, il s'est alors plongé dans le circuit des brasseries artisanales.

Mulligan s'est tellement épris de ce nouveau nectar qu'il a fini par démissionner de son job d'analyste financier pour fonder BREWPUBLIK avec son pote Zach Jamison – plusieurs années de bouteille dans le milieu de la bouffe et de la boisson. Leur start-up est censée faciliter la vie des amateurs de houblon en faisant le tri dans le nombre abrutissant de bières sur le marché.

BREWPUBLIK utilise un algorithme particulier, le « Beergorithme », chargé d'établir des suggestions de bières à destination des consommateurs. BREWPUBLIK livre aussi la bière sélectionnée à votre domicile. Ce système est pour l'instant uniquement disponible dans l'État de Caroline du Nord. Mais les deux collaborateurs prévoient bientôt d'étendre leur service à toute l'Amérique en attendant peut-être un jour de traverser l'Atlantique.

Nous sommes allés parler au co-fondateur et PDG de BREWPUBLIK Charlie Mulligan de cet algorithme qui mêle bonne binouze et « serious business ».

**MUNCHIES : *Est-ce que tu bois beaucoup de bières* ?** Charlie Mulligan : Oui, bien sûr. Pendant longtemps, même si je n'aimais pas trop ça, j'ai bu des bières américaines produites industriellement type Bud ou Miller. C'était les seules qu'on pouvait se payer avec mes potes. Après l'université, j'ai commencé à toucher aux bières artisanales et ça a été une révélation du genre : « Wahou, mais la bière peut avoir du goût en fait ! ». À partir de ce moment-là, je n'ai pas arrêté et je partage cette passion avec le co-fondateur Zach.

*Est-ce que le marché des bières artisanales est difficile d'accès pour le consommateur ?* Oui, c'est justement pour ça que BREWPUBLIK existe. Il y a des gens qui sont un peu obsédés par la bière artisanale, ils s'échangent des messages sur des forums en ligne et dépensent beaucoup de temps et d'argent pour mettre la main sur des trucs assez rares. Mais c'est un marché de niche qui n'est visé que par les fabricants de bière artisanale. À l'autre extrémité du spectre des consommateurs, vous avez votre grand-père qui ne boira rien d'autre que de la Bud jusqu'à sa mort.

*Mais ce n'est pas le profil du consommateur lambda non plus.* Exactement. Environ 80 % des consommateurs se situent entre ces deux exemples, le connaisseur et le type à la Bud. Et la plupart d'entre eux savent ce qu'ils aiment mais voudraient tester de nouvelles choses.

*À quel moment as-tu compris que tu pourrais aider les consommateurs à se décider face au nombre incalculable de bières disponibles à la vente ?* J'étais avec Zach dans un supermarché près de chez nous et on a vu un type sortir un pack de six du frigo. Pack qu'il a regardé avant, en quelque sorte, de se décider à l'acheter. Il s'est d'abord dirigé vers les caisses, puis a fait demi-tour et parcouru le chemin en sens inverse avant de prendre un autre pack. C'est là qu'on s'est dit que choisir une bière était devenu bien trop compliqué. Tout le monde a déjà vécu cette histoire. Avec BREWPUBLIK on aide les gens à résoudre cette équation. Bonus : ils n'ont pas besoin de se déplacer jusqu'au supermarché.

*Et comment vous faites ?* Aller acheter un pack de bières à 12 $ pour se rendre compte une fois chez soi qu'on trouve le goût dégueu, c'est un peu le bad. C'est aussi prendre le risque de se retrouver avec cinq bouteilles qui prennent de la place dans le frigo et qu'on va essayer de refourguer à ses potes au prochain apéro. BREWPUBLIK permet de choisir dans le dédale de bières disponibles et d'essayer des expériences nouvelles tout en restant dans sa zone de confort.

*BREWPUBLIK utilise un algorithme, comme Netflix ou Amazon, pour ces suggestions.* Oui. On l'a appelé le Beergorithme.

*C'est quoi le Beergorithme ?* J'ai une formation en finance et j'ai aussi pas mal jonglé avec les algorithmes statistiques. En fait, notre Beergorithme fonctionne de la même manière que celui de Pandora, l'application qui choisit votre musique en fonction de ce que vous écoutez. Il ne ressemble pas à Netflix ou Amazon dont les recommandations de produits reposent sur les choix d'autres consommateurs. Perso, je trouve que Netflix fait des suggestions toutes nases que je n'ai jamais envie de regarder.

*En quoi le Beergorithme permet de faciliter l'achat de bières artisanales ?* Chaque bière est analysée selon plusieurs critères établis par un panel d'experts professionnels pour pouvoir décrire son goût. Quand nos clients créent leur profil, ils choisissent une ou plusieurs bières. Ensuite, ils nous indiquent s'ils préfèrent les bières plus ou moins houblonnées, celles plus ou moins fruitées, les brunes ou les blondes, n'importe quel critère. Toutes ses variables sont intégrées par le Beergorithme qui établit une sélection de nouvelles bières à tester en fonction du profil de l'utilisateur et ce calcul engendre automatiquement de la variété dans les bières proposées.

*Donc si j'aime les India Pale Ales, qu'est-ce que l'algorithme va en déduire ?* Si tu les aimes très houblonnées avec cette saveur boisée, presque de pin, l'algorithme va te proposer une bière qui correspond à ce profil et peut-être quelque chose de légèrement différent – un peu plus maltée que celle que vous préférez mais toujours très houblonnée. L'algorithme a aussi un joker et soumet l'idée d'une bière saisonnière mais au final, vous obtenez une sélection très variée et très personnalisée.

*Cette entreprise ressemble un peu à une conversation alimentée par la bière qui serait devenue réalité.* Il y a eu effectivement quelques bières impliquées dans le processus ! Cela faisait déjà quelque temps que Zach et moi cherchions des idées d'activités à développer dans le monde de la bière artisanale. On s'est rendu compte qu'il existe actuellement près de 4 500 brasseries aux États-Unis. Ce chiffre s'est multiplié par trois en dix ans. Une nouvelle brasserie ouvre chaque jour, c'est assez dingue. Nous sommes situés en Caroline du Nord, à Charlotte. Rien qu'ici, on compte dix-sept brasseries pour 1,5 million d'habitants. C'est juste ouf. On s'est donc dit que ce n'était pas une bonne idée d'ouvrir encore une autre brasserie – beaucoup de gens le font déjà.

*Est-ce qu'on peut dire que BREWPUBLIK est un moyen de prêcher en faveur de la bière artisanale pour contrer les géants industriels de la bière ?* Disons que plein de gens achètent de la Blue Moon parce qu'ils connaissent son goût et n'auront pas de mauvaises surprises. Avec BREWPUBLIK, on leur dit « OK, tu aimes la Blue Moon, une bière produite à la chaîne par une entreprise sans âme qui réalise des milliards de bénéfices, pourquoi ne testerais-tu pas une petite mousse aux saveurs assez proches, brassée dans ta région par un artisan qui aime son métier et qui a meilleur goût ? »

*Pas mal comme suggestion. Merci de nous avoir parlé, Charlie.* De rien !