La France craint que la Russie tente de favoriser l’élection de Marine Le Pen

La Russie pourrait tenter de faire pencher la balance en faveur de Marine Le Pen, candidate d'extrême droite aux élections présidentielles d'avril prochain. C'est ce que redoute la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), qui se prépare à une campagne de désinformation organisée par le Kremlin, rapporte Le Canard enchaîné.

Selon le journal hebdomadaire français, la Russie chercherait à accroître les chances de gagner de la candidate du Front National en inondant le web de millions de messages positifs à son sujet et en rendant public le contenu de courriels confidentiels de ses adversaires politiques pour tenter de les déstabiliser.

Ces risques seraient assez pris au sérieux pour que la prochaine réunion sur la sécurité intérieure de l'Élysée porte précisément sur cet enjeu. La DGSE et le Kremlin n'ont pas répondu à nos demandes d'entrevue à ce sujet.

D'après les résultats d'un sondage récent, Marine Le Pen remporterait le premier tour des élections, mais serait battue au second tour par le candidat centriste Emmanuel Macron. Pour sa part, le candidat du parti Les Républicains, François Fillon, favori il y a une semaine, serait au troisième rang après les accusations de détournement de fonds publics : alors qu'il était ministre, il aurait versé à sa femme un salaire pendant plusieurs années pour un emploi fictif.

Depuis que les services du renseignement américain ont accusé la Russie d'être derrière le piratage des serveurs du Comité national démocrate (CND) et d'avoir perturbé les élections présidentielles, beaucoup présument que la cyberarmée du président russe, Vladimir Poutine, s'attaquera ensuite aux élections de 2017 en Europe.

WikiLeaks, qui avait publié les courriels piratés du CND ainsi que ceux du président de la campagne de Hillary Clinton, John Podesta, aurait obtenu ses informations des pirates russes. Mais le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange a à plusieurs reprises nié que ses informations provenaient de Russie.

Déjà, WikiLeaks a mis en évidence des documents de ses archives concernant Marine Le Pen et François Fillon. Et Julian Assange a déclaré à un journal russe qu'il avait découvert de nouvelles informations sur Emmanuel Macron dans le cache des courriels de Hillary Clinton, sans donner plus de détails.

Selon Ben Nimmo du Atlantic Council's Digital Forensic Research Lab, la campagne de désinformation russe se déroulerait en trois phases.

Premièrement, des bots informatiques publieraient sans arrêt des messages sur internet pour donner de la visibilité au parti d'extrême droite et nuire à ses opposants.

Deuxièmement, les comptes des candidats seraient piratés et tous les renseignements compromettants seraient rendus publics, soit sur WikiLeaks, soit par les médias qui les auraient reçus d'une source anonyme.

Troisièmement, l'agence de nouvelles du Kremlin, Sputnik, qui a lancé une version française de son site web en 2015, publierait des articles flatteurs sur Marine Le Pen et critiques envers ses adversaires. L'agence publie à l'occasion des articles équilibrés, mais, selon Ben Nimmo, ce n'est que pour rendre plausible leur déni.

« La plupart de ces tentatives n'auront que des effets marginaux, mais ils amplifient le message de Le Pen, dit Ben Nimmo. Dans une élection très serrée, ce peut être décisif. »

Comme on l'a vu avec la victoire de Trump et le vote en faveur du Brexit, un petit coup de main et quelques points de pourcentage supplémentaires peuvent avoir des conséquences majeures. Si des renseignements incriminants découverts dans des courriels font pencher l'opinion publique d'un côté, une défaite peut devenir une victoire.

Marine Le Pen a soutenu la Russie à de plusieurs reprises par le passé. Récemment, elle a critiqué les sanctions économiques imposées par la communauté internationale en raison de l'annexion de la Crimée en 2014. D'après des articles dans les médias russes, elle a même promis de reconnaître que la Crimée est un territoire russe si elle est élue présidente.

Son parti n'a jamais caché qu'une banque russe lui avait accordé un prêt de 11,7 millions pour financer ses campagnes électorales. Une dizaine de banques françaises avaient auparavant refusé d'aider le parti. Une société dirigée par un ex-agent du KGB avait aussi accordé un prêt de 2,5 millions à l'ancien chef du Front National, Jean-Marie Le Pen, le père de Marine Le Pen.

En décembre, les médias français ont aussi révélé que Marine Le Pen avait sollicité un prêt de 30 millions pour financer sa campagne à la présidence auprès d'une banque étroitement liée à Vladimir Poutine.

Selon Ben Nimmo, la meilleure défense contre les campagnes de désinformation, c'est la vigilance de la population.

« L'acteur le plus important, c'est la société civile, et non le gouvernement. Les médias français et la société civile sont bien au courant de la menace et cherchent des moyens de la contrer. Le mieux, c'est la sensibilisation. Plus la population prend conscience qu'elle doit y réfléchir à deux fois avant de croire ou de relayer des informations douteuses, moins les campagnes de désinformation auront du succès. »