On a parlé du haka avec un expert de la culture maorie

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On a parlé du haka avec un expert de la culture maorie

Inia Maxwell connaît tout sur cette danse emblématique des All Blacks.

Cet article a initialement été publié sur VICE.

« Je ne voudrais pas pinailler, mais les All Blacks actuels font un haka trop rapide », affirme Inia Maxwell – un type qui sait de quoi il parle. Depuis plus de vingt ans, Maxwell est un expert de la culture maorie. Il a donné des cours à Matt Damon, fait le tour du monde avec le New Zealand Maori Arts and Crafts Institute. On peut dire sans prendre de risques que l'on retrouve, derrière beaucoup de hakas incroyables, l'expertise, la passion et l'influence d'Inia. Il est actuellement au Brésil pour « faire tomber les barrières autour de notre culture ».

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« Nos joueurs actuels ont pourtant une belle intensité, ajoute-t-il pour adoucir son propos. On voit que ça vient du cœur. La passion, l'intensité de l'exécution et le fait qu'ils comprennent ce qu'ils font comptent plus pour moi que la vitesse. »

Depuis seize ans, Maxwell travaille régulièrement avec l'équipe de rugby néo-zélandaise. Il a d'abord été engagé pendant la Coupe du monde 1999 au pays de Galles par le capitaine Taine Randell pour « discuter avec l'équipe de ce que signifie le haka ». À l'époque, il travaillait avec Adidas pour mettre sur pied une publicité rendant hommage à l'histoire des All Blacks. Seul problème : l'équipe n'était pas à la hauteur. Maxwell hausse les épaules : « Ils croyaient faire du bon travail, mais ils manquaient de passion. Ça a été un grand plaisir de leur raconter l'histoire du Ka Mate. »

Le haka, que Maxwell appelle « la porte d'entrée de la culture maorie », est emblématique du rugby néo-zélandais, presque autant que les victoires quasi-systématiques. « Le Ka Mate est l'un des deux hakas des All Blacks, et probablement le plus connu, précise Maxwell. C'est un haka des Ngāti Toa, une tribu de Nouvelle-Zélande. Il raconte l'histoire d'un chef qui est poursuivi par des guerriers. Il se cache dans un fossé, avec l'aide d'une dame qui neutralise toutes les incantations et les sortilèges que les guerriers utilisent pour le débusquer. Il se cache, et il chante pour lui-même. »

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_« _Ka Mate, Ka Mate__, la partie interprétée avant le match de rugby, est en fait le dernier tiers du haka, ajoute-t-il. Cela veut dire : _Vais-je mourir, vais-je mourir ? Vais-je vivre, vais-je vivre ?_ Ça se poursuit ensuite avec la description de cette personne et de ses zones, disons, velues. » Il s'arrête et réfléchit. « Écoutez, dit-il, rapporté à l'action, ce que ce vers signifie est assez évident. Ça finit par : Vont-ils m'aider à voir de nouveau la lumière du jour ? En avant… J'ai vu la lumière du jour à nouveau. »

Voilà en gros ce qu'il a raconté à l'équipe de 1999, et le demi d'ouverture Andrew Mehrtens a levé la main pour demander ce que tout cela avait à voir avec le rugby. « Absolument rien, lui a répondu Maxwell. Mais je ne vois pas pourquoi vous feriez quelque chose dont vous ne comprenez pas la signification. Beaucoup de joueurs n'apprécient la culture maorie que lorsqu'ils quittent le pays. »

Il leur a ensuite demandé de danser leur haka devant lui. « Il existe une vidéo de Kees Meuws expliquant ce qui s'est passé ensuite, raconte-t-il. Je lui ai dit : "C'était pas terrible, non ?" Et il m'a regardé avec l'air de dire "C'est qui ce petit con ?" Alors j'ai enlevé ma chemise et je me suis lancé dans ce haka. »

Maxwell en train d'interpréter le haka qu'il mentionne ci-dessus.

La férocité de l'action, la simplicité de l'expression et le sentiment transmis sont émouvants. S'il est décrit sur Youtube comme un "haka incroyable", c'est pour de bonnes raisons. Et pourtant, la chose la plus remarquable, ce sont ses yeux, leur lueur intense. « C'est beau de l'interpréter et de l'utiliser comme une passerelle vers tout ce qu'on fait d'autre, ajoute-t-il. Il ne s'agit pas de faire des grimaces horribles et de tirer la langue sans raison. »

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Le haka réalisé à Twickenham en 1953. Photo PA images.

Né à Rotorua en 1975 dans une famille whanau « distinguée », Maxwell exécute son premier haka à l'âge de quatre ans. Il achève ses études en théâtre et arts du spectacle à Hastings puis trouve du travail sur le tournage de Xena, la guerrière. Par la suite, il obtient un emploi comme créatif chez Saatchi & Saatchi, se spécialise dans la culture maorie et travaille sur le tournage d'Invictus comme spécialiste du haka.

Les talents de Maxwell, combinés à sa vivacité intellectuelle et à ses manières charmantes, l'ont promu au rang d'ambassadeur culturel international.

« Après avoir fini ce haka, en 1999, dit Maxwell, je suis resté 15 secondes à les regarder, en tenant la pose. Je voulais être certain qu'ils avaient compris non seulement le haka, mais aussi l'histoire qu'il raconte. »

« C'est un mode de vie, explique-t-il. Quand je danse le haka, ça parle de moi. Cela me rend fier de mes origines, de ce que je représente. Je ressens aussi une grande responsabilité vis-à-vis de mes ancêtres. Danser un mauvais haka, c'est irrespectueux. Et maintenant, les All Blacks considèrent eux aussi que ça ne se fait pas. Richie McCaw le dit d'ailleurs : "Le jeu ne commence pas au coup de sifflet, il commence quand on fait le haka." C'est une chose qu'il a assimilée. Pour moi, cela veut dire qu'ils ont compris l'importance du haka. »

Mais le haka n'est qu'un début. En tant que professeur de culture maorie, Maxwell rencontre de plus en plus de gens qui veulent comprendre son histoire. « Il y a comme un lien animal qui se tisse avec ceux qui voient le haka pour la première fois, dit-il. Ils ne le comprennent pas vraiment, mais ils veulent en faire partie. » D'après Maxwell, il se passe quelque chose d'exceptionnel et d'« incroyablement difficile à décrire » lorsqu'on exécute son premier haka. Plus tôt ce mois-ci, alors qu'il était à Rio avec le New Zealand Maori Arts and Crafts Institute, Maxwell a exécuté un haka sous la statue du Christ Rédempteur et n'a obtenu d'autre réaction que celle de deux supporters français qui, en réponse, ont entonné leur hymne national. C'était la veille du match qui a vu les Français se faire écraser 62 à 13. Ils se sont un peu accrochés, mais selon Maxwell, ce n'étaient que des « provocations ».

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Richie McCaw, à l'époque capitaine des All Blacks. Photo Reuters.

Le haka comporte un aspect sacré, et c'est une chose qu'on ne peut apparemment pas ignorer sans représailles. « L'histoire montre que les équipes peuvent être un peu ignorantes ou défiantes envers le haka, poursuit Maxwell, plus sérieusement. Je me rappelle quand l'équipe d'Australie a continué de faire ses échauffements pendant qu'on faisait notre haka. Ils n'auraient pas dû. Ça a juste rendu nos joueurs plus déterminés et on leur a mis une sacrée raclée. » D'autres équipes ont également réagi au haka de façon mémorable : la France en 2011, quand les joueurs, main dans la main, ont formé un V et ont avancé jusqu'à la ligne médiane, ou bien contre le pays de Galles quand les joueurs les ont regardés fixement pendant quelques minutes afin de leur faire baisser les yeux.

Mais il serait intéressant de savoir comment une ancienne tradition maorie a été associée au rugby. L'histoire des All Blacks et du haka est parfois contradictoire. Maxwell l'attribue à l'équipe des New Zealand Maori Native qui, en 1988-1989, a fait une « tournée phénoménale » à travers le monde pendant laquelle elle a disputé 107 matchs. « Avant de jouer contre l'Angleterre, ils ont fait un haka, ajoute Maxwell. La réaction de l'Angleterre a été de chanter l'hymne national. »

Les All Blacks avant leur demi-finale de Coupe du monde face à l'Afrique du Sud en 2015. Photo Reuters.

Mais la raison pour laquelle la Nouvelle-Zélande chante à la fois l'hymne national et le haka est encore obscure. S'agit-il simplement d'effrayer l'adversaire ? « Non », répond Maxwell. La notion de survie fait du haka un allié idéal du joueur de rugby, bien qu'il soit sans lien historique réel avec ce sport. « Lorsque les joueurs de rugby marquent un essai, ils survivent, dit Maxwell. C'est aussi simple que ça. »

Récemment, Maxwell a été au centre de la campagne publicitaire de Beats by Dr. Dre pour les All Blacks, pour laquelle il a écrit et interprété un tout nouveau haka. « Ce haka parle de nos origines et de notre identité. En faisant ce haka, on dit aux gens d'où l'on vient. La seconde partie du haka montre comment on aborde les défis, c'est-à-dire en donnant tout ce qu'on a. On y va pour gagner. »

Dans la publicité, on peut voir un groupe de jeunes garçons du lycée de Rotorua. Depuis qu'ils travaillent avec Maxwell, ils sont devenus champions nationaux du haka. « Tout le monde s'attendait à ce qu'ils fassent une fois de plus figure de demoiselle d'honneur, ajoute Maxwell avec un sourire, mais ils ont gagné. Peut-être que ce n'est pas une coïncidence. »

Alors que notre entrevue touche à sa fin, Maxwell évoque une fois de plus son rapport avec le haka. « Cela définit tout ce que je suis, soupire-t-il. Ma famille, mes ancêtres. C'est tout cela qui m'accompagne lorsque je danse le haka. C'est mon identité. »