Jean-Louis Malé cassoulet Castelnaudary

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On a mangé un cassoulet avec le grand maître de la Confrérie du Cassoulet de Castelnaudary

Jean-Louis Malé, 67 ans, a consacré une bonne partie de sa vie à la spécialité du Sud-Ouest qu’il s’emploie à élever au rang de trésor gastronomique mondial.

Pensez-vous qu'un type qui affirme manger « 60 à 70 cassoulets » par an – soit l'équivalent, tenez-vous bien, d'une à deux portion du « divin plat » par semaine – puisse réussir l'exploit de rester élégant, svelte et, par-dessus le marché, non pétomane ? Cet oiseau rare existe, je l'ai rencontré et j'en suis témoin : malgré tout ce qu'il engloutit, il est sain de corps et d'esprit. Mieux, il tient un cabinet d'assurance à Castelnaudary, preuve qu'il sait prendre des risques, jusque dans son estomac.

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S'agit-il d'un insatiable glouton ? Pas seulement – le bonhomme jouit d'immenses circonstances atténuantes : il est le grand maître de la Grande Confrérie du Cassoulet de Castelnaudary. Un titre prestigieux.

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Jean-Louis Malé, 67 ans, ingurgite 60 à 70 cassoulets par an. Toutes les photos sont de l'auteur.

Car Jean-Louis Malé, 67 ans, consacre une bonne partie de sa vie à la spécialité de Castelnaudary qu'il s'emploie à élever au rang de trésor mondial. Ne souriez pas, c'est du boulot ! Début septembre, par exemple, il mènera une délégation d'une vingtaine de personnes jusqu'à l'ambassade de France en Italie pour préparer un « repas cassoulet » Il travaille aussi au montage d'une opération similaire à New York pour 2017, avec la complicité d'Ariane Daguin, fille de l'ancien chef étoilé André Daguin, elle-même à la tête d'une entreprise à succès qui commercialise du foie gras chez l'Oncle Sam. En septembre dernier, lors des festivités organisées pour les trente ans de « D'Artagnan », le nom de sa boîte, elle avait proposé une « Cassoulet War » (sic !) – un concours de dégustation de cassoulets confectionnés par quinze chefs new yorkais.

Le cassoulet est le premier plat cuisiné français. Il s'en produit 85 000 tonnes par an, dont 23 000 tonnes de haut de gamme.

Le genre d'événement qui ne peut échapper à la vigilance de Jean-Louis Malé. Car au nombre de ses missions de Grand Maître, en sus du folklore, prévaut le lobbying économique. « Je trouve normal, quand on est un professionnel installé à Castelnaudary, de se préoccuper de la promotion et de la défense du cassoulet. Le cassoulet est le premier plat cuisiné français. Il s'en produit 85 000 tonnes par an, dont 23 000 tonnes de haut de gamme. 95 % de ces 23 000 tonnes haut de gamme sont faites à Castelnaudary ». Son engagement débute il y a plus d'un quart de siècle au sein de la confrérie, dont il est le trésorier ou encore le président du comité de dégustation avant d'accéder à la fonction suprême. Une dévotion. Un sacerdoce.

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À droite : Jean-Louis Malé dans sa robe de grand maître de la Confrérie du Cassoulet de Castelnaudary. Photo : Didier Rumeau.

C'est que le cliché de la mauvaise conserve d'hypermarché venant à la rescousse du brave populo lors des fins de mois difficiles a la dent dure. Or ces boîtes à malbouffe abritent tout sauf du cassoulet, au sens noble du terme : la congrégation audoise, qui campe une sorte de gentille organisation pas vraiment secrète, travaille évidemment à ce que cela se sache. Notre grand maître, lui, natif des lieux, tombe tout petit dans la marmite, par la grâce de Marie.

« Mes grands-parents étaient d'origine catalane, ils sont venus s'installer à Castelnaudary parce que mon grand-père était ingénieur en chef sur le Canal du Midi. Ma grand-mère Marie était une excellente cuisinière et autant que je m'en souvienne, à plus de 80 ans, elle faisait encore un cassoulet par semaine. J'éprouvais beaucoup de plaisir à la voir à l'œuvre. Elle faisait bien sûr son confit elle-même et se procurait une très bonne saucisse de Toulouse. Ses haricots étaient parfaitement fondants. Seul petit défaut : son cassoulet était sans doute un peu trop gras. Je la voyais ajouter de la graisse du confit dans la soupe du cassoulet et il me semble que c'est inutile. C'est d'ailleurs l'un des aspects que l'on vérifie aujourd'hui lorsque l'on va déguster un cassoulet avec les membres de la confrérie : un bon cassoulet ne doit pas être trop gras ».

Plus facile à dire qu'à faire quand on sait que se trouvent plongés dans les haricots (du Lauragais de préférence) de la saucisse de Toulouse grillée, du confit d'oie ou de canard et de la couenne de porc. Pour illustrer son propos, le grand maître, qui exerce son troisième mandat, me conduit à La Calèche, une auberge bien planquée à Peyrens. Ce petit village audois de moins de 500 âmes, situé à une poignée de kilomètres au nord de Castelnaudary, est administré par Nicole Danjou, elle-même ancien grand maître de la confrérie et muse, il nous l'avoue, de Jean-Louis Malé. Avant que l'on entre dans la gargote, l'assureur me met à l'aise : je vais déguster là, me dit-il, le meilleur cassoulet du coin – ou du moins, celui qui répond le mieux aux préconisations de la recette officielle établie par la confrérie.

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Avec Philippe Solovieff, patron de La Calèche et grand amateur de cassoulet.

Vrai que je ne suis pas n'importe où : j'apprends qu'il y a quelques mois, Philippe Solovieff, le taulier, a été choisi, parmi huit candidats, par une délégation japonaise venue ici en repérage. Et c'est ainsi qu'à la mi-mars 2016, le chef s'est rendu à Osaka pour servir près de 3 000 portions de cassoulet. « Les Japonais adorent ça », appuie Jean-Louis Malé, le cassoulet devenant même selon lui un plat « tendance » au pays du Soleil Levant.

Une fois attablés, le grand maître digresse en me confiant ses autres amours (le vin et la chasse), tout en déplorant le comportement de « ces gens d'ici qui vivent du cassoulet et qui nous crachent à la gueule ». Puis il me fait la louange de Laurent Spanghero, l'un de ses glorieux prédécesseurs, et se souvient de l'intronisation mémorable de l'ancien rugbyman Fabien Pelous. Il vante ensuite le boulot de chien abattu par Marcel Rivals, le grand argentier de la confrérie, cet « homme-orchestre » sans qui rien ne serait possible. Il me raconte comment l'Hôtel Fourcade de Castelnaudary est devenu le fournisseur de cassoulet de l'Elysée lors de l'après-guerre, s'épanche sur « La Dinée », « le seul resto indépendant du réseau autoroutier français », qui sert près de 50 000 cassoulets par an. Et moi, pendant tout ce temps, je déguste effectivement le meilleur cassoulet de mon existence, servi, faut-il le préciser, bouillonnant sur le dessus, et dans une cassole tronconique de la poterie des frères Not, a.k.a « the » référence.

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Sur la tête, nous portons un chapeau en forme de cassole renversée. Le jaune de la robe rappelle la teinte du bouillon du cassoulet, le brun évoque le gratiné

La panse repue, il me reste néanmoins à comprendre dans quelle étrange communauté je suis réellement tombé. Un Rotary sauce gastronomique ? Une franc-maçonnerie du canard et du cochon ? Une secte du gras ? Rien de tout cela, m'assure le Grand Maître, auquel je demande quand même des explications sur la tenue extravagante qu'il doit revêtir en représentation. « Sur la tête, nous portons un chapeau en forme de cassole renversée. Le jaune de la robe rappelle la teinte du bouillon du cassoulet, le brun évoque le gratiné, sans chapelure bien sûr ». Et il insiste, non sans me lancer le regard hargneux du puriste auquel on a déjà fait le coup : « Surtout pas de chapelure, c'est rédhibitoire ! Et pas de tomate non plus ! »

Ne négligeant aucun détail, Jean-Louis Malé laisse traîner sa robe sur la banquette arrière de son SUV Volvo. Presque prêt à la dégainer en toutes circonstances. En réalité, il en possède deux. « Une robe d'été et une robe d'hiver. L'épaisseur du velours n'est pas la même. La robe d'hiver pèse près de 7 kg. Elles sont entièrement confectionnées sur mesure par une couturière de Castelnaudary. J'estime leur valeur à 400 € pièce ».

1 500 personnalités environ ont ainsi été intronisées à ce jour par la Grande Confrérie du Cassoulet de Castelnaudary, une association loi 1 901 créée en janvier 1970. Ses membres actifs se plieront encore en quatre en cette fin de semaine, mobilisés par l'organisation du temps fort de l'année : la 17e édition de la Fête du Cassoulet (du 24 au 28 août prochains). « J'aimerais qu'à la fin de mon mandat le taux de notoriété spontanée associant le cassoulet à Castelnaudary ait encore augmenté ». Parole de grand maître. Son mot de la faim.

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