Là où les reporters de guerre français apprennent à survivre
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Là où les reporters de guerre français apprennent à survivre

Comment j’ai cohabité avec des militaires lors d’un stage de sensibilisation perché sur les hauteurs de Collioure, près de Perpignan.

Toutes les photos sont de Lucien Lung.

« Vous êtes à présent des petits boulets ». C'est sur cette bonne note du commandant que s'est conclu mon stage de sensibilisation pour les reporters de guerre. Une bonne note, oui – car arracher un semblant de compliment de la bouche d'un militaire, c'est pas gagné. Organisée par le Ministère de la Défense, cette formation vise à dispenser aux journalistes les fondamentaux pour se déplacer en zone de conflit, que ce soit auprès d'une force armée, ou seul sur le terrain. Les reporters y apprennent notamment les b.a.-ba du secourisme, comme la pose d'un garrot ou d'un pansement israélien, et à bien réagir en cas de situation dangereuse.

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Depuis l'origine de cette formation, « plus de 600 professionnels des médias ont participé à ce stage », renseigne le site du Ministère de la Défense. Durant une semaine entière, je me suis retrouvé cloîtré dans un fort militaire situé sur les hauteurs de Collioure près de Perpignan, dans les Pyrénées orientales, avec une vingtaine de journalistes. Les médias traditionnels n'hésitent pas à envoyer leurs journalistes se former auprès de l'armée. Les frais du stage sont d'ailleurs couverts par leur rédaction respective. Plusieurs journalistes indépendants, ceux qui sont les plus exposés en zone de conflit, étaient également présents – malheureusement à leur charge.

Nous avons tous passé une semaine entière dans un fort. À notre arrivée, il était excessivement facile de distinguer les journalistes des militaires. Le teint pâle, le ventre gonflé par la bière de la veille, l'équipement d'un randonneur du dimanche, nous faisions face aux militaires la mine hâlée, le corps et l'équipement d'un Arnold Schwarzenegger dans Terminator. Le lendemain de notre arrivée, nous avons passé une nuit à la belle étoile sur un sol bitumé favorisant le transfert du froid et de l'humidité. Sur les coups de 5 heures, l'un des instructeurs a pénétré dans la pièce encore endormie et a prononcé d'une voix suave : « Debout… il est l'heure ! ». « Allez vous préparer et rendez-vous dans 5 minutes pour un réveil musculaire », a-t-il poursuivi. Squat, pompes, gainages : ce que j'appelle personnellement un QAPA – pour quota d'activité physique annuel.

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Les rations de survie dégustées tout au long de cette semaine ont certainement la vertu de nous garantir un état physique convenable. En tout cas, c'est certainement mieux que ce que je m'inflige au kebab du coin de ma rue plusieurs fois par semaine. L'humour constitue aussi un terrain d'identification des professions. Pendant que nous ironisions sur la mise en examen de François Fillon, plusieurs militaires se sont mis à narrer leurs exploits. Ils venaient de tirer de lourdes « bastos » sur des cibles fictives au cours d'un exercice. C'est alors que l'adjudant-chef nous a affirmé avec grâce : « Ce n'est pas l'arme qui est dangereuse, c'est le blaireau derrière qui l'est ! », avant de conclure : « Avec une kalash des années 1940, j'arrive à faire but à 300 mètres. Je préfère être jugé par 12 hommes que porté par 6 ». La plupart des instructeurs présents pour nous former sont des sous-officiers : la crème de l'armée française, ni plus ni moins – des militaires amenés à intervenir sur des théâtres de guerre extérieurs extrêmement délicats, et dont j'estime le sang-froid remarquable, malgré mes positions plutôt antimilitaristes.

À un moment du stage, un capitaine des renseignements militaires m'a confié : « Ce que vous faites, je ne le ferai pas ». Je n'ai pas perçu ça comme une provocation, mais plutôt comme un aveu à demi-mot de la reconnaissance qu'il éprouve pour notre profession. Ce militaire est surpris que nous souhaitions nous rendre en zone de conflit sans arme. Pour lui, nous sommes du « gibier à la portée de n'importe quel ennemi ». C'est aussi pour cette raison que les militaires nous réduisent à des « boulets ». En zone de conflit, lorsque nous nous déplaçons avec l'armée française, celle-ci doit consacrer pour notre protection des ressources humaines et matérielles considérables. Le tout dans une situation dangereuse. Un soldat – généralement un officier de communication de l'armée – est spécifiquement en charge de notre protection. C'est aussi l'armée qui nous fournit le matériel de protection balistique – un équipement essentiel, surtout lorsqu'on est journaliste indépendant, et qu'aucune rédaction ne peut nous fournir ne serait-ce qu'un gilet pare-balles. Selon les chiffres de Reporters Sans Frontières (RSF), 74 journalistes ont été tués dans le monde en 2016. Un chiffre effrayant, mais qui s'est vu réduire de moitié au regard de l'année 2015.