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​OM : que reste-t-il des années Depé ?

« Un supporter, il est OM à 300%, Depé, c’était l’OM à 3000% », plante Jonathan Aicardi, alias Jojo, qui a grandi avec les récits de la légende des supporters. « J’ai rencontré quelqu’un qui procurait de la joie aux gens. Des émotions, de la fraternité », prolonge Lionel Briot, photographe et ami, auteur du livre Vélodrome le douzième homme. Quelqu’un qui a laissé une empreinte dans les cœurs ? « Quand je rentre dans le stade, je pense toujours à lui quoi qu’il arrive », confie Cécile Hibernac, une intime surnommée ”Cagole” par la famille du mouvement supporter marseillais.

Pour les non-Marseillais et/ou les incultes, Depé – Patrice de Peretti – c’est la passion de l’OM incarnée, le supporter ultime. Le mec qui n’a pas manqué plus d’une paire de matches dans les années 90. Celui qui était torse nu, mégaphone à la main, même par -12 degrés à Berlin. Un garçon charismatique, à la ferveur communicative, un capo capable de déclencher l’hystérie collective. Un fatigué qui vivait par, pour et au rythme de l’OM. Pour lui, « combattre pour l’OM à la vie à la mort » n’était pas qu’un chant. C’était sa vie. Une vie effrénée brutalement stoppée à 28 ans, un jour de reprise de championnat, le 28 juillet 2000 au matin. La date d’un OM-Troyes qui lui servira de veillée mortuaire.

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Depuis, la légende continue de s’écrire. Page Wikipédia, Facebook, Twitter, documentaire, vidéos Youtube et blogs n’en finissent plus de raconter sa vie hors du commun. Commémorations, bâches et chants en son honneur attisent la flamme de sa mémoire. Sans oublier que le Virage Nord, où il mettait le feu avec son groupe, Marseille Trop Puissant (MTP), a été rebaptisé : Virage Patrice de Peretti. « Du Virage Depé, s’élèvera la ferveur du peuple marseillais », chantent les supporters depuis sa mort.

« Il a laissé la figure du supporter idéal. Une sorte d’étalon auquel les gens peuvent se référer. Une sorte de norme de ce que devrait être un véritable et authentique supporter de l’Olympique de Marseille », analyse Ludovic Lestrelin, sociologue du sport qui lui a consacré un article dans une revue d’ethnologie. D’autant qu’aujourd’hui, la période de sa vie est regrettée, vue comme l’âge d’or de l’ambiance du Vélodrome.

« Depé c’était : tu chantes de la première à la 115e minute », rappelle Jojo, supporter du virage Nord passé par les Dodgers puis les MTP, le groupe fondé par Depé en 1994. Aujourd’hui, si Depé revenait au stade ? « Crise noire là ! », tranche Cécile. « Y’a pas autant d’engouement qu’avant », observe la doyenne des MTP. Car Depé était exigeant avec le public marseillais. Dès la fin des années 90, il a donc moyennement apprécié de voir débarquer les fameux footix – ce supporter qui vient au stade pour le spectacle sans abandonner son corps à son équipe – au Vélodrome. « Il en avait marre. Avec l’engouement autour de la Coupe du monde 98, ça ramenait des nouvelles personnes. Fallait aller au stade, se montrer, c’est là où on a vu arriver des gens avec les perruques, maquillés ! Maquillés ! On prenait la gifle quoi. Alors que bon, c’était pas dans la mentalité. C’est pour ça qu’on a appelait ça les footix », explique Cécile de sa voix marquée par des années de chants et de clopes, toujours cadre des MTP.

Pour Cécile, l’ambiance la plus authentique, c’était en D2, de 1994 à 1996. Le Vélodrome accueillait alors en moyenne moins de 20 000 spectateurs sur les 42 000 places disponibles. Les irréductibles. « Samedi dernier (le 18 février 2017, ndlr), contre Rennes, j’ai pris la crise. Je leur ai dit à tous au stade ”vous vous dites supporters ? Et vous avez même pas une écharpe ?” Alors que quand même c’est la base. Ils se disent tous MTP et ils n’ont pas d’écharpes ! », hallucine encore Cécile. « Quoi qu’il arrive, si tu vas chez les Fanas, ils ont l’écharpe », insiste la sœur spirituelle de Depé, aujourd’hui gardienne du temple.

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Cécile « Cagole » des MTP.

L’héritage de Depé se retrouverait donc chez les Fanatics, un autre groupe de supporters du Virage Nord. « C’est ceux qui se rapprochent le plus de Depé actuellement », confirme Cécile. De véritables orthodoxes, puisque le groupe interdit l’accès à ceux qui portent des survêt’ d’autres clubs, une mode qui a valu railleries et moqueries à l’OM. Avec eux, pas de sono, un simple mégaphone, pas de page Facebook et un site internet où aucun nom ne ressort. Ici c’est le collectif qui compte, pas la personnalisation. Là-bas, interdit de filmer, pas de représentation. On est là pour vivre le moment, pas pour les selfies.

Cette année, l’ambiance particulière qui règne chez les Fanas commence à séduire un public plus large, ce qui n’est pas toujours du goût du groupe. « Arrêtez de venir si vous êtes pas capable de chanter 90 minutes. Y’a de plus en plus de footix, ça devient à la mode de venir aux Fanas. Je commence à préférer l’époque où on était 15e avec 30 000 personnes », met en garde la description d’une rare vidéo Youtube, visiblement postée par un cadre du groupe.

Chez les Fanas, il y a le capo, véritable descendant de Depé selon Cécile : « C’était le minot des MTP, on l’a eu tout le long avec Pépé (le surnom de Depé pour les intimes, ndlr) ». Toujours torse-nu, exigeant, à gueuler contre ceux qui ne bougent pas assez,« pareil que Depé », sourit Cagole. Il ne parle pas à la presse et ne veut pas qu’on diffuse de photos de lui et « pour ça, il est pire que Depé ». En résumé, les Fanatics, « c’est les plus purs », conclut-elle.

Exemple : virage Nord, jeudi 10 mars 2017. Il est 22h26 et l’OM vient de marquer son troisième but face à Angers. Chez les Fanas, avec une gestuelle de chef d’orchestre, les capos essayent d’apprendre une nouvelle chanson à leur groupe. A côté, chez les Dodgers, on commence à crier : « Barça ! Barça ! Barça! » en hommage à la Remontada des Catalans en Ligue des champions. A peine cinq secondes après, les Fanas se tournent vers les Dodgers et les houspillent avant d’enclencher « Footix ! Footix, on t’encule ! »,pour remettre en place leurs voisins. Pour les idéalistes, on ne crie pas le nom d’un autre club ! Jamais.

« Tu s’rais rentré avec un maillot de Chelsea ou de Dortmund au Vélodrome, Depé, il t’aurait pris à coups de taquets dans la tête », croit savoir Jojo, 30 ans qui en avait 13 à sa mort. « Tu rentres dans une église, tu rentres bien habillé, au stade, c’est pareil. Tu viens en bleu et blanc », replace celui qui rêve et milite avec son groupe facebook L’OM C Notre Vie pour un retour à « l’esprit et l’ambiance » de son enfance.

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Interdit de filmer.

Depé, c’était à la fois le pape de la religion olympienne et le Croisé qui la défendait. Le mec était bouillant et portait physiquement ses désaccords. En décembre 1999, après une double défaite 3-0 à Rotterdam en Ligue des champions, et 5-1 à Saint-Etienne en championnat, une ”réunion” avec les supporters tourne mal. « Pires, Dugarry et Pérez sont molestés », note Les Cahiers du Football. « Plusieurs dizaines de supporters sont entrés dans l’enceinte », poursuit Libé, et des voitures de joueurs sont endommagées. La presse ne cite pas personnellement Depé, mais la légende veut qu’il ne soit pas le dernier dans ce genre d’incartade. Comme lors de l’envahissement au Parc des Princes la même année. Alors, après la défaite 5-1 à domicile contre Paris de 2017, on imagine que sa colère l’aurait fait monter de nouveau à la Commanderie.

Eh ouais, les années 90, c’était pas la même. Cécile confirme : « Ça se battait souvent avant les matches avec les supporters adverses », mais « ils se camphraient, bim bam, et on n’en parlait plus ». Attention, de bonnes vielles bastons au poing, pas de couteau ni aucun autre outillage. « Non, là où ça a été un peu violent, c’était contre les anglais en 98 », reconnaît-elle. Pendant la Coupe du monde organisée en France, Marseille accueille le match Angleterre-Tunisie. « Au départ, les Anglais brûlent un drapeau tunisien en bas de la Canebière, se souvient Cécile, et après ils ont eu tous les Marseillais à dos. Pépé, c’était un anti-facho au possible, il était en première ligne avec les autres groupes de supporters. C’était la première fois que je voyais tout Marseille et les supporters avec les condés », rigole Cécile.

« C’est l’époque qui a changé, poursuit Cécile, aujourd’hui t’es parqué en déplacement, tu peux plus rien faire, plus rien ne doit dépasser » regrette-t-elle. Sans parler des fumigènes, jamais autorisés mais utilisés comme il fallait dans les 90’s, dont Depé était fada. Aujourd’hui, craquer un fumi expose à des fermetures de tribunes. Exemple ce 1er avril 2017 contre Dijon : le Commando Ultra du Virage Sud (CU84) était interdit de stade. Le groupe de supporters le plus ancien – Depé y est passé rapidement à ses débuts – a été suspendu par la Ligue (LFP) « pour 3 fumis contre le PSG », s’indigne un membre de la Vieille Garde CU84 et fondateur du Commando Ultra en 1984. « Alors que le même soir la Ligue organisait un spectacle pyrotechnique au Parc OL, ils te foutent le feu, et là pas de problème ! Ils ne supportent pas des stades en vie. Le pauvre Depé doit se retourner dans sa tombe », pense son contemporain. « Les déplacements interdits, la répression, tous ces trucs, on aimerait bien savoir comment il aurait pris les choses lui. Tu sens qu’il manque », opine Cécile.

Depé c’est d’abord un utopiste qui voulait changer la vie des gens. En mode éducateur de rue : « il tournait, il virait, il était de longue (toujours, ndlr) à la Plaine pour ramasser tout le monde », se souvient Cécile. A coup de J9 surchargés et de places gratuites, il s’occupait des minots grâce à une gestion de la comptabilité de l’association des MTP à l’arrache. Mais qui permettait à tous d’aller au stade, même sans argent. Dans ces années, le local des MTP était toujours ouvert, un véritable point de chute. « Au lieu de traîner, tout le monde venait là. Y’avait pas le téléphone », remet Cécile l’ancienne, « tout le monde passait et y’avait toujours un truc à faire : fabriquer les tifos, organiser les déplacements, l’apéro, jouer aux cartes, ».

A l’époque, les MTP et la nébuleuse du quartier de la Plaine se bougeaient ensemble. En organisant des tournois de foot ou de boxe sur la place du quartier. Sur le bitume, les minots « se massacraient les genoux, alors Pépé il a eu l’idée de demander un petit stade ». La mairie avait fini par le construire sous le coup de l’émotion après sa disparition, motivée par l’insistance du groupe. Mais quelques années plus tard « ils l’ont enlevé ces cons », peste Cécile. Aujourd’hui, loin de l’euphorie des débuts, le local des MTP ne fourmille plus autant.

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Une fresque en hommage à Depé.

« Tous ceux qui faisaient un travail important pour la ville : les travailleurs sociaux, les artistes, les tenants de bar, d’association étaient en lien avec Depé. Parce qu’il était généreux. On se retrouvait tous au stade. On venait pour le Virage et pour l’ambiance que mettait Depé,explique Lio, le supporter-photographe. C’était l’époque où on s’intéressait à autre chose qu’au match ». Pour sa part, il est tombé dans l’euphorie des tribunes lors de sa rencontre avec Depé. Comme les artistes du mouvement occitaniste qui tombent amoureux de l’ambiance festive, du symbole du stade métissé et populaire. Et du magnétisme de Depé.

C’est l’époque où les idées fusent et naviguent entre la Plaine et le Virage Nord. « On a beaucoup pris aux MC du stade. On leur a beaucoup volé des trucs. Parce que [le stade] c’était aussi le dernier endroit folklorique et qu’on était en manque de folklore», se rappelle Papet J des Massilia Sound System à La Provence. « Y’a pas d’arrangement », expression répétée à l’envie par Depé, devient une chanson des Massilia. Leur album de 1995, Commando Fada, fait référence aux supporters. Le mouvement Stop the cono animé par l’association Chourmo (Massilia, Oaï Star…) est repris au stade et dans la ville.

Manu Chao qui traîne à Marseille à l’époque tourne le clip de Santa Maradona au Vélodrome avec son pote Depé. Après sa mort, Oaï Star intègre dans « Comme un fumigène » un hommage au capo du Virage Nord : « Virage Depé, il est là avec nous… ». En fait, on pourrait faire une playlist entière avec les références à Depé. « C’était lui le vecteur qui rassemblait les gens », insiste Lio le photographe.

Un réalisateur a démarché les supporters pour faire un biopic. « Après, nous, on a quand même posé les conditions », précise Cécile. L’accord de ses parents et que le film « montre une image plus positive que négative tu vois. Parce que y’a les deux côtés quand même ». Comme dans toute légende, il y a la partie non éclairée. Depé, ne faisait et ne fait pas complètement l’unanimité chez les supporters. Fidèle à sa devise « pas d’arrangement », il ne mégotait pas sur les coups de têtes pour des histoires de placements de bâche ou des rivalités entre groupes. Son intransigeance lui a valu quelques embrouilles, comme lors de son départ des South Winners en 94. Une histoire jamais éclaircie depuis. Cécile résume l’épisode en une histoire de cohabitation impossible entre deux leaders « Rachid [leader des winners] et Pépé, c’était je t’aime, moi non plus. C’était la fin d’une histoire, Pépé voulait voler de ses propres ailes ». L’épisode de la rupture fut bref. Les MTP et les Winners ne se sont jamais vraiment arrêtés de fonctionner ensemble, notamment pour des événements et des déplacements. La légende veut que l’on retienne son rôle évangélisateur que l’on pourrait conter de cette manière : « Il partit du Virage Sud pour mettre l’ambiance au Virage Nord à la hauteur. Son œuvre permit de faire raisonner le « Aux armes » comme jamais auparavant ».

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Les Fanas ne sont pas fans de l’appellation Orange Vélodrome.

Il y a aussi des choses que l’histoire ne dira jamais. Pourquoi Depé meurt dans son sommeil cette nuit du 28 juillet 2000 ? Rupture d’anévrisme comme diront les pompiers ? « Fallait voir l’énergie qu’il dégageait, il ne s’arrêtait jamais », se remémore Lionel Briot. Treize ans d’implication pour l’OM comme personne avant et certainement après. Et le mode de vie festif qui va avec. « Beh voilà, c’est pas le premier et pas le dernier qui partira jeune. Il était conscient que physiquement, il cramait son moteur, c’est pour ça qu’il cherchait la relève et qu’il branchait Harold [son capo acolyte chez les MTP] pour prendre la suite », sait Lio. Dans l’intimité, il partageait avec lui ses récits de voyage, lui prêtait des bouquins de photos. « C’était quelqu’un de curieux, capable d’aller vers l’autre. Il voulait passer à autre chose, partir et voir le monde », sait l’ami photographe.

Un soir, peu avant son envol, il se retrouve dans le studio photo de Lio tard dans la nuit. Et les amis partent loin dans leur trip. « Il imaginait une immense kermesse générale autour du stade. Dans cette kermesse, on pouvait boire, manger, danser. Le tout gratuitement. Il a griffonné son concept sur bout de papier et l’a baptisé Utopia. », se souvient Lionel Briot.

Aujourd’hui, c’est tout l’inverse du rêve de Depé. Un centre commercial pousse au pied du stade et vient gâcher la vue. Pire, même si personne ne n’appelle comme ça, la marque Orange est collé au nom du Vélodrome. Le foot business a gagné ? Dans le Virage Depé, à la fin des matchs, quand les écrans sont noirs et la pelouse vide, les Fanas persistent et chantent de longues minutes. Comme répétait Depé, « Les dirigeants et les joueurs passent, les supporters restent ».

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