On a demandé à des prostituées à quoi ressemblerait leur bordel idéal


Illustrations : Polly Williams

Quand il s’agit de proposer un bureau de rêve aux employés, la plupart des entreprises ont tendance à s’orienter vers une esthétique de type Pinterest, en décorant leurs open spaces de plantes vertes, de poufs et de tables basses en acajou. Pour les travailleurs du sexe, la situation est un peu plus complexe. « Je rêve d’avoir un chat à mon bordel », m’a confié une prostituée. « Ce serait cool d’avoir un jacuzzi », m’a répondu Kate, qui travaille à Londres. « Ça donnerait un côté décadent à mon lieu de travail, mais je pense que ce serait plus agréable pour tout le monde de se plaindre de ses pires clients dans le confort d’une baignoire. »

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À force de m’entretenir avec des prostituées, je me suis rendu compte que certains sujets revenaient très souvent – la sécurité, leur lieu de travail rêvé et le fait que les travailleurs du sexe ne puissent pas bosser en groupe au Royaume-Uni. Si la prostitution est légale, ce n’est pas encore le cas des bordels.

Avant même d’envisager de décorer leur lieu de travail, les prostituées anglaises se préoccupent surtout de leur sécurité. Beaucoup de ces femmes travaillent seules et en intérieur – que ce soit au service d’une agence ou de manière indépendante –, dans des hôtels, des appartements ou la chambre d’un inconnu. J’ai demandé à quelques prostituées à quoi ressemblerait leur lieu de travail idéal, si jamais le gouvernement britannique décriminalisait complètement leur job.

Leanne 19 ans
Londres

J’évoque ce sujet assez souvent. Mon bordel idéal serait une sorte de colocation entre mes amies et moi, même si nous ne faisons pas exactement le même boulot. On pourrait avoir un étage dédié au BDSM et un autre aux relations sexuelles plus « classiques ». On aurait une fontaine de chocolat, du gâteau, du thé et du café. J’aimerais une grande cuisine pour qu’on puisse toutes cuisiner.

On aurait la liberté de travailler dès qu’on en ressentirait l’envie. Après chaque rendez-vous, on pourrait débriefer toutes ensemble. Ce serait un lieu placé sous le signe de la camaraderie. J’en ai marre de rester coincée dans une chambre d’hôtel ou de devoir me rendre toute seule chez des inconnues. Je sais que je peux toujours discuter avec mes ami(e)s prostitué(e)s, mais ce n’est pas pareil qu’avoir des collègues.

Kate
27 ans
Londres

Je me plains souvent des conditions sommaires dans lesquelles nous travaillons, mais le pire dans les bordels, c’est le management. Certaines personnes insistent pour que vous proposiez plus de services ou pour vous imposer des horaires infernales. « Ne leur dis jamais que tu as une mycose », m’a averti une femme. « ils te feront travailler quand même. Le mieux, c’est de dire que tu as une intoxication alimentaire. »

Je pense que ce serait mieux que les travailleurs du sexe puissent tout gérer eux-mêmes. Mais bon, je ne saurais pas comment réagir si un client refusait de faire appel à mes services parce que je ne propose pas des choses qui lui plaisent, ou parce que je coûte plus cher que les autres. Je m’excite souvent en pensant à toute la liberté que j’aurais, mais je déchante en pensant aux problèmes que ça pourrait engendrer.

Sinead
37 ans
Londres

Les choses qui me manquent le plus sont souvent prises pour acquises : discuter avec des collègues, se plaindre du boulot, ce genre de trucs. L’idéal, ce serait d’avoir une coopérative comme en Nouvelle-Zélande. On partagerait les factures, et on pourrait se confier entre nous. Ce serait aussi cool si on pouvait avoir un fonds commun, afin de pouvoir payer les filles malades ou incapables de travailler.

Je visualise un truc très particulier. Des chambres qui sortiraient tout droit d’AirBnb, et une machine à laver incroyablement puissante. Je mettrais un vieux miroir antique dans chaque chambre. Les clients sont chiants et pensent toujours que c’est excitant de voir son reflet en plein coït – mais bon, au moins le miroir serait joli. Il y aurait aussi un bouton d’alarme dans chaque pièce. Ce n’est jamais cool de penser aux mauvais côtés, mais il faut être réaliste.

Vera
39 ans
Londres

Le truc avec le BDSM, c’est qu’il faut avoir les bons accessoires pour que ça marche, ce qui peut coûter assez cher. Je préférais pouvoir travailler avec d’autres gens et avoir la possibilité de partager mon matériel. J’aimerais travailler dans une grande maison, où on pourrait installer des chambres à thèmes. Il y aurait une clinique, un dressing pour ceux qui aiment se travestir ou se déguiser, une pièce remplie de trônes et de cages, et une salle d’eau.

Catriona
22 ans
Dublin

Mon bordel de rêve serait géré par plusieurs personnes. Certains prostitués se partageraient les tâches, entre les appels aux clients, les campagnes publicitaires, etc. Les clients pourraient se rendre sur notre site et choisir directement les personnes qu’ils veulent rencontrer.

Je n’aimerais pas bosser dans un truc trop grand – pourquoi pas un bordel pouvant accueillir de quatre à cinq personnes en même temps. Les prostitués seraient très solidaires et il n’y aurait pas de compétition. Quel que ce soit votre morphologie ou votre genre, tout le monde serait le bienvenu. J’imagine un truc très chic. On aurait un couloir surveillé par une caméra, histoire de garder des traces en cas de problème. Et j’aimerais aussi une salle détente, avec un lit et plein de livres.

Sam
33 ans
Londres

Je bosse en indépendante, mais j’adorerais pouvoir partager un appartement avec d’autres prostituées si ça devenait légal. On pourrait former une coopérative, ou juste nous soutenir les unes les autres de manière informelle.

J’ai la trentaine et je suis trans, ce qui n’est pas le plus vendeur. Du coup, je passe mon temps à faire le tapin sans décrocher beaucoup de rendez-vous. J’utilise très peu ma chambre, bien qu’elle me coûte très cher. Ce serait vraiment bien que je puisse vivre sur mon lieu de travail, parce que j’aurais moins de pression et je pourrais filtrer les clients les plus douteux.

Les personnes anti-prostitution disent souvent qu’il faut des flics pour nous protéger des « macs ». Franchement, c’est parfois l’inverse. Mais c’est toujours contraignant d’avoir un boss : ils brident votre liberté, empochent une partie de vos gains, et sont parfois abusifs.

@frankiemullin / @pom_lette