« Alors, c’est un mixologue, un designer, un chef, avec un pro de la robotique et un critique gastronomique qui entrent dans un bar… »
Ce qui comme une blague un peu foireuse n’en est en réalité pas une. On a simplement demandé à quelques experts de se projeter dans le futur et de nous dire à quoi ressembleront les restaurants dans quelques années.
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De quoi demain sera fait ? Qu’est-ce qui risque de changer dans nos bons vieux rades ? Est-ce qu’on mangera des sushis confectionnés par des robots découpeurs et rouleurs de maki au thon ? Pourra-t-on encore s’approvisionner en ingrédients exotiques quand le ciel sera trop pollué pour y faire voler les avions ? Et si les tables avaient des appareils photo intégrés, est-ce qu’on lâcherait pour autant nos smartphones et Instagram ?
Vous trouverez les réponses à toutes vos questions ci-dessous. Asseyez-vous confortablement, détendez-vous et laissez donc Patrick, le serveur humanoïde, prendre votre commande.
Le bar Ryan Chetiyawardana, barman et propriétaire des bars White Lyan and Dandelyan à Londres.
Dans le restaurant du futur, le bar se distinguera probablement par ce qui aura disparu plutôt que par les gadgets qu’on y trouvera. Dans le domaine de la boisson, beaucoup de nos habitudes viennent d’anciennes manières de consommer et elles ne sont pas vraiment écologiques.
L’objectif « zéro déchet » gagne du terrain, même si je pense qu’il est impossible à atteindre tout à fait. Le bar du futur éliminera donc les serviettes en papier, les pailles en plastique et la déco qui n’est là que par habitude – la petite rondelle de citron ou la branche de romarin. Chaque ingrédient sera mieux mis en valeur. Un glaçon, par exemple, ça peut être génial, mais les gens en utilisent partout sans raison. Le bar du futur conservera quelques éléments de confort et de luxe que les clients aiment, mais ce ne sera plus cette opulence gratuite qui produit tant de déchets.
Dans le futur, avec la recherche de plus en plus prégnante de l’ingrédient parfait, certains consommateurs mettront au défi les meilleurs producteurs.
Le futur n’est pas dans le glanage mais réside dans une meilleure agriculture. Vous pourriez par exemple vous retrouver avec un cocktail à base d’un excellent whisky japonais ou écossais, du jus d’un citron de Floride et d’un morceau de cette prune cultivée dans le Kent.
La mécanisation et les robots vont pouvoir nous alléger de quelques tâches superflues, mais les bars du futur vont maintenir cette atmosphère particulière. Le travail sera beaucoup plus personnalisé et les compétences du barman seront au centre de l’expérience.
Mais bon, il y a quand même des jours où je vais juste avoir envie d’aller dans un rade miteux pour écouter du heavy metal et commander un cocktail dans un distributeur de boissons – ça serait le kif.
La déco Tim Mutton, PDG et fondateur de l’agence de design Blacksheep.
Pour l’instant, les projecteurs lumineux qui affichent les menus sur les tables ne s’adressent qu’à une niche. Par contre, on voit déjà des tablettes en guise de menu et des applis de livraison qui ont une vraie influence sur les restaurants. En gros, vous n’avez même plus besoin d’avoir un espace physique pour gérer un restau.
Tout comme les revendeurs de fringues qui avaient basé leur business sur de grands hangars sont maintenant en train de changer leurs façons de faire – ce ne sont plus simplement des stocks de vêtements – les restaurants aussi évoluent. On ne vient plus s’asseoir devant une table, on vit une expérience.
Au restau, on est passé de la question Est-ce que je viens de vivre un moment wahou ? à Est-ce que ce moment est Instagrammable ?
D’autres types d’expériences, articulées autour de la notion de partage, vont avoir lieu dans les restaus. Ils ne seront plus conçus comme des adresses utilitaires où l’on se contente de manger et de boire. Au Ginger Pig, par exemple, les bouchers donnent des cours de cuisine où vous pouvez préparer ce que vous allez bouffer, transformant l’espace en restaurant.
Je ne pense pas que les services de livraison à domicile signent l’arrêt de mort des restaus. En terme pratique, c’est génial de se faire livrer un repas à la maison, mais on ne sait jamais vraiment depuis combien de temps le plat a été préparé et il risque souvent d’arriver froid. Les êtres humains sont des animaux sociaux et partager un moment ensemble dans l’environnement d’un restaurant reste la meilleure façon de fabriquer des souvenirs incroyables.
En ce qui concerne le design du restaurant, on est passé de la question « Est-ce que je viens de vivre un moment wahou ? » à « Est-ce que ce moment est Instagrammable ? ». L’interrogation est la même, mais avec les réseaux sociaux et les technologies actuelles on ne capture pas seulement un moment, on dit aussi aux autres où l’on se trouve. En tant que designer, je sais qu’il faut maintenant que j’intègre des éléments compatibles avec Internet.
The Chef Enda McEvoy est la chef et propriétaire de l’étoilé Loam à Galway en Irlande. Tous ses ingrédients viennent de l’ouest de l’Irlande, ce qui lui a permis d’obtenir le rang le plus élevé dans la classification Food Made Good de la Sustainable Restaurant Association.
L’enjeu du restaurant du futur sera d’être plus éthique et plus durable. Pas simplement de gérer un business sans se soucier de la quantité de déchets produits. Les gens sont assez sensibles au fait que gérer un restaurant de façon responsable peut aussi avoir des retombées économiques. Je pense que beaucoup de gens vont utiliser ce qu’ils trouvent autour d’eux, s’adaptant plus facilement à ce que nous mangeons et aux saisons.
Notre restaurant utilise uniquement (et au maximum) des ingrédients venus de l’ouest de l’Irlande. On peut se rencontrer trois fois par an avec notre maraîcher pour décider de ce qui va être planté l’année suivante. On promet de tout acheter auprès d’eux en acceptant le fait qu’il peut y avoir de mauvaises récoltes. On se porte également acquéreur des animaux entiers et nous les abattons et les préparons nous-mêmes. C’est moins cher et ça fait réfléchir sur ce que nous voulons faire avec chaque partie de l’animal : on ne gaspille rien.
C’est cette approche qui rend le rôle de chef intéressant. Au final, tu es cantonné à ton statut de chef et ta seule relation avec le monde extérieur est celle que tu entretiens avec tes fournisseurs. Plutôt que de commander des ingrédients par téléphone, de les recevoir et de les mettre en place dans une assiette en encaissant au passage, ton job consistera aussi à développer de bonnes relations avec les producteurs et de mettre en valeur leur travail.
S’approvisionner localement et faire soi-même pousser certains ingrédients va devenir très important. Avec cette limite, on découvrira que l’environnement qui nous entoure est finalement plus riche qu’il n’y paraît. Par exemple, on peut utiliser les graines de carotte au lieu d’importer des oranges et d’autres agrumes. Il y aura encore d’autres défis à relever pour ceux qui sont implantés en ville. C’est pour ça que l’agriculture urbaine va devenir de plus en plus importante. Dès à présent, c’est un investissement qui ne coûte presque rien pour un restau que d’utiliser un espace pour y cultiver quelques plantes
Le critique Jay Rayner, critique gastronomique à l’Observer
L’existence des blogeurs, d’Instagram et de tout cet univers ne modifiera pas drastiquement le monde de la critique gastronomique professionnelle. Le seul problème que l’on peut rencontrer, c’est quand un blogueur, qui fait ça gratuitement, écrit mieux qu’un professionnel, qui est payé pour le faire. Quand les gens me demandent si j’ai peur de la concurrence des blogueurs, je réponds « Seulement s’ils sont meilleurs que moi ». Des critiques professionnels écrivent mieux que moi, mais je ne pense pas que quelqu’un qui se contente de tenir un blog en soit capable.
En général, j’ai l’impression que ceux qui commencent à écrire sur des restaurants de manière spontanée finissent toujours par être rémunérés.
En général, j’ai l’impression que ceux qui commencent à écrire sur des restaurants de manière spontanée finissent par être rémunérés. Si vous repérez un blogueur doué, vous pouvez être certain qu’on va vouloir l’embaucher. Pour ceux dont c’est déjà le métier, ça implique de faire son job du mieux possible parce qu’on sait que la concurrence est là prête à prendre notre place.
On peut croire que c’est une évidence ce que je dis, mais les critiques gastronomiques professionnels sont là pour faire vendre des journaux, ou leur équivalent digital – pas des restaurants. Les médias doivent attirer des lecteurs parce que les publicitaires veulent avoir une visibilité. Donc tant que les gens aiment lire des critiques gastronomiques, ça ne risque pas de changer.
Dans le modèle actuel, je pense que la critique gastronomique va perdurer – non pas parce que les gens auraient désespérément besoin d’écrire leur avis sur des restaurants, mais parce que les lecteurs aiment lire les colonnes de ceux qui écrivent sur le sujet. Pour que la réalité du métier change, il faudrait que le modèle économique évolue, c’est-à-dire que les revenus générés par les journaux papier diminuent. Les rédactions ne financeraient plus le repas des critiques.
Je dis souvent qu’il serait injuste de critiquer les gens qui prennent en photo leur assiette parce que j’ai à disposition un vrai photographe qui le fait pour moi. Quand j’entends un blogueur ou quelqu’un d’Instagram dire qu’il est très influant, j’ai quelques doutes. Mais les attachés de presse sont complices de ce système. On leur met la pression pour organiser des campagnes de pub pour un client et du coup, les Instagrammeurs et les blogueurs sont une façon de montrer qu’ils font effectivement leur travail. Il arrive qu’un compte Instagram soit influent parce qu’il publie constamment des photos de plats. Si ça les rend content, alors tant mieux pour eux.
Les robots Alan Winfield, professeur de robotique et chercheur en robotique cognitive au Bristol Robotic Laboratory.
Certains restaurants vont avoir des robots, c’est inévitable. Mais je ne vois pas trop comment cela pourra dépasser le stade du gadget. Ça fait des années déjà qu’on a des « robots » machines à café qui nous préparent toute sorte de boissons chaudes, mais on préfère toujours aller dans un café pour boire une boisson préparée par un autre être humain. Je pense que si l’on préfère cette façon de faire, ce n’est pas seulement parce que le café est meilleur.
Le problème qu’il y a à imaginer des robots serveurs, c’est qu’un robot a toujours du mal à gérer l’espace avec des humains, surtout s’il y a beaucoup d’humains qui se déplacent aléatoirement autour de lui. Actuellement, un robot est beaucoup moins bon qu’un humain pour ce qui est d’accomplir les différentes tâches d’un serveur : il est plus lent, il peut se bloquer, il a besoin de plus d’espace. Si l’on demande à un robot de débarrasser un lave-vaisselle par exemple, il aura besoin d’une meilleure dextérité pour déplacer les verres sans les casser et pour manipuler des assiettes de différentes tailles.
Il sera possible un jour de créer de tels robots, mais actuellement, ce n’est pas le cas. Je ne dis pas que ça n’arrivera jamais, juste que ça risque de prendre beaucoup de temps pour donner à un robot la même flexibilité que celle d’un être humain.
J’ai une éthique et je suis contre l’utilisation de robots pour remplacer un employé humain, surtout si c’est pour mettre l’humain en question au chômage.
Ce serait mieux de considérer les robots comme des collègues plutôt que des entités capables de remplacer les employés humains. On continuerait de faire les tâches où l’humain reste le meilleur, comme dans la relation avec le client. Je suis très sceptique quant à la capacité des robots à nous remplacer sur ce terrain-là.
Je suis aussi un ingénieur avec une éthique et je suis contre l’utilisation de robots pour remplacer un employé humain, surtout si c’est pour mettre l’humain en question au chômage. Cela m’inquiète beaucoup pour les emplois mal payés. Si une société s’enrichit grâce à l’automatisation et aux robots, je pense alors qu’il faut partager cette richesse créée grâce à un système de revenu minimum.
Les propos ont été édités pour plus de clarté et de concision.
Illustration par Dan Evans.