Lors du confinement, vous avez sans doute vu vos potes se gargariser sur les réseaux sociaux à coups de messages guerriers du type : « Dès le premier jour du déconfinement, je vais finir à genoux, mes yeux sortiront de mes orbites tellement ils seront injectés de sang et de Villageoise ». J’exagère à peine, mais c’est comme si tout un tas de monde avait décidé d’une seule et même voix qu’il fallait absolument que la fête de sortie ressemble à Armageddon, sous peine de subir la pire humiliation possible : le ratage.
Du coup, je me suis demandé si j’étais effectivement le seul à trainer la patte comme l’escargot que j’étais devenu (d’où le nom de syndrome de l’escargot), et s’il n’y avait pas quelque chose de contradictoire dans les termes de cet impératif de la fête combiné à ces règles sanitaires/sécuritaires toujours en vigueur. Visiblement, je n’étais pas le seul à apprécier exclusivement cette période prolongée de non-activité (voire de non-être), ni à penser que boire en journée (seul ou bien accompagné) était peut-être la meilleure invention de l’histoire de l’humanité. Et surtout, ce que cette période pourrait bien signifier par rapport à la « fête d’après ».
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Caroline, 25 ans, assistante de galerie
« La semaine du déconfinement, je suis rentrée d’une soirée, j’étais contente d’avoir réussi à me motiver à bouger. Et là j’ouvre la porte, et il y avait 10 personnes chez moi dans ma coloc, ivres mortes. Je voulais rencontrer les amis de mes colocs donc je me suis forcée à boire. Mais au fond j’avais qu’une envie, c’était d‘aller me coucher. Alors que pendant le confinement j’étais particulièrement motivée à l’idée de faire la “déglingue”. Mais en fait rien que sortir pour aller boire des verres avec des potes, le fait de me déplacer, ça me fatiguait. Même parler à plein de gens, je trouvais ça exténuant. En ce moment j’ai surtout pas envie de me coucher à 6 heures du matin. Mais mes colocs le font, ils font tout le temps la teuf. Ça me parait bizarre, je ne comprends pas comment ils ont autant d’énergie. »
Gabriel, 29 ans, artiste
« J’ai eu envie de revoir mes potes assez vite, mais j’en ai pas mal qui ont chopé le virus, du coup je flippais un peu quand même. La teuf, c’est censé te faire plaisir, un truc que tu fais en étant détendu. Là, en ayant cette épée de Damoclès au-dessus de ta tête, les gestes barrières, ça casse un peu le délire. Personnellement, je me suis confiné dans une maison à Tours avec cinq personnes. C’était cool. Mais même s’il y avait un petit extérieur, les premiers jours j’avais juste envie d’être dehors. On est tous allé sur les bords de Loire, mais au bout de dix jours la préfecture les a fait fermer. L’exécutif nous casse un peu la joie, on se sent pas du tout libres.
« Je me suis tapé des gueules de bois bien méchantes depuis que je refais la fête. Et puis les conversations sont dures à remettre en route »
Surtout, depuis le déconfinement j’ai vécu un truc assez étrange. Je me suis rendu compte que j’avais passé deux mois avec des gens, alors que d’habitude j’habite seul. Je suis revenu dans mon appart, et je n’avais qu’une seule envie, c’est de rester tout seul toute la journée et de ne parler à personne. J’imagine qu’il y a comme un traumatisme à surpasser un peu. Il faut apprendre à se réhabituer. L’alcool c’est pareil, si t’en as pas bu beaucoup pendant le confinement ton corps n’est pas forcément prêt. Je me suis tapé des gueules de bois bien méchantes depuis que je refais la fête. Et puis les conversations sont dures à remettre en route aussi. On a tous vécu la même chose, du coup à part se raconter les films ou s’énerver contre le gouvernement, on n’a pas forcément grand-chose à se dire non plus. »
Théophile, 33 ans, producteur
« Le seul truc qui me faisait tenir moi comme mes potes pendant le confinement, c’était le fantasme de la fête de sortie. Je disais à tout le monde que je louperai pas l’after, que je serai le dernier debout et le dernier couché, alors que je suis connu pour être assez naze en after. Ça a même été une prise de tête, la semaine du déconfinement j’avais les 30 ans d’un pote et l’anniv d’un autre. Ils ont voulu organiser une soirée commune, mais ils avaient l’impression que tout ce qu’ils faisaient n’était pas assez. On s’est mis la pression de malade, il fallait faire absolument la fête de l’année. Mes potes avaient loué un énorme loft rue Rambuteau. Appartement sur cour, énorme sous-sol, jacuzzi, hammam, sauna, énorme système son, la totale.
On a ramené 40 kilos de glaçons, presque autant de cocaïne. Et franchement, tout le long, on se regardait, on était posé dans les canaps, on rigolait, c’était cool. Mais personne n’a vraiment dansé, on était même inquiets des voisins alors que d’habitude on s’en bat les couilles. C’est comme si on avait un plafond de verre qu’on n’arrivait pas à percer. Plusieurs fois, un des potes qui organisait venait nous voir en nous disant : “Elle est pas nulle un peu notre fête ?” On arrivait pas vraiment à savoir si ça prenait ou pas. C’était pas une mauvaise soirée, on s’amusait bien. Mais ça ressemblait pas du tout à la fête fantasmée ou celles d’avant le confinement. Ni même des fêtes pendant : je me suis fait des soirées beaucoup plus “wild” à 5 pendant le confinement. Là maintenant, je me fais surtout des soirées pizza avec mon mec le samedi soir. Un truc impensable il y a deux mois. »
Athéna, 29 ans, journaliste
« J’ai vécu un confinement plutôt privilégié, sur le mode de la décélération, du retrait de le frénésie extérieure disons. Je me suis recentrée sur des relations sociales nécessaires, à savoir en premier lieu ma famille, certains potes, et ça m’a fait du bien. Pour autant j’ai triché un peu, avec mes potes on a fait une petite soirée dans un squat à Aubervilliers, il y avait une dimension assez intime, même si on a bien fait les “zozos”. Pour autant j’ai revu des potes le week-end dernier dès que j’en ai eu la possibilité, mais moins sur un mode “autodestructeur” qu’avant. C’est comme j’avais l’impression d’avoir été extraite de manière temporaire d’une assignation à un rythme de fou. Je ne ressens plus le besoin d’aller me pinter la gueule et m’éclater la tronche. Je me sens plus saine et bien dans mon corps qu’au bord du burn out. Du coup il y a moins cette frénésie qui vient d’une décompensation par la fête. »
Barnabé, 42 ans, analyste financier
« Pendant le confinement, j’avais une pote qui habitait près de chez moi, et on se faisait un apéro toutes les semaines. C’est la seule personne que j’ai vue pendant deux mois, on se la collait pas mal, on commandait, etc. La veille du déconfinement, j’ai fait un anniversaire à Montreuil. On était 9, on a super bien respecté les gestes barrières, on a fini sur un toit. C’était super cool, on était tous très contents de se revoir. Très bonne ambiance. Mais c’est sûr que c’était un peu bizarre, on n’a jamais été non plus à se faire des câlins. Mais bon, c’est pas non plus ce genre de potes.
« On m’a proposé des trucs, mon téléphone explosait, mais j’arrivais à rien. Je suis resté dans mon bordel de confinement, pas super serein »
La semaine suivante, j’ai fait une soirée, on était que 3, on s’est camés la gueule. Mais c’était pas vraiment la teuf. Enfin j’ai quand même fini dans un appart à 5h du mat en after. À taper de la drogue, raconter de la merde. Mais c’était comme d’hab’ en fait. La seule différence c’est qu’il y a pas eu de before. On n’est pas allé à la Java avant, quoi. Mais on perd quand même quelque chose. Avant je pouvais recevoir des coups de fil à 5h du mat, “viens, on est dans la petite cave d’une petite brasserie qui a fermé ses rideaux”, ou encore “viens, on est l’arrière d’un kebab à St Ouen, c’est la teuf de ouf”. C’est fini tout ça. »
Lionel, 34 ans, directeur artistique
« Il n’y a plus de lieu, il n’y a plus de bars, ça change beaucoup de choses. Moi je suis à Marseille, il y a une place qui s’appelle la Plaine. Il y avait 150 personnes en masse dessus lors du déconfinement, ça tambourinait sur la place. À Marseille c’est symbolique parce qu’il y a eu les travaux liés à la gentrification du centre, les condés qui venaient tout le temps. Là c’est la fin des travaux, les gens reviennent, ça zone à fond sur la place. C’est bien.
Le confinement, personnellement, ça a été dur le premier mois. Ça m’a vraiment mis en dépression, je tenais pas mentalement, il fallait que je voie des gens. Je passais de “commencer à faire la fête le mardi” à “plus faire la fête du tout”, c’était un renversement extrême. Le deuxième mois j’ai bien travaillé. Et la première semaine de déconfinement, c’était dur. Je restais chez moi, j’arrivais pas à faire mon ménage. On m’a proposé des trucs, mon téléphone explosait, mais j’arrivais à rien. Je suis resté dans mon bordel de confinement, pas super serein. Mais après j’ai réussi à me motiver, et là c’est apéro tous les jours. Là je suis au top, je vois mes potes, j’ai fait une soirée en appart avec toute une équipe. Ça s’est super bien passé, y’avait des platines, les voisins ont pas râlé du tout, ça a fini à midi, certains ont continué dans un autre appart à côté. C’était le cercle d’amis proche, ça pouvait que bien se passer. »
Régis, 31 ans, barman
« T’as pas les parcs d’ouverts, t’as pas de culture, t’as même pas de bars. C’est bon, tu sors 3 jours dehors, t’as ta dose. T’as envie de voir autre chose. C’est un peu une gymnastique, qui tu vas voir, à quelle heure. Les métros ferment tôt, il faut s’organiser pour ceux qui habitent loin, du coup tu perds toute spontanéité d’une vie nocturne déjà inexistante. J’ai fait des diners, on a fait la teuf dans la rue, y’a des bars qui ont rouvert à emporter, on a fini des drinks et on s’est posé là où y’avait un coin de soleil, comme des clandés. Ce côté-là m’agace un peu.
Pour moi faire la fête ça implique des mécanismes qui sont pas encore disponibles. Les rares moments où je me suis senti un peu faire la fête c’est les moments où je me suis retrouvé un peu par hasard avec quelques potes, vers le canal, des trucs comme ça. Mais c’est encore beaucoup trop surveillé. J’ai pas envie de boire dans la rue en guettant les flics, j’ai plus 16 ans. J’aimerais pouvoir trouver une liberté dans la fête mais je peux pas, parce que j’ai un petit peu ma conscience aussi qui me rappelle aux règles sanitaires et d’hygiène et compagnie. Mais il y a une frustration. Les bars et les restos auraient pu rouvrir dès le début. On devrait recréer le lien social progressivement, mais c’est quelque chose de nécessaire. Faire la fête c’est pas que se bourrer la gueule et se droguer, c’est aussi rencontrer des gens, créer des interactions. »
Ella, 28 ans, programmatrice
« Après quatre grosses caisses en couple les deux premières semaines du confinement, j’ai arrêté d’avoir le désir de m’éclater la gueule. Je trouvais ça hyper triste, ça marchait pas du tout. Dès qu’on m’a proposé de boire un coup, j’ai bravé les interdictions et je suis sortie. Après j’ai fêté mon anniversaire en sortant du confinement. Au bout de plusieurs heures, on a fini par danser à 7 dans mon appart comme s’il n’y avait jamais eu de confinement. C’était vraiment bien. On s’est tous fait la bise en partant d’ailleurs. Deuxième week-end de déconfinement, je suis allée à un anniversaire, et pareil. Je me suis pas posé la question deux secondes. On était dans un espace gigantesque, et même pendant la soirée j’ai bu dans des verres qui n’étaient pas les miens.
Ce qui me manque c’est danser, du bon son bien fort, avec du monde, etc. J’aurais bien aimé faire une teuf dans les bois à 30, on m’a invitée à une “petite rave”, ce qui me semble quand même paradoxal dans les termes. Mais après ce que j’ai vécu à deux pendant le confinement, je me dis que la fête va s’étendre à des cercles d’amis proches. On se déconfine à 2, à plusieurs, avec son cercle d’amis. Et ça correspond à un meilleur rapport à la teuf je crois, des petits comités mais avec beaucoup d’amis. Quand on va en club à 3, on rencontre pas forcément plus de monde que dans une teuf avec 6 amis et 6 inconnus. On n’a pas cette dilution du club, ça intensifie les rencontres. »
Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.
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