Plus qu’un simple supporter du Paris Saint-Germain, Pierre Barthélemy, avocat au Barreau de Paris, travaille depuis plusieurs années en étroite collaboration avec l’Association de Défense et d’Assistance Juridique des Intérêts des Supporters (ADAJIS) afin, notamment, de défendre les droits des supporters du PSG, malmenés par le club de la capitale depuis l’instauration du Plan Leproux en 2010. Si les relations entre le club, les autorités et les supporters semblent s’être clairement adoucies ces dernières semaines, avec l’ouverture d’un dialogue entre les différentes parties pour évoquer un possible retour des Ultras au Parc des Princes, rien n’est encore gagné.
La preuve, une deuxième rencontre a eu lieu entre le Collectif Ultras Paris (CUP) et la direction du PSG et cette entrevue n’a pas satisfait les supporters du club de la capitale. Dans un communiqué publié mercredi, le CUP annonce la « cessation » de ses « activités » en tribunes car plusieurs leaders de groupes de supporters ont été recalés à l’entrée du Parc avant le match face à Bordeaux alors qu’ils avaient été autorisés à accéder. L’équilibre est encore bien précaire.
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Mais si la route est encore longue avant d’entendre de nouveau le Parc rugir de plaisir, au moins le chemin est-il en partie tracé. Afin de dresser un premier bilan de la situation actuelle, nous avons donc décidé de passer un coup de bigot des plus instructifs à Pierre Barthélemy.
VICE Sports : On a vu que la justice vient à nouveau d’annuler huit interdictions de stade prononcées par la Préfecture de Police de Paris dans le cadre d’un match des féminines du PSG. Vous en êtes où au niveau des procédures judiciaires ?
Pierre Barthélémy : Nous n’avons plus qu’une vingtaine de recours devant les tribunaux administratifs contre les IAS (Interdiction Administrative de Stade, ndlr). Depuis trois ans, toutes celles que nous avons attaquées ont été annulées. Concernant les interdictions de déplacement, aucun jugement n’a été rendu à ce stade : les délais de jugement sont entre deux et trois ans. Ces derniers temps, la réduction du nombre d’arrêtés a réduit la fréquence des recours.
Est-ce que la nouvelle situation autour des supporters du PSG pourrait changer la donne par rapport à la masse de procédures que vous avez connues ces dernières années ?
Oui, le nombre de procédures devrait chuter. Dès lors que le PSG et la Préfecture n’identifient plus de “groupes contestataires”, les vagues d’IAS (par dizaines) devraient cesser. Les interdictions collectives de déplacements des supporters parisiens devraient aussi décroître. En effet, elles visaient souvent les supporters appartenant aux associations de supporters ou n’ayant pas accès au parcage officiel. Avec la “blacklist” et les refus de vente du PSG, beaucoup étaient contraints de se déplacer en contre-parcage (au milieu des supporters locaux, ndlr). Désormais, l’ensemble des supporters parisiens ont vocation à se regrouper en parcage.
Du coup tu vas enfin pouvoir souffler un peu !
Oui, clairement. Cela fait trois ans, trois ans et demi que nous n’arrêtons pas…
D’autant que tout ce travail, toi et d’autres avocats comme Cyril Dubois, vous le faites sur votre temps libre, c’est ça ?
Oui, tout à fait.
Et bénévolement ?
Oui. Les supporters sont libres de nous donner ce qu’ils veulent : c’est souvent du matériel, écharpes, polos, etc.
Tu peux nous parler un peu de ta relation au PSG ?
C’est mon club depuis que je suis gosse. J’ai été abonné gamin en tribune G, puis j’ai régulièrement fréquenté le Parc en places sèches. Depuis le Plan Leproux je n’y suis plus allé par solidarité avec les associations. Je retournerai sûrement au Parc occasionnellement, mais je pense que je ne me réabonnerai plus. Quelque chose s’est cassé. Je n’ai remis les pieds au Parc que deux fois, pour France-Australie d’abord et lors de PSG-Bordeaux (le 1er octobre 2016, ndlr), pour le regroupement des adhérents du CUP.
Toi qui connais bien le dossier, tu n’as pas été surpris par la soudaineté de la décision de la Préfecture de Police de Paris d’accepter de discuter d’un retour éventuel des Ultras au Parc des Princes. On a l’impression que, après près de 6 ans d’opposition frontale, tout s’est débloqué tout d’un coup ces derniers jours.
C’est un sujet à évoquer avec ADAJIS, notre client. De manière générale, il faut se dire que le temps de la communication et de l’officialisation n’est pas forcément le temps de la réalité. ADAJIS n’a pas chômé ces dernières années entre la réalisation de travaux de fond et la multiplication des rencontres.
Qu’est-ce qui explique cette avancée majeure et subite ?
La raison principale tient, substantiellement, au manque d’ambiance au Parc des Princes. Ces deux dernières années, les joueurs ont exprimé publiquement leur frustration et le club a multiplié les tentatives, un peu artificielles, pour recréer une ferveur collective. En outre, le Président Al-Khelaïfi s’est engagé pour la mise en place d’un vrai processus de réorganisation des tribunes.
Par ailleurs, le travail d’ADAJIS depuis des années a indubitablement permis aux parties prenantes de passer d’un désir à la réalité. ADAJIS s’est construite, par le travail, une stature d’interlocuteur crédible. Sans interlocuteur responsable et compétent, pas de retour du dialogue entre le club et les associations de supporters. ADAJIS a aussi démontré son attachement au respect du droit, par le truchement notamment des procédures judiciaires mais aussi dans le cadre des réunions et rencontres menées avec l’ANS, auprès des pouvoirs publics, la LFP, de la FFF. Ce travail de responsabilisation et de crédibilisation des supporters a permis l’ouverture d’une fenêtre. Enfin, la création du CUP, structuré, apolitique, unitaire et massif a donné une réalité à ces travaux et discours et a offert aux parties prenantes un vrai réservoir structuré de supporters prêts à soutenir avec ferveur leur équipe.
Si on comprend bien le retournement de situation et le changement de ton de la part du PSG dans cette affaire, pour qui l’ambiance mortifère du Parc était devenuE un fardeau de plus en plus lourd à porter, c’est plus difficile de comprendre celui de la Préfecture de Police de Paris qui, à propos de la question des Ultras parisiens, a toujours été très droite dans ses bottes. A savoir, pas de négociation avec les supporters dits « contestataires » et pas d’assouplissement des règles à leur encontre.
Juridiquement, la Préfecture n’a pas le droit de priver de leurs droits des supporters qui ne sont interdits de stade ni par le juge pénal, ni par la Préfecture dans le cadre des IAS. La Préfecture, c’est l’Etat. Elle est soumise à l’Etat de droit. Il était donc improbable qu’elle dise s’opposer à « la vente de billets à des supporters qui ne sont pas interdits de stade ». Ça voudrait dire qu’elle demanderait à un club de ne pas respecter la loi et de discriminer ses supporters.
Donc en gros, c’est parce que le club a changé de philosophie que la Préfecture a dû se ranger de son côté.
En cas de refus de vente, c’est le club qui est condamné par la justice. Si le club respecte la loi, alors ce serait à la Préfecture d’assumer officiellement son désir de méconnaître le droit. En tout état de cause, on peut penser que lors de la réunion entre le club et les pouvoirs publics, le premier a apporté des garanties solides sur sa capacité à encadrer le regroupement de supporters dans le stade. Autour du stade, la Préfecture reste compétente. Elle aurait éventuellement pu émettre des réserves précises relatives à la sécurisation du Parc des Princes. Si elle a pris acte de la décision du club, c’est qu’elle juge que le PSG a apporté des garanties suffisantes.
PSG-Bordeaux, le 1er octobre 2016.
Pourtant, très récemment, le commissaire Antoine Boutonnet (responsable de la Direction Nationale de Lutte contre le Hooliganisme, ndlr) expliquait que ce retour était une « vraie fausse bonne idée ». On voit qu’il y a encore des gens qui ne voient pas d’un bon œil l’évolution de la situation.
Monsieur Boutonnet est libre de ses opinions personnelles. Mais, effectivement, il y a des personnes qui se satisfaisaient, pour telle ou telle raison, de la situation antérieure. Certains ne sont pas enthousiastes à l’idée de devoir élaborer un nouveau cadre de regroupement des supporters, d’autres ont des inquiétudes légitimes sur la capacité de l’ensemble des parties à assumer leurs devoirs. Clairement, oui, il y a des gens que ça ennuie. C’est normal mais c’est la vie !
J’imagine que la création du CUP a été un élément déclencheur par rapport à ce retour à la normalisation des relations entre les Ultras et le club, non ?
Indubitablement. Les supporters ont démontré leur capacité à se fédérer. Ils prouvent aujourd’hui qu’il n’y a pas de divergences entre les supporters qui souhaitent faire leur retour au Parc et ceux qui sont actuellement abonnés. Ils balaient les discours sur une prétendue rivalité irréductible entre les deux anciennes tribunes du Parc. Les supporters ont désormais un interlocuteur unique, qui peut s’appuyer sur l’ADAJIS comme médiateur. Le fait que le CUP ait enregistré 1 600 adhésions en quelques semaines est significatif. Le CUP n’est pas un artifice derrière lequel se cachent les supporters blacklistés ou les “anciens”. Il transcende toutes ces catégories et répond à une aspiration générale. 600 à 700 membres du CUP sont déjà abonnés au Parc des Princes et pour la plupart ce sont des gens qui ne fréquentaient pas ces tribunes avant le Plan Leproux. Ce ne sont pas des personnes qui revendiquent des droits perdus ou qui cherchent une revanche : ce sont des centaines d’anonymes de tous horizons qui veulent vivre le soutien collectif à leur équipe avec ferveur et organisation.
Nicolas Hourcade expliquait dans L’Équipe, la veille du test contre Bordeaux, qu’avant la création du CUP, on était face à « une multitudes de petits groupes de supporters », qu’on « y comprenait rien » et que le CUP permettait aujourd’hui de « rendre les choses plus lisibles ». Tu es d’accord avec ça ?
C’est la raison d’être du CUP.
Sur le plateau de L’Équipe TV, tu a pris soin de bien expliquer qu’on ne parle exactement d’un retour des Ultras au Parc mais plutôt d’un retour à une structuration des supporters en mouvement collectif. Pour ceux qui ne sont pas au taquet sur le sujet du Parc, du PSG et de ses supporters, tu peux nous en dire un peu plus à ce sujet ?
Dans l’imaginaire ou dans le discours de certains, le Plan Leproux a écarté du Parc des Princes les méchantes associations et les personnes infréquentables mais n’a jamais interdit aux gentils de revenir au stade. En réalité, le Plan Leproux n’a pas écarté des individus en tant que tel. Il a supprimé la capacité pour les supporters de soutenir leur club de manière associative, structurée, collective, et sans placement aléatoire. Personne ne conteste la nécessité, en 2010, du Plan Leproux. En revanche, ce dernier devait être transitoire et ses modalités devaient progressivement évoluer. Aujourd’hui, il n’est pas question d’un retour à l’état antérieur. Il n’y a aucune transposition des personnes ou des pratiques d’alors. Il s’agit, sans négliger la valeur et la beauté de l’engagement des supporters et des associations d’alors, de construire un nouveau modèle de structuration des supporters parisiens au service de l’animation des tribunes et de la ferveur populaire.
On a assisté à un premier test contre Bordeaux fin septembre. Comment tu as vécu ça à titre personnel, en tant que simple supporter parisien ?Avec Me Dubois, nous avons passé la plupart du match en coursives et ailleurs, pour ficeler deux-trois trucs. Nous n’avons pas spécialement profité de l’ambiance. Mais, ça fait plaisir, on voyait les gens heureux. Pas simplement ceux qui se revendiquent Ultras. Dans tout le public, on a ressenti une sorte de libération et une joie enfantine de participer aux animations. Fini le sentiment pesant que la tribune était amputé d’une partie des siens. La danse grecque impulsée en tribune Auteuil est évocatrice. On a vu des milliers de supporters qui se sont laissés prendre au jeu. Ça a dépassé le cadre des adhérents du CUP. Il n’y avait que dix leaders ajoutés à cette tribune et pourtant on a vu des milliers de personnes chanter et danser.
Malgré ça, sur les 16 membres du CUP qui ne sont pas abonnés au Parc, 6 n’ont pas pu entrer dans l’enceinte, dont Romain Mabille, le porte-parole du mouvement. Ça montre bien que rien n’est encore joué et qu’il reste encore beaucoup de travail à effectuer dans les semaines à venir.
L’élaboration du nouveau cadre exige du temps et de la patience. Il y aura nécessairement des coups de frein et des petits couacs, surtout pour une rencontre intervenant 48 heures après l’aval de la Préfecture. Mais ce blocage de supporters qui ne sont pas interdits de stade est illégal et n’est donc pas acceptable. Des éclairages doivent être fournis sur le sujet. Dialoguer de manière constructive et en bonne intelligence ne signifie pas accepter, légitimer ou justifier des comportements discriminatoires ou illégaux à l’endroit des supporters.
Comment fait-on pour en finir avec les amalgames (amalgames qu’on a de nouveau entendus ces derniers jours depuis l’annonce de la Préfecture) dès lors que la question des Ultras du PSG est sur le tapis ? Dans l’esprit de beaucoup, encore aujourd’hui, Ultras parisiens riment avec violence…
Traiter le sujet des supporters parisiens revient souvent à vivre de raccourcis ou d’amalgames infondés et nuisibles. Cela exige de la pédagogie. Cette question n’est pas consubstantielle au cas parisien. Les associations de supporters, notamment Ultras, concernent des dizaines de milliers de personnes en France. Les incidents ne concernent qu’une minorité. Ce n’est pas parce que certains individus détournent le fonctionnement associatif pour mal se comporter qu’il faut en tenir rigueur à ces associations. Pas d’angélisme, certes, mais ne pas généraliser, ne pas stigmatiser. Le football est un sport agonal (qui se rapporte à la lutte où à la compétition, ndlr), il crée de la ferveur et passionne des foules dans des espaces clos. Il y a toujours le risque d’individus isolés qui se comportent mal.
Tu sais un peu ce que sont devenues les franges les plus dures qui étaient à l’origine des débordements que le Parc a pu connaître avant la mise en place du plan Leproux ?
Je l’ignore. En revanche, je sais le CUP unique et unitaire, respectueux du passé mais tourné vers l’avenir. J’imagine que beaucoup “d’anciens” sont passés à autre chose.
Même si beaucoup de questions restent encore en suspens, une chose est d’ores et déjà certaine, c’est que les membres du collectif vont devoir être irréprochables et qu’au moindre petit débordement ça sera terminé de tout ça, non ?
Il faut être irréprochable mais il ne faut pas non plus à l’inverse, se servir de n’importe quel incident pour jeter l’opprobre sur tout le monde. Il y en a eu des incidents au Parc ces six dernières années, sans lien avec le CUP. Quand bien même un adhérent du CUP déciderait de faire une connerie pendant un match, hors des règles convenues entre le CUP, les pouvoirs publics et le club, il engagerait sa responsabilité individuelle. Dans le même temps, s’il apparaît que le nouveau cadre mis en place est faillible, il faudra le perfectionner. A ce stade, ça n’a aucun sens de dire « au premier incident on arrête tout ». Ce serait incohérent avec la volonté de permettre aux personnes de bonne foi et intelligentes de revenir au Parc.
Est-ce qu’on ne peut pas craindre que cette ouverture de la Préfecture ne soit que de la poudre aux yeux pour ensuite, au moindre prétexte, dire « Vous voyez, on vous avait bien dit que c’était ingérable, on arrête tout » ?
Je ne sais pas. C’est prêter beaucoup d’intentions à la Préfecture… La Préfecture n’est pas une personne en particulier, c’est une administration enserrée dans un cadre institutionnel, juridique et technique. Même si ses membres sont naturellement humains et faillibles. Mais je ne suis pas adepte des théories du complot.
Après l’annonce de la Préfecture, on a ressenti, notamment sur les réseaux sociaux, un vrai emballement populaire. Est-ce qu’il ne faudrait pas en réalité se montrer un peu plus prudent, un peu plus mesuré, et ne pas crier victoire trop vite ?
On peut se réjouir de la fin d’un blocage tout en étant conscient qu’il y a encore énormément de travail à réaliser, que ça va prendre du temps et que ça va être compliqué. Il faut rester enthousiaste, optimiste et déterminé mais ne pas se précipiter. Elaborer un modèle pérenne et constructif exige du temps.
Tu sais un peu où on en est aujourd’hui ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Les discussions continuent. ADAJIS, notamment, a permis de renouer le dialogue. Désormais, le CUP, en s’appuyant sur ADAJIS, a la légitimité pour avancer. Il est temps que le club, la Préfecture et les supporters se retrouvent autour de la même table.