Le Kosovo est un pays déchiré. Lors de l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, la guerre d’indépendance kosovare à base de crimes contre l’humanité et d’épuration ethnique a laissé des traces. VICE a posé 10 questions à l’un bénévole français de 25 ans au service d’une ONG locale qui œuvre pour la paix : GAIA Kosovo.
VICE : Tu vis maintenant à Mitrovica, un bled de 80 000 habitants dans un pays où 12% de la population tiens le coup avec moins d’un euro par jour. Ça doit te changer des grands villes françaises que tu connais, non ?
Jeremy : Mitrovica était la capitale du jazz en Yougoslavie ! Depuis la guerre, on n’y entend plus vraiment de musique. Il n’y a pas de cinéma et les musées pillés pendant la guerre n’ont toujours pas été renfloués. Dans les maisons, la plomberie est pourrie et les coupures d’électricité sont fréquentes. Je découvre que c’est très pénible. Du coup, il y a une vraie culture de la débrouille et de l’entraide. Personnellement, je partage jusqu’à ma chambre.
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La ville est célèbre pour son pont sur l’Ibar…fermé à la circulation.
Depuis le pogrom de 2004 [50000 émeutiers Albanais anti-Serbes, 900 blessés, 28 morts, des milliers de déplacés, ndlr], la ville est encore plus coupée en deux qu’avant entre les Albanais du Kosovo qui vivent au sud du fleuve et les Serbes du Kosovo qui vivent au nord. Je rencontre des jeunes qui vivent ici depuis 25 ans et n’ont jamais traversé le pont. Ils ont trop peur pour ça.
Les violences sont sporadiques mais impressionnantes : en 2009, l’agression au couteau d’un ado serbe par des Albanais a déclenché une vague d’attentats à la bombe dans des commerces et des parkings. Tu ne flippes pas ?
Il faut relativiser les violences actuelles. J’ai passé une unique soirée à Paris en 2018 : un homme a été immolé et jeté dans le canal sous mes yeux, avant que les Parisiens ne retournent boire des coups autour. Au Kosovo un drame pareil ferait la Une de tous les journaux tant il serait inhabituel.
Tout va bien, alors ?
Mitrovica est une ville charnière. La menace de nouvelles violences communautaires est bien présente. Si elles explosaient, elles pourraient embraser les Balkans tout entier. Les printemps arabes aussi ont commencé par une affaire très locale.
Qu’est-ce que tu fais de tes journées là-bas ?
On crée des espaces où les membres des deux communautés peuvent se mélanger sereinement autour de la culture. Concrètement, mon travail consiste notamment à sympathiser avec les acteurs culturels de la ville des deux côtés du pont pour préparer des événements. Je vais notamment dans les deux galeries d’art : l’une côté albanais et l’autre côté serbe. On passe de bons moments.
Et ça paye bien ?
Nous sommes une vingtaine de bénévoles internationaux, aussi bien Espagnols ou Allemands que Lithuaniens ou Bulgares. Nous n’avons pas de salaire, mais nous sommes nourris, logés par l’ONG. Le volontariat est une manière de vivre au service de son prochain, dans son quartier ou à l’autre bout du monde. Certains d’entre nous se débrouillent pour avoir un peu d’argent, en service civique par exemple [indemnisé par l’État français à hauteur de 520 euros mensuels, ndlr].
Ton parcours t’a amené jusqu’au siège européen de l’Organisation des Nations-Unis. Tu n’as pas voulu persévérer dans cette voie prestigieuse ?
Avec mon master en relations internationales sur les sociétés post-conflits [à propos desquels il édite toujours une newsletter régulière, ndlr], j’ai effectivement atterri en stage à Genève à l’ONU, ce qui n’est pas facile à obtenir. Ma famille ne comprend pas que je sois passé de l’ONU à bénévole dans les Balkans. Mais la vie de bureau est déconnectée, lointaine et froide. En tant que stagiaire, on ne se sent pas vraiment utile. J’avais besoin d’aventure. Je crois vraiment dans le rôle de GAIA Kosovo. Et je savais qu’ici mon parcours académique pourrait servir à quelque chose : je rédige les demandes de subventions en écrivant de manière un peu sérieuse et lourde.
Est-ce que c’est aussi une question de milieu social ?
Probablement. J’ai grandi dans une banlieue populaire de Lyon. Les bureaux de marbre de l’ONU sont remplis d’enfants de gens très riches, surtout que les stages n’y sont pas payés du tout [et que la vie à Génève est la plus chère de la planète, ndlr]. Je portais un costard pour la première fois de ma vie. Il n’y avait qu’un seul autre jeune issu d’une famille modeste : on se moquait ensemble des collègues avec qui on n’arrivait pas à parler de la même chose ! Je rencontre beaucoup plus de mixité sociale ici, c’est plus enrichissant.
Tu tisses des liens avec ton nouveau pays d’accueil ?
À Mitrovica, il n’y a presque pas d’expatriés, on peut passer du temps avec les locaux. Je connais le boulanger, l’épicier… J’apprends le Serbe, et je baragouine quelques mots d’Albanais. Et on sort parfois avec d’autres bénévoles boire des coups avec la jeunesse branchée de la capitale, à une heure d’ici. En septembre dernier, une Albanaise du Kosovo de 28 ans a bénéficié d’un programme auquel je collaborais : on l’a emmené elle et 9 autres jeunes pendant 5 jours dans un village serbe, pour lutter contre les clichés qui pourrissent le pays. Elle a vu des Serbes du Kosovo pour la première fois de toute sa vie ! Depuis, elle aide l‘ONG une fois par semaine. Elle s’appelle Pajtesa, ça signifie « réconciliation » en Albanais.
C’est pour elle – qui ne peut pas venir en France à cause de son passeport pourri – que tu rempile ce mois-ci pour une année complète sur place ?
Tout le monde pense ça ! Non, c’était décidé avant que nous nous rencontrions et qu’elle ne devienne ma copine. Maintenant, je suis fasciné par les Balkans, je veux tout comprendre de ses communautés, découvrir chaque recoins au contact des habitants. Même les très grands responsables de l’ONU ont tous une expérience de terrain ! Je ne sais pas ce que je ferais dans cinq ans.
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