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On a envoyé un stagiaire né en 1995 au concert « L’Âge d’Or du Rap Français »


Né en 1995, je n’ai pas grandi avec les Sages Poètes de la Rue, les X-Men, Oxmo Puccino ou les Neg’Marrons et n’avais donc strictement rien à faire au concert « L’Âge d’Or du Rap Français », qui avait lieu ce lundi soir à l’AccorHotels Arena (et qui aurait pû être rebaptisée le Palais Omnisports de Bercy pour l’occasion). Mais étant stagiaire pour VICE News, je partage mon bureau avec l’équipe de Noisey qui, elle, pensait que j’étais, bien au contraire, le candidat idéal pour cet évènement au casting XXL, rassemblant nombre de légendes des années 90 : outre les groupes pré-cités, on pouvait en effet y croiser Ärsenik, Busta Flex, Assassin, Passi, Rocca, Menelik et même Daddy Yod… mais pas IAM ni NTM, poids lourds incontestables de l’époque. Époque que je n’ai absolument pas connue – pour moi, Stomy Bugsy c’était un des acteurs de Gomez et Tavares et Kery James, un rappeur moralisateur plutôt chiant. Ce concert était donc l’occasion pour moi de vérifier si le rap, c’était – effectivement – mieux avant. 

Vers 20h, Eklips s’agite en première partie. Je me doutais qu’écouter un type imiter pendant une heure des rappeurs que je ne connais pas n’était pas forcément un super plan. J’ai donc fait l’impasse sur sa prestation et ne suis arrivé à l’AccorHotels Arena qu’un peu après 21h, accompagné par ma copine. Depuis la fosse, où l’on s’est trouvé un spot idéal face à la scène, je constate que la salle est remplie à craquer. Beaucoup de trentenaires, voire quarantenaires, nostalgiques du fameux « âge d’or », originaires de toute la France et scandant des refrains incompréhensibles. Côté look, pas mal de vieux baggys, de bonnets fripés et de chaînes en argent. Les plus audacieux ont osé les tee-shirts G-Star ou RG-512. Les maillots du PSG (datant tous d’avant l’arrivée des Qataris, évidemment) sont de sortie. 

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Un écran géant introduit chaque artiste avant sa prestation. Pour moi, c’est parfait. Pour les autres, ça doit être assez gênant de devoir se faire rappeler constamment de qui on parle. « N’aies pas peur, c’est juste du rap », lance un quarantenaire à ma copine. En jetant un coup d’oeil à la scène, il y a tout de même de quoi flipper. K-Reen vient d’apparaître. Enfin, de renaître, tel le phénix des refrains R’n’B mielleux des années 90. À l’époque, le gros truc, c’était visiblement de mettre des K partout : Mystik, Expression Direkt, Ärsenik… À l’écoute des premières notes de « Elle Te Rend Dingue », ma copine, pas vraiment plus renseignée que moi, me souffle « Hey ! C’est Nuttéa ! » « Nutty », corrige la voix dans les hauts-parleurs. « Est-ce qu’il y a des mamans dans la salle ? », demande le chanteur. Les cris qui s’ensuivent creusent un peu plus le décalage de génération.

Déchaîné dans son marcel blanc, Busta Flex balance trois ou quatre titres avec une impressionnante fougue juvénile. En confiance, il lance à la foule un « Est-ce qu’il y a des ladies et des lascars dans la salle ? », qui nous rappelle qu’il a tout de même 39 ans. Plus tard, Stomy Bugsy entonne son hymne « Mon papa à moi est un gangster », grand succès de la soirée, durant lequel il invite son fils sur scène. Assez touchant, faut le reconnaître.

Ceux qui s’en sont le mieux sorti, pour moi : Oxmo, Stomy, Passi et la vidéo de MC Solaar, qui n’avait pas pris la peine de faire le déplacement (un medley de 10 titres en 5 minutes, bah ouais). Sûrement les plus intemporels du lot. Beaucoup moins accroché avec La Cliqua ou Expression Direkt, trop ancrés dans le siècle dernier. Sully Sefil est venu confirmer ce que je craignais : que le rap, non, c’était pas forcément mieux avant.

En sortant, je me suis mis à imaginer un concert all-star des rappeurs à succès d’aujourd’hui, en 2042. Kaaris pourrait arriver sur scène en criant « J’ai dit puteuh ! », et mon fils découvrirait une face de moi qu’il n’aurait jamais imaginé. L’autotune serait totalement dépassé. PNL, Hamza ou Kekra passeraient pour des anomalies dont le succès 25 ans plus tôt semblerait inconcevable aux nouvelles générations. En quête de sens et de leaders, la société serait revenue au « vrai » rap, celui où « il y a des paroles, au moins ». Réunie de nouveau à Bercy, la foule de 2042 mimerait le signe Jul, s’ambiancerait sur la danse du Charo et dabberait à s’en déboîter le coude. Ce serait compliqué et triste. Mais on serait comblés. Et vieux.


Bartolomé Simon est stagiaire pour VICE News. Il a 22 ans et est évidemment sur Twitter


Toutes les illustrations sont de Pierre Thyss, qui est à peine plus vieux mais est encore sur Twitter.