Drogue

On a épluché le rapport économique sur le marché français de la weed

image

Vous êtes sûrement tombés sur cette série française sortie fin juin sur Netflix qui raconte l’histoire d’une famille de boucher dans le Marais et qui tente de sauver son business qui s’écroule en transformant sa boutique en un coffee-shop garni de weed à la décoration super louche – à mi-chemin entre un salon de thé et une chicha. Si ça ne vous dit rien, tant pis, puisque nous tairons le nom de cette série qui avait tout pour réussir et qui s’est transformée en un tohu-bohu scénaristique venu côtoyer l’incohérence et le grotesque.

Mais si la série n’est pas ce à quoi l’on s’attendait, en revanche, sa sortie s’accorde à merveille avec un autre scénario qui reprend l’intrigue d’un monde où la weed serait légale. Début juin, le Conseil d’analyse économique (CAE) – une sorte d’assemblée de gestionnaires du flouz qui mettent leurs pouvoirs au service de la galaxie économique – a présenté une note sur la légalisation du cannabis récréatif aux cabinets du Premier ministre, du ministère de l’Economie et des Finances, du ministère de la Santé, de l’Intérieur et celui du président de la République. Emmanuelle Auriol, professeure à Toulouse School of Economics, et Pierre-Yves Geoffard, directeur de recherche au CNRS, ont rédigé cette note qui détaille les méthodes que devrait adopter la France pour « reprendre le contrôle du marché du cannabis. »

Videos by VICE

Comme nous sommes tous les enfants de la start-up nation, on s’est dit qu’avec un rapport comme ça, l’occasion était trop belle pour ne pas sauter le pas et monter l’entreprise que nous avions toujours rêvé de créer. Du coup, nous avons épluché les propositions hypothétiques d’organisation de ce marché français du chanvre afin de vous filer quelques tuyaux pour faire fortune avant tout le monde – si jamais ces recommandations sont adoptées.

Entreprendre dans le cannabis

La mise en place de ce marché légal a pour but de lutter contre la criminalité et de limiter l’accès des stupéfiants aux mineurs. Pour atteindre ces deux objectifs, et grâce à l’étude approfondie des marchés actuels des pays dans lesquels la substance a déjà été légalisée, les deux économistes préconisent une organisation du marché « étatique et centralisée via un monopole public de production et de distribution », visant à permettre un meilleur contrôle sur l’organisation et le fonctionnement du secteur. En gros, l’idée serait de faire de ce marché de la weed une pâle copie du marché du tabac français, à la différence que l’Etat délivrerait à la fois des licences pour les distributeurs mais aussi pour les producteurs. Il aurait alors la mainmise sur l’acheminement du chanvre dans tout le processus.

Si vous trainez dans le marché illégal actuel et que vous êtes âgés de moins de 18 ans, pensez donc à revenir du bon côté de la barrière – le secteur de la criminalité est en faillite – et vous pourrez justifier de votre expérience dans le domaine plus tard. Avec de la patience et un casier judiciaire pas trop rempli, vous pourriez avoir votre place.

« Par conséquent, la légalisation aurait le même effet qu’une bonne dose de stéroïdes pour le domaine de l’agriculture »

Si vous êtes agriculteurs et que les affaires ne vont pas fort en ce moment, prenez votre mal en patience et commencez à lire des bouquins sur la plantation de cannabis et l’utilité des lumières bleues. Votre secteur est en pole position pour se faire de la maille, car d’après le rapport, le prix de vente au détail permettrait de vous rémunérer de façon satisfaisante. Le gramme au détail s’élèverait à environ cinq euros hors taxe pour un coût de production un peu en deçà d’un euro. Si les comparaisons ubuesques ne vous déplaisent pas, en voici une qui pourra vous éclairer sur l’empire que vous pourriez construire : en 2014, le Centre d’étude des ressources sur la diversification indiquait que le prix de vente d’un œuf était en moyenne de 0,25 centime. Pour une boîte de six œufs en grande et moyenne surface, le prix s’élevait à 1,93 euro HT. Par conséquent, la légalisation aurait le même effet qu’une bonne dose de stéroïdes pour le domaine de l’agriculture.

En revanche, si vous n’avez aucune connaissance en botanique, que le jardinage n’est pas votre kiff et que le remboursement de votre école de commerce vous plonge dans une détresse psychologique, nous vous conseillons de tabler sur l’officine – le mot mignon pour désigner les magasins de weed. Vous en savez plus que nous sur la procédure mais prévoyez business model, emprunt bancaire – encore – et statut juridique pour vous lancer dans l’aventure. Bien évidemment, pour obtenir votre licence rapidement, vous prierez Jésus-Marie-Joseph puisqu’un marché régi par l’Etat signifie administratif géré par l’Etat. Autrement dit, bon courage.

Si un simple petit commerce ne vous intéresse pas, réunissez le plus de thunes possible et attendez que le marché se développe. Vous aurez sûrement ensuite l’occasion de racheter un pôle de production, ou de distribution, ou les deux. Les marchés publics n’ont pas la côte dans notre système libéral et vous pourriez rapidement tomber sur une vente inopinée – à voir si le cannabis rapporte plus que Paris-Charles De Gaulle et Orly réunis. Sait-on jamais, restez à la feuille.

Le prix de vente hypothétique du cannabis n’est pas encore précisé. Le rapport exprime la difficulté à fixer le juste prix du produit qui varie selon plusieurs critères. Cependant, un prix correct s’élèverait autour de neuf euros le gramme d’herbe servant, à la fois de « prix d’éviction » pour le marché illégal et à la fois « d’un niveau de taxation similaire au tabac ». Oui, le meilleur moyen de régler cette affaire réside dans le taux d’imposition, car la taxe est bien la sauce préférée de l’Etat – c’est un peu la blanche-harissa de votre kebab préféré – et d’après nos calculs super bancals, l’Etat aurait intérêt de taxer à 70% pour neuf euros/gramme [un droit d’accise de 50 % et une TVA de 20 %, NDLR». En revanche, les économistes soutiennent qu’un taux élevé reviendrait à priver les plus faibles revenus de consommation, ce qui dans un tel cas pourrait engendrer l’apparition de nouveaux cortèges dans les rues.

« Le marché du cannabis représenterait 2,8 milliards d’euros de recettes fiscales »

La stratégie proposée au départ est de soumettre le gramme à un prix relativement faible pour éradiquer les marchés illégaux et pour ensuite augmenter les taxes afin de limiter la consommation. Une pâle copie du tabac comme on vous l’a dit plus haut. Vous n’avez plus qu’à vous débrouillez pour trouver des combines pour passer à travers les seuils d’imposition et espérer qu’une once d’Etat-providence réside encore en France pour qu’elle fournisse des aides dont elle seule a le secret.

La weed recrute

Si vous faites parti de ces gens qui ne savent pas quoi faire de leur vie, mais qui pour des raisons assez sérieuses, veulent juste s’investir dans un projet éthique et local, la filière de l’herbe est un domaine qui devrait vous intéresser. D’après un savant calcul – on n’en est pas à l’origine – et des estimations vraisemblablement sous-évaluées, le marché du cannabis représenterait 2,8 milliards d’euros de recettes fiscales (prix du gramme appliqué aux 500 tonnes de consommation prévue), entre 360 et 740 millions d’euros de cotisations sociales et 40 000 à 80 000 créations d’emplois. Toujours friand de comparaisons loufoques ? Le lobby de l’armement en France représenterait actuellement environ 100 000 à 120 000 emplois sans compter les entreprises de sous-traitance [ Thinkerview, Pierre Conesa NDLR]. Le marché du cannabis génèrerait donc un paquet de thunes et engendrerait une baisse drastique du nombre d’abonnés au Pôle Emploi. Pour démarquer votre candidature de celles des autres, misez sur la surprise : concoctez et pré-rouler quelques-unes de vos spécialités en un « zdair de tar-ba » pour en mettre pleins les yeux au gouvernement.

Tous ces conseils restent pour le moment que de simples propositions puisqu’aucune réponse n’a été donnée du côté des grandes instances de l’Etat. Alors que même si nous nous voyons déjà gambader dans les rues à la recherche de notre nouvelle officine préférée, la mise en place d’un tel marché n’est pas pour demain la veille.

Le mieux qu’il puisse nous rester à faire est de continuer à se goinfrer de séries encore plus nulles les unes que les autres dans l’attente que ce scénario – qui reste à ce jour une des plus belles fictions françaises – se réalise.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.