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Dernière vodka avant le bout du monde

Au milieu des maisons de tôle et des chemins de terre, dans la ville d’El Calafate, en Argentine, c’est pas franchement l’éclate – car ici, c’est avant tout un bled de passage pour les voyageurs sur la route du fameux glacier Perito Moreno ou les ornithologues du dimanche en mal de flamants roses. C’est pourtant dans ce petit coin reculé du globe qu’est fabriquée l’Estepka : la vodka la plus australe du monde – ou si vous préférez, la dernière vodka avant l’Antarctique.

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Dans cette ambiance désertique, toute l’animation semble concentrée sur la très propre avenue principale, entre un casino d’un autre âge, des boutiques de souvenirs, mille agences touristiques… et, ô surprise, une distillerie artisanale ! 

Alberto Helmich devant la distillerie familiale. Toutes les photos sont de Charles-Henry Salmon.

Regard bleu polaire et coupe en brosse, Alberto Helmich nous accueille avec énergie dans le bar qui jouxte sa fabrique. Mais comment a t-il atterri là ? En 1908, son grand-père quitte son Allemagne natale pour apprendre aux Argentins à se servir des canons qu’il leur vendait. Quelques années plus tard, toute la famille est venue s’installer au fin fond de la Patagonie et vit de l’élevage des moutons, comme à peu près tout le monde dans le coin à l’époque. Mais dans les années quatre-vingt, le business de la laine argentine se casse la gueule et le « campo » (l’exploitation agricole, N.D.L.R.) se concentre donc sur les fruits rouges comme le calafate (une baie locale du genre myrtille) et commence à en faire des confitures et autres liqueurs. Même si l’investissement est encore timide, les Helmich tiennent là leur première production vaguement alcoolisée estampillée du nom de la famille.

De son côté, à 18-19 ans, Alberto n’est que très peu emballé par ses études d’ingénierie environnementale, et s’embarque dans un tour de l’Autriche avec ses cousins européens. C’est à ce moment-là qu’il découvre le monde merveilleux de la distillation. Il revient en Argentine avec en tête la ferme idée de produire son alcool, bien du coin, en appliquant les techniques européennes aux ingrédients locaux. Exit la fac, il se met donc à faire des tests, à distiller des fruits, à tenter de faire de la bière… 

Il se met aussi à ramasser des plantes sauvages dans la steppe pour ses expériences : « c’est près du Fitzroy que j’ai vu la paramela pour la première fois, je me suis dit que ça pourrait cartonner ». Il décide de se lancer dans la production d’une version patagonienne de la vodka Zubrowska, qu’il appellera l’Estepvka, et dont il lancera officiellement la machine en 2007. Ici, pas d’herbe de bison, mais la paramela en question, cette herbe aromatique utilisée par les indiens Tehuelches pour ses vertus médicinales depuis la nuit des temps.

Les débuts sont un peu laborieux : « ici tout est plus difficile [qu’en Europe]. J’ai dû concevoir l’alambic moi-même, détourner d’abord une bouteille d’huile d’olive puis une bouteille de pinard comme contenant car je ne trouvais rien à un prix raisonnable, je viens tout juste d’avoir le droit d’exporter au bout de 3 ans et demi… ». Malgré tout, Alberto ne lâche rien et garde un optimisme totalement contagieux. Et même si « pour l’instant, ça ne rapporte pas un radis », il compte bien démontrer qu’en Argentine aussi, « on peut distiller de super alcools ».

Concrètement, comment ça marche ? La paramela macère d’abord dans de l’alcool pur triplement distillé pendant environ une semaine. Puis, les morceaux sont enlevés et le jus est distillé de nouveau pour obtenir un spiritueux clair : « la paramela est super-résineuse, il faut donc la distiller pour que le résultat ne soit ni trop trouble ni trop amer ». L’eau qu’il utilise dans le process est clé : après quelques essais avec celle du glacier local, le Perito Moreno ( « on chopait des blocs de glace et on attendait que ça fonde, pas très pratique »), c’est finalement l’eau de la Cerro Frías voisien – une montage située dans le même parc national – qu’il retient pour sa pureté. Au départ, il n’avait pas prévu de faire autre chose que de la vodka aromatisée, mais cette version pure est née naturellement quand il s’est rendu compte de la qualité exceptionnelle de sa matière première : l’eau des glaciers d’un côté et l’alcool de maïs qu’il fait venir de Cordoba, de l’autre.

Le résultat est canon, frais et onctueux à la fois, vraiment à part. Pour rester dans l’ambiance, le voyageur éclairé voudra siroter la bouteille à même le glacier Perito Moreno, histoire de se réchauffer.

Même si sa production reste encore confidentielle, l’Estepvka a déjà un joli succès des connaisseurs et bartenders de Buenos Aires. Il en va de même pour la Pfeffer, une version relevée au piment. Depuis peu, la gamme compte aussi un gin, inspiré des popotes de la grand-mère d’Alberto : « aux confins de la Patagonie, elle a gardé les mêmes saveurs qu’en Allemagne pour cuisiner, et notamment pour faire son gâteau de Noël : la cardamome, le gingembre, les fruits secs, c’est vraiment ma madeleine. Et comme on buvait régulièrement du gin ou du vermouth à l’apéro au campo, j’ai voulu lui rendre hommage. »

Et la génération d’après, elle en pense quoi ? « Mon plus jeune fils dit qu’il veut faire de la vodka, comme papa ! Mais je ne veux pas que mes enfants se sentent coincés, ils feront ce qu’ils veulent ». S’ils pouvaient continuer le boulot, on leur serait infiniment reconnaissants…

La recette du Pionero

Leonardo Saracho, barman de La Zaina à El Calafate, et vainqueur du tournoi fédéral de mixologie de la région Rosario en 2015, nous a filé sa recette de cocktail à base de vodka des glaciers.

40 ml d’Estepka
25 ml de liqueur de calafate Helmich
15 ml de vermouth Cinzano
1 pschitt de bitter Patagonia à la lavande
1 brin de lavande pour le décor

Dans un verre à whisky, mettre un glaçon et verser l’Estepka, la liqueur de calafate et le vermouth. Ajouter un pschitt de bitter et égrener les grains de lavande dans le verre. Mélanger délicatement et déguster.


Destilería Helmich
Av. Del Libertador 935 – (Z9405AHH) El Calafate – Santa Cruz, Argentine
http://www.helmich.com.ar/