Société

On naît domina, on ne le devient pas

Lady Sofia, de dos

« Les femmes libérées ne sont pas bien vues dans notre société » m’explique Lady Sofia, artiste pluridisciplinaire de 44 ans qui pratique la domination cérébrale depuis trois ans. Après le décès de son époux et vingt ans de vie commune avec un « pervers narcissique, bipolaire, maniaco dépressif et schizo » selon ses termes, elle décide de reprendre le contrôle de sa vie. « J’étais un objet d’obsession, j’étais son trophée. Je ne me suis jamais rendue compte qu’il me rabaissait et m’humiliait continuellement. »

Pourtant, c’est grâce à lui qu’elle découvre le libertinage en 2012. Pour la convaincre, il lui rappelle qu’à l’époque de leur rencontre, elle était bisexuelle et que ce serait l’occasion de retrouver ses premières amours. Mais elle n’y prend aucun plaisir au début. « C’était atroce. Il me faisait des crises de jalousie. Je n’avais pas le droit de prendre du plaisir. En plus, on n’avait pas les mêmes goûts pour les femmes. Je suis quelqu’un de très cérébral et lui ne l’était pas. » La cérébralité est établie par des dialogues et des échanges. « C’est une connexion cérébrale avec l’autre personne », explique la domina.

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Lady Sofia

Débarrassée de ce fardeau, Lady Sofia change son profil sur Wyylde [réseau social libertin, anciennement netechangisme.com, ndlr.] et retrouve avec passion son caractère dominant, son côté expérimentaliste et sa panséxualité. « Je suis née comme ça. On naît domina, on ne le devient pas. Pendant 20 ans, j’ai dû me contenir, j’ai tué une partie de moi-même », explique la petite femme aux cheveux bruns très longs. Elle reprend aussi goût aux jeux BDSM (Bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme) qu’elle a découvert étant plus jeune avec une femme. « Ce n’était pas une séance. Ça s’est fait assez naturellement. On commence par des attaches ou une petite fessée… » Après avoir essayé d’être dominée, elle avoue ne pas supporter les coups et avoir toujours tendance à reprendre la main sur la situation. « Ce n’est pas fait pour moi », dit-elle en riant.

« Les dominés ont besoin de lâcher prise et de décompresser. Les soumis, quant à eux, ont besoin d’appartenir à quelqu’un et veulent à tout prix faire plaisir. »

La domina n’est pas non plus du genre à offrir un collier de soumission ou à établir un contrat car pour elle « Ce sont comme des fiançailles ! ». Elle considère plutôt ses soumis comme des “patients” qui viennent la voir pour une consultation. Elle avoue tout de même aimer les lettres de demandes de soumission en bonne et due forme. Lady Sofia ne saurait dire combien de dominés et de soumis elle a eu entre ses mains depuis trois ans. Elle ne les compte pas mais distingue parfaitement les deux. Les dominés ont besoin de lâcher prise et de décompresser. Les soumis, quant à eux, ont besoin d’appartenir à quelqu’un et veulent à tout prix faire plaisir.

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Avant d’inviter un soumis ou un dominé à une séance, Lady Sofia prend le temps de discuter de longs mois pour cerner la personne qu’elle va dominer. « J’ai besoin de temps et de confiance. Je dois être sûre que la personne est stable psychologiquement. » Elle prend conscience des besoins et des envies du soumis. « Je ne suis pas là pour imposer, je dois ressentir ce dont l’autre a besoin à un instant T. » Ulysse*, 31 ans, ingénieur et soumis à la domina depuis juillet dernier confie : « Les échanges avec elle sont enrichissants et agréables. » C’est aussi ce que raconte Charles*, 59 ans, médecin et soumis sexuellement : « On a commencé à discuter il y a environ un an sur Wyylde et notre première rencontre date d’il y a six mois. » Ce qu’il préfère dans le BDSM c’est le fait de s’offrir. « C’est un don que l’on fait », explique-t-il.

« À partir du moment où ils t’ont possédée physiquement, ils n’ont plus d’intérêt pour toi. Une domina doit susciter le fantasme, elle doit avoir du charisme et de l’emprise. »

Pour sa première séance, la domina avait convié une de ses amies, domina elle aussi. Il raconte précisément : « Lady Sofia m’a accueilli, m’a demandé de me mettre nu puis elle m’a bandé les yeux. Après quelques longues minutes d’attente appuyé contre un poteau, les deux dominas m’ont attaché les mains. Elles ont joué de moi en me faisant marcher à quatre pattes tenu en laisse. Ensuite, elles m’ont fouetté avec un martinet. […] Pour finir la séance, Lady Sofia m’a fait m’allonger sur une table gynécologique et elle m’a pénétré avec un gode en douceur. »

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« Tu verras, je ne m’habille pas comme les autres dominas. Je ne mets pas de latex. Je suis plus dans l’élégance », avoue-t-elle à notre photographe. La domina est considérée comme un ovni dans le milieu BDSM. Elle n’a aucune relation sexuelle avec ses soumis, elle explique pourquoi : « À partir du moment où ils t’ont possédée physiquement, ils n’ont plus d’intérêt pour toi. Une domina doit susciter le fantasme, elle doit avoir du charisme et de l’emprise. » Elle s’autorise toutefois un écart lorsqu’elle domine une femme : elle utilise sa langue pour la partie clitoridienne. Lady Sofia réussit à dominer avec douceur, elle analyse leur comportement en amont. « J’ai une approche du BDSM complètement différente des autres dominas et maîtres. Je réussis à amener les soumis plus loin que leurs limites sans les brusquer. Quand tu es à l’écoute de l’autre, tu sais quand tu dois t’arrêter. »

La quadra au visage d’ange dénonce aussi les pratiques de certaines dominas qui sont « dans la vengeance ». Elle ne conçoit pas que ces femmes vident leurs nerfs sur leur soumis ou s’en servent comme objet sexuel. Lady Sofia nous confie d’ailleurs qu’elle ne recommencera pas une séance avec une autre domina après son expérience avec Charles. « Je ne prenais pas de plaisir, je devais la surveiller sinon elle allait trop loin», raconte-t-elle.

« Mais ce n’est pas la seule chose que Lady Sofia fait avec ses talons… Elle peut les masturber et leur écraser les testicules ou le sexe avec. »

Pendant ses séances, la domina a quatre phases : la soumission, l’humiliation, la punition et la possession. Quand elle parle d’humiliation, elle précise toujours : « Je ne fais pas dans la dépravation ! » L’humiliation dépravatrice concerne notamment les pratiques scatologiques et urologiques. Lady Sofia commence toujours par bander les yeux de ses soumis pour « accentuer leurs sensations et qu’ils puissent lâcher prise ». Elle aime bien les attacher avec des menottes en cuir, des cordes ou encore des serflex (collier de serrage utilisé en bricolage). Puis, elle leur demande généralement de faire le “tapis de sol” ou la “table basse”. Elle peut leur marcher dessus avec des talons aiguilles bien sûr en contrôlant toutefois son poids. « Certains sont fétichistes, ils ont besoin de sentir. » Mais ce n’est pas la seule chose que Lady Sofia fait avec ses talons… Elle peut les masturber et leur écraser les testicules ou le sexe avec.

Pendant la phase de possession, elle pratique le fist anal avec des gants ou le massage prostatique. Ils n’ont pas le droit d’éjaculer sauf si elle le demande. « Pas sur moi ! Ils peuvent jouir sur mes chaussures mais ils doivent nettoyer », annonce-t-elle avec un sourire au coin des lèvres. La domina utilise aussi des jouets notamment des paddles [tapette dure en cuir, ndlr.], un snake [sorte de fouet, ndlr.] ou encore un appareil envoyant des petites décharges électriques qui a laissé de jolis souvenirs à Charles et Ulysse. Son préféré ? La cravache évidemment.

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Elle affirme cependant ne jamais franchir la limite de la douleur. Aucun de ses soumis n’a jamais prononcé le safeword [mot de sécurité pour arrêter la séance à tout moment si la douleur est trop intense, ndlr.] « Ça ne sert strictement à rien ! À force de supporter les coups, à un moment donné, le cerveau se déconnecte du corps. C’est là que l’on arrive sur des extrêmes notamment sur des jeux médicalisés. » Dans ces pratiques, on retrouve les jeux d’aiguilles, les mutilations ou encore les jeux avec des seringues (des produits sont injectés dans le corps du soumis). Lady Sofia ne les pratique pas. Tout comme elle ne pratique pas la domination 24 heures sur 24 ni celle à distance. Chacun peut reprendre le cours de sa vie après la séance.

« Les femmes sont traitées comme des objets. Pendant les soirées libertines, les organisateurs leur demande d’apporter plusieurs tenues et de se laver même si elles n’ont rien fait. Ils leur disent aussi quand et comment elles doivent jouir. »

La domina a besoin de sa liberté et de son indépendance. « J’aime mon autonomie », confirme-t-elle. Elle ne veut plus respecter les règles qu’on lui impose ou appartenir à quelqu’un après ce qu’elle a vécu. « On m’accepte comme je suis ou on va voir ailleurs. Pour personne je ne renoncerai à qui je suis », clame-t-elle. D’ailleurs, elle soupire en expliquant que la condition des femmes dans le milieu libertin laisse à désirer. « Les femmes sont traitées comme des objets. Pendant les soirées libertines, les organisateurs leur demande d’apporter plusieurs tenues et de se laver même si elles n’ont rien fait. Ils leur disent aussi quand et comment elles doivent jouir. » Elle enchaîne : « On est humiliées quotidiennement ! On a l’impression d’être des êtres inférieurs alors que ce n’est pas le cas. On est beaucoup moins complexes que les hommes. Personne ne devrait nous imposer des règles qui n’ont pas de sens. »

*Le prénom a été modifié.

Remerciements à Victor, propriétaire du club libertin La Marquise (84 rue Saint-Honoré, 75001 Paris).

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