On parle d’argent avec des athlètes professionnels

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Les Alouettes de Montréal ont invité VICE à passer la saison 2018 au sein de l’équipe. Notre dossier spécial sur la culture du football est disponible ici.

Jusque dans les années 70, les joueurs de la LCF gagnaient le même salaire que ceux de la NFL. Depuis, l’écart s’est creusé entre les deux ligues, et aujourd’hui, les joueurs de la LCF font partie des athlètes professionnels les moins bien payés en Amérique du Nord.

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En 2018, dans la LCF, le salaire annuel minimum est de 54 000 $. C’est généralement ce que gagne un joueur sans expérience qui fait ses débuts dans la Ligue. Dans la NFL, le salaire minimum est de 480 000 $ US (soit 634 000 $ CA). Mais il serait injuste de comparer les deux ligues, puisqu’elles n’ont pas les mêmes revenus. Regardons plutôt l’évolution des plafonds salariaux, soit le budget maximum dont dispose chaque équipe pour payer ses joueurs. Dans la CFL en 2018, chaque équipe dispose d’un plafond salarial de 5,2 millions. Pour la NFL, ce plafond est de 177,2 millions. En 3 ans, le plafond a augmenté de 23,67 % dans la NFL et de seulement 2,97 % dans la LCF. La ligue canadienne peine à augmenter ses revenus.

« Les joueurs de football ne seront de toute façon jamais payés à leur juste valeur par rapport à l’impact physique et la violence de leur métier, explique Me Sasha Ghavami, avocat et agent d’athlètes agréé. Tu mets ton corps à risque, peu importe à quel niveau. Mais c’est une ligue de gens passionnés. Tout le monde a envie que la ligue et les joueurs aient du succès et que la ligue augmente ses revenus. Il faut surtout trouver des moyens d’attirer la nouvelle génération. »

Du côté des joueurs, c’est un sujet à la fois omniprésent et tabou. Un grand nombre de joueurs de la LCF ont le symbole « $ » ou l’émoticône du sac de billets dans leur présentation sur Instagram, pourtant, ils acceptent seulement de parler d’argent sous couvert d’anonymat. Alors pourquoi flasher sur IG? « C’est presque une tradition d’avoir un côté bling au football, nous explique un joueur. On a envie de dire “Je fais du dollar avec ma passion”, même si on ne fait pas tant de dollars que ça. »

Quand il est question d’argent dans le football, la question de l’écart entre les salaires au sein d’une même équipe est vite abordée. Un joueur peut gagner le triple de ce que gagne son voisin de vestiaire. « C’est vrai que parfois il y a de la jalousie, confie un joueur. Au début de la saison, on ne parle pas trop d’argent, mais très vite, on sait combien les autres gagnent. C’est un des sujets qui intéressent le plus les gars, c’est sûr. »

« On accepte que les autres gagnent mieux, c’est comme ça, c’est la règle, poursuit-il. Moi, s’il y a une star qui gagne 100 000 $ dans mon équipe, mais qu’il nous fait gagner la coupe, ça ne me dérange pas! Là où ça commence à être fâchant, c’est quand un joueur gagne plus que les autres alors qu’il est mauvais. »

« Je ne vais pas dire que j’étais jaloux, explique un autre joueur, mais quand j’ai appris ce qu’un de mes coéquipiers gagnait, avec la même expérience que moi, je suis allé parler au directeur de l’équipe et à mon avocat pour voir ce qu’ils pouvaient faire […] J’ai dû attendre la saison suivante pour avoir une augmentation. »

Si un joueur est blessé et ne peut pas jouer, il peut perdre de l’argent selon son contrat. Cette situation mène parfois les joueurs à prendre des décisions extrêmes, comme nous l’explique un joueur dans sa première année au sein de la LCF.

« Un jour, je me suis blessé, mais personne n’a remarqué et je ne l’ai pas dit à mon coach. Je ne l’ai dit à personne. Je savais que j’arriverais à jouer quand même, et je ne pouvais pas me permettre de perdre de l’argent. J’ai joué quelques matches en souffrant, mais avec quelques antidouleurs, ça s’est bien passé. »

Me Ghavami donne un autre exemple susceptible de créer des tensions au sein des joueurs. « Parfois, les entraîneurs et les recruteurs se retrouvent à être mieux payés que les joueurs, et ça peut poser un problème de motivation. Si un coach fait un million et que les joueurs sont payés à leur juste valeur, ça ne pose aucun problème, mais il faut que tout le monde soit payé de façon juste. »

Les choses pourraient se compliquer en 2019 pour la LCF avec l’arrivée d’une nouvelle ligue nord-américaine de football : l’Alliance of American Football. Le salaire minimum dans cette nouvelle ligue? 70 000 $ US (ou environ 92 000 $ CA, soit presque le double du salaire minimum dans la LCF) . La ligue offre également la possibilité pour les joueurs américains de rejoindre des équipes proches des universités où ils ont joué, ou proches de leurs familles. Officiellement, les joueurs de la LCF disent ne pas être intéressés. Johnny Manziel, quart-arrière pour les Alouettes, a récemment déclaré que la AAF ne « piquait pas son intérêt. »

Mais quand les joueurs sont protégés par l’anonymat, le discours est différent. « Je pense qu’il n’y a pas un joueur qui n’a pas tapé “AAF” dans Google pour aller voir les détails, et qui n’est pas allé discrètement demander à son agent ce qu’il en était », nous confie un joueur.

Un autre joueur se met à rire quand on lui demande s’il est intéressé par cette nouvelle ligue. « J’allais te dire non par loyauté pour l’équipe, mais je serais un menteur si je te disais que je cracherais sur une augmentation de 30 000 $! J’ai une famille, donc bien sûr que je ne dirais pas non! Mais je ne peux pas dire ça, parce que je ne peux pas risquer de perdre mon travail dans la CFL sans être sûr qu’ils me prendront là-bas [dans la AAF]. »

Quand, vers la fin de l’entrevue, on demande aux joueurs combien ils gagnent exactement, on fait face à un moment de silence et des rires gênés. Ils ne se détendent que lorsqu’on leur rappelle que l’entrevue est anonyme.

« Ok. Bon, c’est environ 85 000 $. Environ! Si je le dis exactement, on va savoir qui je suis! Je ne suis pas trop mal payé par rapport au reste de l’équipe. Et je fais d’autres choses à côté, donc j’arrive à mener une belle vie. »

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« Juste avec le football, ça tourne autour de 70 000 $, répond un autre joueur. Mais j’ai quelques contrats de pub parfois, et un autre travail qui me rapporte assez d’argent pour gagner 100 000 $ par an. Je me prépare pour l’après-foot surtout, j’en ai pour deux ans encore, pas plus. Donc il faut être intelligent avec cet argent. »

« Je gagne à peu près 57 000 $, mais je ne me plains pas, explique le plus jeune des joueurs interrogés. Mon père ne gagnait pas ça à mon âge! Je rêvais d’être footballeur quand j’étais petit et maintenant, je suis payé pour le faire, alors j’en profite. »

La LCF et l’association des joueurs n’ont pas souhaité répondre à nos questions.