Culture

Oui, il y a encore des gens qui louent des DVD en Belgique

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Si vous avez grandi avant l’ère du streaming et de Netflix, vous avez certainement connu l’attente qui précédait la sortie d’un film en VHS ou DVD, la déception de découvrir qu’il était déjà loué ou encore la frustration de devoir payer parce que vous avez rendu un film en retard ou, pire, parce que cette foutue cassette n’est pas rembobinée. Que vous ayez connu cette époque ou non, je suis prêt à parier que ça fait longtemps que vous n’avez pas mis les pieds dans un vidéo-club.

« Je disais toujours qu’on était encore une bonne dizaine à Bruxelles mais j’ai appris récemment qu’on était plus que cinq », assomme d’entrée Juan (47 ans), le patron du Vidéo Express à Saint-Gilles, le cigarillo aux bord des lèvres – plus souvent éteint qu’allumé . « Bah… bientôt, on ne sera plus là de toute façon. Je crois bien qu’un jour ça va s’arrêter… ça me fait chier hein, mais c’est comme ça. » Le constat est implacable : il y a moins de quinze ans, on en comptait encore plusieurs par quartier. Ils nourrissaient les appétits de toutes sortes de cinémas et brisaient la logique des classements des meilleurs films en proposant des œuvres hors-cadre, qui forgeaient des cultures ciné propres à chacun. Aujourd’hui, le vidéo-club est une espèce en voie de disparition.

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Il existe pourtant encore quelques client·es fidèles, comme Cécile : « Je suis venue avec mon filleul de 21 ans, qui habite à Paris. Il a halluciné. La veille, on avait regardé par hasard le même film, lui l’avait téléchargé et moi loué. Donc je l’ai emmené ici et il m’a dit “mais, ça existe vraiment ?!” Il n’avait jamais vu un magasin comme ça ».

Et quand Juan me demande, en forçant sa voix pour qu’elle couvre la radio espagnole résonnant dans les rayons: « Tu regardes comment les films, toi ? » Je me sens quelque peu coupable. On télécharge, on streame illégalement, on loue un film hors de prix sur iTunes ou on s’endort paresseusement devant Netflix, après avoir plus ou moins souri quand Sheldon s’émeut de voir un vidéo-club à la campagne au bout de la neuvième saison de Big Bang Theory. C’est facile, c’est cool, rapide, et on est bien, au chaud, le cul dans le canapé et les algorithmes.

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AntiNetflix

À l’écart de tout ça, le Vidéo Express n’a pas bougé en vingt ans, depuis son ouverture un 1er avril 1999, à part un coup de peinture sur le lettrage jaune, et une vitrine débarrassée de ses affiches. On note quand même un ajout très récent sur la devanture: #ANTINETFLIX. Parce qu’il a la dent dure, Juan, contre « ces connards à cause de qui j’ai bien cru qu’on allait fermer. Ça a été très difficile. C’est quand iels sont arrivés que beaucoup de vidéo-clubs ont fermé. Une hécatombe », regrette-t-il.

« Moi, j’ai ouvert assez tard. On n’a jamais vraiment cartonné. Juste avant, dans les années 1980 et 1990, c’était l’âge d’or. C’était incroyable. » En deux décennies, Juan a résisté à quelques secousses, en commençant par la disparition de la VHS au profit du DVD. Surtout les semaines qui ont suivi le premier lecteur en promo à 50 euros chez Carrefour, autour de 2003. « C’était un truc de dingue. En deux mois, plus personne ne voulait autre chose. » Mi-2000, l’arrivée de séries HBO comme “Six Feet Under” ou “Les Soprano” boostent les locations : « Ça a sauvé beaucoup de vidéo-clubs », se souvient Juan. Mais le téléchargement illégal devient rapidement la norme et cannibalise une grosse partie de la clientèle. Il connaît quelques jours de répit au début de 2012, avec l’arrestation de Kim Dotcom et la fin de son site Megaupload. Les locations doublent le week-end qui suit, avant qu’Internet ne réponde illico par l’ouverture de multiples autres sites.

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Et puis, en 2014, Netflix a coupé les pieds des derniers survivants et a bien failli avoir la tête de Vidéo Express. L’ironie dans tout ça, c’est qu’à l’origine, Netflix a commencé par la location de DVD. « J’en veux aussi aux médias. Pendant deux mois, iels nous ont cassé la tête : “Netflix va arriver en Belgique et bla-bla-bla.” Et puis quand c’était disponible, iels ont fait une pub incroyable. Iels ont tout fait pour que les gens s’inscrivent dessus. Je savais que ça allait faire mal, mais ça a été tellement soudain ! Le premier mois, on a perdu au moins 60% de nos client·es, facile. Ça s’est passé très, très vite. »

« Le vidéo-club touchait toutes les classes sociales et générations. »

Une ASBL créée par des client·es est venue sauver leur endroit préféré, grâce à un crowdfunding et des mois thématiques qui font vivre l’endroit. Depuis, il y a toujours les fidèles, mais aussi des nouveaux·elles, et même des revenant·es. « Des nouveaux·elles client·es, j’en ajoute tous les jours. Mais je n’irais pas jusqu’à parler de regain. Beaucoup de gens me disent que ça va être comme les disques, mais moi j’y crois pas. Après, si je me trompe, tant mieux. Si on se maintient comme on est maintenant, je peux tirer encore 20 ans ! » Juan a en effet retrouvé une relative stabilité tout en restant fidèle à lui-même, puisqu’il est sans doute le dernier à refuser de jouer au night shop, et que ses tarifs sont restés les mêmes depuis l’ouverture : 2,48 euros la location, soit 100 francs belges. Et pas d’amende en cas de retard : « Je ne suis pas flic, ni huissier, tu vois. Le but c’est que les films soient vus. C’est parfois chiant pour les autres si un film est absent longtemps mais iels repartent avec un autre. » Il a beaucoup de client·es du quartier, étudiant·es ou dans le cinéma, mais « les gens viennent de partout. Il y a un gars qui habite à une soixantaine de kilomètres d’ici. Il découpe les critiques qui lui plaisent, me donne sa petite liste de 10-15 films et il les garde un mois ». D’ailleurs, les inscriptions aussi sont à l’ancienne, expédiées en trois minutes avec un nom et un numéro de téléphone. Pas d’identifiant, de mot de passe à 16 caractères ou de carte VISA. « Moi je déteste ça. Ça me gave. Moins je le fais, mieux je me porte », expliquait d’ailleurs une cliente. Preuve à l’appui avec une jeune mère de famille à la recherche de dessins animés pour son fils, qui repartira 10 minutes plus tard avec une inscription et les “Tortues Ninja”.

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Ce tarif permet aussi de préserver le budget des client·es. Le vidéo-club touchait toutes les classes sociales et générations, et c’est encore plus ou moins le cas, même si la moyenne d’âge semble plus élevée. Vincent (47 ans) a par exemple redécouvert les charmes du vidéo-club: « C’est mon fils de 18 ans qui m’a fait découvrir cet endroit. Je regarde aussi en ligne mais je reviens ici pour le choix. Et bon, c’est un peu le côté résistant envers et contre tout que j’aime. Puis ici on peut discuter avec des vraies personnes qui sont sympas, quoi. »

« Un de mes potes me disait souvent “t’as toujours des films bizarres”, Je lui ai répondu “mais essaye putain!” »

« Les gens viennent pour les films, c’est ça le plus important. Iels se disent qu’ici tu peux trouver ce que tu cherches et si tu ne trouves pas, tu peux tomber sur un truc qui t’intéresse en te promenant dans le magasin. Sur Netflix, ça casse vite la tête », sourit Juan. « C’est une caverne d’Ali Baba, il y en a pour tous les goûts », s’enthousiasme Laure (48 ans), cliente cinéphile, « je ne connais pas beaucoup d’endroits où tu peux voir tous les films de Fassbinder. C’est juste un exemple parmi d’autres mais c’est génial quand on aime le cinéma et les films qui sortent des sentiers battus. Et puis, c’est un endroit charmant. »

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Parcourir les labyrinthes qui abritent 20 000 titres est une expérience presque charnelle, quand on l’oppose au scroll clinique (et souvent décevant) sur Netflix. On y entre ni pour une rétrospective intimidante, ni pour des conseils algorithmiques basés sur ce qu’on a déjà regardé. Mais on peut aussi en ressortir avec un film d’auteur mexicain alors qu’on était venu chercher le dernier Spiderman. « T’as aussi beaucoup de gens qui viennent et qui ne savent pas quoi prendre. Alors je leur demande de quoi iels ont envie et je partage mes coups de cœur… Mais je ne demande pas ce qu’iels aiment d’habitude, ça ne m’intéresse pas. Un de mes potes me disait souvent “t’as toujours des films bizarres”, Je lui ai répondu “mais essaye putain!” Et après, c’est lui qui en redemandait », explique Juan, capable de conseiller en trois minutes un obscur réalisateur israélien, un film brésilien inconnu et une série italienne sans donner l’impression d’assister à une masterclass de la cinémathèque. Et il ne se gênera pas pour vous faire gentiment remarquer que c’est quand même un peu de la merde le Clint Eastwood ou Wes Anderson que vous avez choisi, juste parce qu’il n’aime pas.

« Les données, ça se perd. Quand c’est physique, tu sais que c’est là. »

Quand on lui demande s’il envisage sérieusement la fin du Video Express, il explique que ce ne serait sans doute pas par manque de client·es : « Mais j’ai peur de la fin du DVD. J’ai peur qu’un jour les distributeurs disent stop et que tout passe par la VOD. Ça leur coûte moins cher en plus. Par exemple, maintenant, il y a un boom du documentaire. Et ça, c’est très difficile à obtenir en DVD. Certains films sont déjà impossibles à trouver hors VOD. Un client gagné un Magritte et il n’a pas son film sur DVD, t’imagines ? Dans 4-5 ans, je ne sais pas ce que ça va être… Et c’est dommage parce que les données, ça se perd. Quand c’est physique, tu sais que c’est là. »

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