Ouverture du procès de ceux qui ont révélé les Luxleaks

Une dizaine de jours après l’adoption de la directive européenne sur le « secret des affaires », s’ouvre ce mardi à Luxembourg le procès des « Luxleaks » du nom du scandale qui a permis fin 2014 de révéler les pratiques d’optimisation fiscale de grandes entreprises établies au Luxembourg.

À la barre, on retrouve deux lanceurs d’alertes et un journaliste d’investigation — deux activités qui seraient justement mises en danger par cette nouvelle directive européenne, selon ses détracteurs.

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Le « Edward Snowden » des Luxleaks s’appelle Antoine Deltour, un Français de 29 ans qui a travaillé de 2008 à 2010 chez PriceWaterhouseCoopers (PwC) au Luxembourg. Engagé après son stage dans ce grand cabinet d’audit, Deltour s’occupe rapidement des « rescrits fiscaux » — comprendre des accords confidentiels passés entre une multinationale et les autorités fiscales d’un pays, négociés ici avec l’aide de PwC.

Ces accords ponctuels permettent aux entreprises — qui n’ont souvent qu’une boîte aux lettres au Luxembourg — d’échapper à certaines taxes. Le journal Luxemburger Wort explique que si le taux d’imposition sur les sociétés est de 29 pour cent au Luxembourg, certaines entreprises ne sont imposées qu’à 1 pour cent grâce à ces accords.

Navré de participer à ce manège, Deltour décide alors de démissionner en 2010 de PwC et part avec 28 000 pages de documents exposant les pratiques fiscales de 340 grandes entreprises, dont Apple ou Ikea. Un an plus tard, il transmet ces documents confidentiels au journaliste Edouard Perrin, lui aussi jugé à partir de ce mardi, qui joue en quelque sorte le rôle de Glenn Greenwald (le journaliste du Guardian qui a collaboré avec Snowden) dans cette affaire.

En mai 2012, Perrin réalise un reportage pour l’émission Cash Investigation grâce aux documents fournis par Deltour et dévoile une partie du scandale de l’optimisation fiscale à la luxembourgeoise. Suite à la diffusion, PwC porte plainte contre X et remonte jusqu’à Deltour.

Mais c’est seulement deux ans plus tard que l’affaire rebondit après une seconde fuite de documents permise par un autre employé de PwC : le Français Raphaël Halet, lui aussi présent à la barre ce mardi. Les documents récupérés par Deltour et Halet sont alors transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui les publie et les partage avec 50 médias internationaux en novembre 2014 — ce qui lance véritablement le scandale des Luxleaks.

Cette affaire avait ébranlé le Grand-Dûché, mais aussi les institutions de l’Union européenne, puisqu’à l’époque des faits, Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission européenne, était le Premier ministre du Luxembourg (de 1995 à 2013). Certains députés européens, comme Eva Joly interviewée par VICE News à l’époque, avaient appelé à sa démission.

Le procès des Luxleaks doit courir jusqu’au 4 mai. Les deux lanceurs d’alerte sont poursuivis pour vol domestique, divulgation de secrets d’affaires, violation de secret professionnel et blanchiment, et Perrin pour complicité de vol domestique, violation du secret professionnel et violation de secrets d’affaires. Il est reproché notamment à Perrin d’avoir manipulé Hachet pour orchestrer la deuxième salve de révélations.

Deltour risque 10 ans de prison et 1,25 million d’euros d’amende. Les deux autres encourent 5 ans de prison ferme.

Le timing du procès est en tout point remarquable puisqu’il commence quelques semaines après le début du scandale de l’évasion fiscale révélé dans les « Panama Papers » et quelques jours après la redéfinition de la protection du « secret des affaires » au niveau européen dans le cadre d’une nouvelle directive.

Le procès des Luxleaks est justement l’occasion pour nombre d’ONG opposés à cette directive de se faire entendre. Une vingtaine d’entre elles est présente devant le tribunal de Luxembourg, accompagnées de trois députés européens (Verts) qui étaient opposés à l’adoption de la directive.

L’avocat de Deltour, maître William Bourdon, estime que la directive risque de « bâillonner » des milliers de lanceurs d’alertes, estimant qu’il « faut accorder une forme d’immunité quand la révélation de l’information implique la transgression de la loi. Sinon, c’est demander aux lanceurs d’alerte d’être des héros. »


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Photo via Wikimedia Commons / Cayambe