Avec les ouvriers français qui menacent de faire sauter leur usine

« On va tout péter ! » Sur l’énorme colonne estampillée Air Liquide, deux bonbonnes de gaz pendant à un fil surplombent l’inscription en lettres capitales. Ce jeudi 11 mai, après un combat de plusieurs mois pour sauvegarder leurs emplois, les salariés de GM&S, un équipementier automobile basé à la Souterraine (Creuse), sont passés à la vitesse supérieure. Las, ils ont décidé de piéger leur usine. « Ça fait six mois qu’on lutte et personne ne nous entend » , plaide Xavier, 55 ans et plus de 20 ans de boîte. En s’inspirant de ce qu’il a vu à la télé, il a proposé ce mode d’action, voté à huis clos en assemblée générale. « Il y a des trucs qui marchent dans les usines en difficulté comme la grève de la faim, la séquestration, ou le sabotage des outils », poursuit-il, en concédant que les salariés n’étaient « pas très chauds » pour les deux premières options. Un dispositif constitué de bonbonnes de gaz, de bidons d’essence et de détonateurs cerne désormais le site. Stratégiquement, les explosifs ont d’abord été déposés sous les outils de fabrication, propriété des constructeurs automobiles.

Car ce sont bien les constructeurs automobiles français qui sont dans le collimateur des salariés de GM&S. En tête, PSA et Renault, principaux clients de l’entreprise, qui concentrent à eux seuls 80 % de l’activité selon une note d’un cabinet d’experts-comptables daté de février 2017 et rendue publique par la CGT, le syndicat majoritaire. Alors que l’industrie automobile hexagonale sort enfin la tête de l’eau, les commandes passées par les constructeurs n’ont cessé de baisser depuis fin 2016. Un phénomène incompréhensible pour les salariés autant que pour l’expert-comptable, qui constate « un appauvrissement continu (et volontaire) de [la] base d’activité, quand la filière a bénéficié d’un fort rebond ».

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Deux bonbonnes de gaz installées sur une cuve

M. Le Youdec, le directeur de transition, se dit quant à lui « désabusé » par le comportement des constructeurs. Depuis le mercredi 10 mai, avec son aval, l’usine a stoppé la production et refuse désormais de livrer les pièces à PSA et Renault. À ce bras de fer se superpose la gestion catastrophique des repreneurs du site de production creusois – on en dénombre quatre depuis 2006. Dernier en date, le groupe italien GM&S a pris possession de l’usine en décembre 2014 pour la somme symbolique de trois euros, imposant au passage cinq puis six jours de chômage partiel par mois aux salariés. En 10 ans, le nombre d’emplois a été divisé par deux. Si aucun repreneur sérieux n’est trouvé d’ici le 23 mai prochain, date de l’audience au tribunal de commerce de Poitiers, la liquidation sera prononcée.

« La moyenne d’âge au sein de l’entreprise est de 49 ans. Dans un territoire aussi peu industrialisé que la Creuse, il n’y a aucune chance pour nous de retrouver du travail », explique Franck Carrière, délégué syndical de la CGT. Afin d’éviter le désastre social dont découlerait la disparition du deuxième employeur privé du département et de laisser le temps à de potentiels repreneurs de se manifester, l’État et la région Nouvelle-Aquitaine se sont engagés à hauteur de 1,7 million d’euros. Alors qu’ils étaient destinés au paiement des salaires d’avril et mai, les employés affirment qu’une partie de ces fonds a été détournée par la direction. « On s’est aperçu que nos cotisations à la mutuelle n’avaient pas été versées depuis deux mois, précise le syndicaliste. On a tous porté plainte contre X à la gendarmerie. Le procureur a jugé la plainte recevable et attend désormais la déposition de la mutuelle pour donner suite. »

Les salariés de GM&S détruisent une machine de l’usine

Michel Vergnier, député de la Creuse, dénonce pour sa part ce qu’il nomme « une non-assistance à département en danger ». Et l’élu socialiste de poursuivre : « On ne demande pas d’argent à PSA et Renault, on demande simplement qu’ils donnent du travail à des salariés qui disposent des machines pour le faire, qui savent le faire et qui, nous dit-on, le font à des prix raisonnables », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement devant la gare de La Souterraine ce samedi 13 mai.

Aujourd’hui, lundi 15 mai, une réunion cruciale doit se tenir à Guéret, préfecture du département, entre la délégation syndicale, le potentiel repreneur GMD – un groupe d’équipementier français – et les constructeurs. Pour autant, M. Vergnier reste sceptique quant à l’issue de ces négociations et rappelle que l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, venu sur le site en février dernier, a échoué à faire pression sur les constructeurs. Réitérant son soutien sans réserve aux ouvriers de sa circonscription, le député a demandé aux salariés « d’être prudents avec leur santé et de ne pas se mettre physiquement en danger ». « Pour le reste, qu’ils y aillent, il faut que ça plie », a-t-il conclu.

Un salarié de GM&S transporte une machine détruite

D’ici là, la fédération CGT de la métallurgie a d’ores et déjà appelé l’ensemble des syndicats et salariés de la branche à un rassemblement de solidarité devant l’usine mardi 16 mai. Une action sur Paris est également prévue pour mercredi et la tension ne devrait pas redescendre d’ici l’audience de Poitiers, qui fixera définitivement le sort des 283 salariés de GM&S. En attendant, les ouvriers creusois rappellent qu’ils iront « jusqu’au bout », et promettent de détruire de nouvelles machines dès aujourd’hui si les négociations n’avancent pas suffisamment. Ils envisagent également d’autres actions, comme le blocage des sites de production des constructeurs, et n’excluent pas le chantage écologique. « Si rien ne bouge, on enverra une lettre au préfet et aux constructeurs en menaçant balancer des produits chimiques dans l’étang voisin », a promis Franck Carrière.

Le dossier de l’équipementier creusois s’annonce déjà comme l’un des plus brûlants du futur gouvernement. De passage à l’usine samedi soir, Jean-Baptiste Moreau, candidat REM aux élections législatives en Creuse, s’est entretenu quelques minutes avec les délégués syndicaux de GM&S. « J’en ai personnellement informé Ismaël Emelien, un des plus proches conseillers d’Emmanuel Macron, et le dossier est déjà sur le dessus de la pile du prochain ministre de l’Économie », a-t-il assuré, en concédant ne pas pouvoir en dire plus tant que le nouveau gouvernement n’a pas pris ses fonctions. Alors que les syndicats refusent « tout soutien qui ne serait que du spectacle », ils ont tenu à répéter face au candidat qu’ils étaient plus que jamais déterminés. « Nous restons mobilisés et si le site explose, tous les pompiers de La Souterraine ne suffiront pas à éteindre le feu », a calmement prévenu Franck Carrière.