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Crime

Les pirates somaliens sont sur le point de revenir

La pêche illégale est en pleine recrudescence, les tensions entre les pêcheurs locaux et les navires étrangers non réglementés ont atteint des sommets. Des officiels craignent que des Somaliens désespérés ne lancent une nouvelle campagne de piraterie.
Photo par Catrina Stewart

Une guerre couve silencieusement sur les côtes de la Somalie.

Au nez et à la barbe de la plus puissante armée mondiale, des bateaux de pêche étrangers pillent les eaux de la Somalie, enfreignant de manière flagrante les lois maritimes internationales et menaçant les communautés locales, dont la survie dépend de ce commerce.

La surpêche non régulée effectuée par des flottes étrangères avait, entre autres, provoqué il y a une décennie une vague d'attaques de pirates somaliens dans l'Océan indien : les pêcheurs locaux, menacés de ruine, ont pris les armes pour défendre les eaux territoriales contre les intrus. Ils se sont rapidement convertis aux prises d'otages lucratives, attirant sur eux l'attention internationale alors que des gangs de pirates troublaient l'industrie globale de la pêche par ces assauts et demandes de rançons.

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Une véritable armada de bateaux de guerre de l'OTAN, de l'Union européenne et d'autres coins du monde a depuis pacifié la région, et ironiquement, l'a ainsi à nouveau rendu sûre pour les bateaux de pêche illégaux venus de pays comme le Yémen, l'Iran, la Corée du Sud. Si ce problème n'est pas réglé, les pêcheurs somaliens, complètement désespérés, pourraient bientôt lancer une seconde campagne de piraterie. Des officiels craignent qu'elle soit plus mortelle que la première.

À lire : Les pirates siphonnent les pétroliers du sud-est de l'Asie

« Si la pêche illégale ne s'arrête pas, je recommencerai »

Musa Mahamoud est un homme vif de 55 ans, il est pêcheur. Il travaille sur la plage de Eyl, une ancienne ville côtière, perchée au-dessus de l'Océan indien, dont le nom a été, par le passé, synonyme de piraterie. Lorsqu'il sort en mer pour poser ses filets, il rencontre une batterie de bateaux de pêche illégaux. Il y a quelques semaines, il a retrouvé ses filets déchiquetés, irréparables. Mahamoud fait partie des chanceux. Certains de ses collègues pêcheurs ont vu leur bateau enfoncé par ces navires rivaux. D'autres ont été tués.

Pourtant, il ne se sent pas particulièrement chanceux. Pressé contre le rivage par les navires illégaux, ses prises ont chuté de 80 pour cent depuis que ces bateaux sont revenus dans les eaux somaliennes.

Mahamoud dit qu'il n'a jamais été un pirate, mais il admet volontiers qu'il leur facilitait la vie en leur procurant des armes et des équipements. Lorsqu'on lui demande s'il soutiendrait à nouveau cela, il dit qu'il n'aurait pas d'autre choix.

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« Si la pêche illégale ne s'arrête pas, je recommencerai, » dit ce père de huit enfants, sans aucune hésitation dans la voix. « Si un voleur envahit votre maison, allez vous rester là et regarder ? Il s'agit de notre gagne-pain ! »

Image via Wikimedia Commons

Des prises d'otages lucratives

Il y a cinq ans, Eyl était le repaire le plus connu des pirates en Somalie. Les caïds du coin et leurs sbires faisaient rugir leurs 4x4 teintés à travers la ville, sécurisaient leurs échanges dans des cafés, et récoltaient les paiements des rançons obtenues en mer en les faisant larguer depuis de petits avions légers.

L'entreprise criminelle était très différente de celle qui avait commencé comme une sorte de garde côtière. Au début, des pêcheurs armés extorquaient de l'argent aux bateaux de pêche sans licence. Puis ils ont commencé à retenir les équipages et à prendre leurs bateaux, des navires plus larges qui leur permettaient de s'attaquer à des cibles plus grandes et lucratives, plus au large.

Alors que les gangs s'enrichissaient et que leurs opérations devenaient plus sophistiquées, leurs ambitions faisaient de même.

« Ils ont découvert qu'attaquer les bateaux de pêche était plutôt facile, » explique John Steed, d'Ocean beyond piracy (OBP), un projet qui vise à promouvoir des solutions de long terme au banditisme maritime. « Alors, pourquoi pas des navires côtiers ? »

Une série de succès et la promesse de gros versements les ont menés à de plus grandes cibles plus loin en mer, ajoute-t-il, jusqu'à ce que les initiatives contre la pêche illégale se soient transformées dans des attaques routinières, où l'on retenait captifs des cargos de marchandise et des navires pétroliers.

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Au plus haut de la crise, début 2011, les pirates somaliens retenaient plus de 30 bateaux et plus de 700 otages. Une fois le jour de la paie arrivé, des vies pouvaient changer. En 2010, une rançon de 9,5 millions de dollars (environ 8,6 millions d'euros) a été payée aux pirates qui retenaient le pétrolier sud coréen Samho Dream.

Une zone de non-droit

En conduisant dans les rues délabrées de Eyl, on peut voir quelques signes du passé de la ville.

Mais au-delà des apparences, selon Faisal Wa'is, un responsable du gouvernement local, les tensions sont à leur « point culminant ». Il y a quelques semaines, il s'est précipité sur le rivage pour décourager un groupe de pêcheurs en colère qui préparait une attaque contre un navire étranger qui menaçait les locaux.

« Si rien n'est fait, j'ai peur que la piraterie revienne, » dit Wa'is.

Miné par une guerre civile et deux décennies de combats, la Somalie reste l'un des pays les plus pauvres du monde et une zone de non-droit. Dans une nation avec si peu d'opportunités économiques, la pêche est la seule bouée de sauvetage pour les communautés qui vivent sur la côte.

Avec ses 3 000 kilomètres de côte — la plus longue du continent africain — le pays peut se vanter d'avoir l'une des zones de pêche les plus riches du monde, avec des eaux qui grouillent de requins, d'espadons, de thons, de sardines ou de homards.

Attirés par l'anarchie qui règne en Somalie, les étrangers opèrent discrètement, battant pavillon de complaisance et peignant par-dessus le nom de leur bateau pour ne pas être repérés. Leurs capitaines exploitent facilement le régime de licences de pêche chaotique et corrompu, soit en payant certains responsables pour une licence, soit en pêchant sans licence du tout.

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Pouvant agir en toute impunité, ils utilisent des techniques de pêche très destructrices, comme le chalutage de fond, qui détruit les habitats des poissons, ou la pêche à filet maillant et la pêche à la senne coulissante, qui piègent de grandes quantités de prises accidentelles qui ne sont pas utilisées.

En faisant cela, ils dépouillent les pêcheurs de leur moyen de subsistance et le gouvernement d'un précieux revenu. Une enquête de six mois sur la pêche illégale réalisée l'année dernière par Adeso, une association de développement durable qui se concentre sur la Somalie, a révélé que près de 90 pour cent des pêcheurs somaliens interrogés avaient repéré des bateaux de pêche étrangers près de la côte.

« Si l'OTAN peur chasser les pirates, pourquoi pas les pêcheurs illégaux ? »

« La pêche illégale prive l'économie naissante de la Somalie d'une source de revenus qui, si elle était exploitée, pourrait aider à construire les infrastructures dont elle a bien besoin, à prodiguer des soins et de l'éducation à ceux qui n'en ont pas, et à restaurer des terres arides pour en faire des pâturages, » affirme Degan Ali, directeur exécutif chez Adeso, qui avertit qu'un échec dans le combat contre les navires de pêche illégaux pourrait provoquer une résurgence de la piraterie.

Il en existe déjà quelques indications. En mars dernier, des pirates du centre de la Somalie ont capturé deux navires de pêche iraniens — dont l'un a réussi à s'échapper en août — soit le premier détournement réussi depuis deux ans. Un rapport de l'ONU publié le mois dernier indiquait que Mohamed Osman Mohamed, connu sous le nom de « Gafanje », un baron célèbre de la piraterie qui avait été arrêté par les forces somaliennes en août de l'année dernière, avait été relâché .

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« Secure Fisheries », un projet qui a pour but d'aider la Somalie à gérer ses ressources maritimes, estime que les pêcheurs étrangers attrapent trois fois plus de poissons que les Somaliens — 132 000 tonnes contre 40 000 pour les locaux.

Nombreux en Somalie aimeraient voir les bateaux de guerre occidentaux qui patrouillent dans l'océan affronter les bateaux de pêche illégaux, même s'ils n'ont pas de mandat pour cela. Les responsables accusent l'Occident de se concentrer sur un seul élément de la crise, en négligeant les causes qui ont provoqué, au départ, l'essor de la piraterie.

« L'OTAN est venu à cause de la piraterie, mais la cause de la piraterie c'est la pêche illégale, » explique Wa'is. « Si l'OTAN peur chasser les pirates, pourquoi pas les pêcheurs illégaux ? »

Les pirates condamnés à des peines de prison

Alors que des officiels dans la région du Puntland, où se trouvaient par le passé beaucoup de pirates, indiquent que leurs efforts pour présenter la piraterie comme contraire à l'Islam avaient été salués,beaucoup de Somaliens ont toujours de la sympathie pour les pirates et tendent à penser que la communauté internationale a été trop dure dans son combat contre la piraterie.

Les marines étrangères détiennent des centaines de présumés pirates, et les transportent vers des destinations neutres comme les Seychelles pour être jugés devant un tribunal. Un grand nombre d'entre eux a écopé de peines de prison.

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À lire : Les pirates somaliens sont des justiciables comme les autres

Mohammed Mahamoud, un homme de 37 ans condamné pour piraterie aux Seychelles, va probablement passer les deux prochaines décennies de sa vie dans une prison sordide et surpeuplée de la ville portuaire de Bosaso, dans le nord de la Somalie.

Crachant rageusement par terre lorsqu'il raconte son arrestation, il affirme qu'il était un simple pêcheur en train de chasser un navire de pêche iranien qui s'était aventuré dans les eaux somaliennes lorsque lui et les cinq membres de son équipage — armés, selon lui, de pistolets — ont été arrêtés par la marine étrangère et plongés dans un ahurissant procès judiciaire. Sans interprète, dit-il, lui et son équipage n'ont appris leur sentence que par des codétenus.

« Nous étions comme des jouets, » dit-il. « Nous savions qu'il n'y avait aucun gouvernement pour nous défendre. »

Pour ajouter à son sentiment d'injustice, il note que deux de ses compagnons qui ont eu des peines similaires, mais qui ont refusé d'aller dans une prison somalienne, ont par la suite été relâchés en appel.

La police maritime somalienne ne possède que 15 vedettes pour ses patrouilles

Difficile de ne pas penser que beaucoup de ceux qui se trouvent en prison ne sont en fait que des fantassins, alors que les cerveaux des opérations, eux, restent libres. Selon plusieurs rapports des Nations unies sur la Somalie, certains des leaders de ces gangs ont réinvesti leurs gains dans d'autres business, comme le trafic d'armes ou le transport aérien.

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Alan Cole, responsable pour l'Afrique de l'Est à l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), avertit que ces réseaux pourraient être réactivés facilement. Il pense que la Somalie se trouve actuellement dans un calme « artificiel », en grande partie grâce aux marines occidentales mais aussi parce que les compagnies commerciales maritimes ont engagé leurs propres entreprises de sécurité pour protéger leurs navires.

« Les jeunes Somaliens recommenceront si les conditions sont réunies, » ajoute-t-il.

Les bateaux de guerre occidentaux ont dissuadé les pirates potentiels, mais beaucoup redoutent ce qu'il se passera lorsqu'ils repartiront. Bien que le Puntland possède sa propre force anti-piraterie, la Force de police maritime de Puntland (PMPF), financée par des pays du Golfe, ne dispose que de 15 vedettes — bien trop peu pour patrouiller sur cette énorme étendue d'eau.

Alors que les mandats de l'OTAN et de l'Union européenne sont soumis à révision à la fin de l'année 2016, il y a, selon Cole, une pression croissante pour que ces bateaux soient redéployés à d'autres endroits, comme en mer Méditerranée — un mouvement qui pourrait replonger cette région dans une nouvelle phase d'insécurité.

John Steed, d'Oceans beyond Piracy, approuve. « Si les navires commerciaux décident qu'il n'est plus nécessaire d'employer des gardes armés, » affirme-t-il, « alors ces hommes vont déferler. »

Suivez Catrina Stewart sur Twitter : @catrinastewart