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La victoire surprise du parti d’Erdogan pourrait renforcer l’emprise du président sur le pays

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son parti — l’AKP, islamo-conservateur — ont remporté une victoire aussi inattendue que décisive lors des élections législatives de ce dimanche.
Photo by Deniz Toprak/EPA

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son Parti de la justice et du développement (l'AKP, islamo-conservateur) ont remporté une victoire aussi inattendue que décisive lors des élections législatives de ce dimanche.

Lors du scrutin précédent, le 7 juin denier, l'AKP avait perdu sa majorité au Parlement — une première en 13 ans de pouvoir — principalement à cause du bon résultat du Parti démocratique des peuples (HDP, kurde) qui avait dépassé les 10 pour cent nécessaires pour avoir droit de siéger au Parlement. Ce résultat avait empêché Erdogan de changer la Constitution pour mettre en place un régime hyper-présidentiel. À la place, Erdogan s'était retrouvé avec un Parlement sans majorité.

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Au cours des semaines suivant le vote du 7 juin, les négociations menées par l'AKP pour former une coalition avec les 2 autres groupes les plus puissants du Parlement — le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate laïc) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite nationaliste) — avaient échoué, menant au vote de ce dimanche.

À 23 heures (heure locale) ce dimanche soir, avec 99,37 pour cent des bulletins de vote dépouillés, l'AKP avait récupéré 49,37 pour cent des voix — lui permettant de réclamer 316 des 550 sièges du Parlement, d'après CNN Turk. Ce résultat est suffisant pour former une majorité confortable et représente un progrès indéniable par rapport aux 258 sièges glanés en juin dernier par l'AKP. Le parti d'Erdogan échoue néanmoins sous la barre des 330 sièges — équivalent à la « super-majorité » nécessaire pour appeler à un référendum constitutionnel.

Le CHP (social-démocrate laïc) se place en deuxième place avec 25,42 pour cent des votes, le MHP (droite nationaliste) en troisième position avec 11,95 pour cent des voix et le HDP (kurde) à 10,68 pour cent — juste au-dessus du seuil nécessaire pour siéger au Parlement. Les deux plus petits partis ont perdu des voix par rapport à juin — l'AKP aurait ainsi récupéré les votes des Turcs nationalistes et des Kurdes religieux.

Les résultats définitifs seront annoncés par le Conseil Électoral Suprême turc (YSK). Et le groupe de surveillance des élections, Oy Ve Otesi, doit aussi vérifier une troisième fois les votes.

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Les résultats de ce dimanche sont surprenants — les sondages et analystes prévoyaient presque tous que l'AKP allait devoir négocier une alliance non-voulue avec le CHP ou le MHP. Ce scénario aurait mis Erdogan sur la touche et aurait pu mener à des enquêtes sur les leaders de l'AKP.

Des partisans du Parti de la justice et du développement (AKP) célèbrent les résultats de dimanche dans les rues d'Istanbul. (Photo de Denis Toprak / EPA) 

Dans le centre d'Istanbul, des partisans de l'AKP sont descendus dans les rues pour chanter leur joie, accompagnés par un concert de klaxons et de gros tambours. Des affrontements ont éclaté à Diyarbakir, une ville du sud-est du pays majoritairement kurde. Des forces de sécurité sont intervenues avec des canons à eau et du gaz lacrymogène pour disperser les manifestants. Le vote s'est déroulé dans le calme, à part une dispute entre des partisans de l'AKP et du HDP dans la ville de Kocaeli (nord-ouest du pays).

Le Premier ministre, Ahmet Davutoglu, a réagi sur Twitter quand son parti était assuré de l'emporter, « Merci à Dieu » a-t-il écrit. Il a ensuite demandé aux partisans de l'AKP d'être « humbles » lors de son discours pour célébrer la victoire.

Lors d'une conférence de presse commune, les deux représentants du HDP (kurde), Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, ont remercié ceux qui avaient fait campagne pour le parti, Demirtas ajoutant que malgré « la politique du massacre et de la tyrannie » c'était quand même une victoire pour leur parti. Il a ensuite expliqué que même si ces élections n'ont pas été démocratiques ou justes, le HDP va « continuer son combat sans relâche. »

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Les élections ont eu lieu dans un climat instable en Turquie. Le gouvernement a lancé en juillet une « guerre contre le terrorisme » en deux volets : à la fois contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit en Turquie) et l'organisation terroriste État islamique. Le gros de l'action est dirigé jusqu'ici contre les militants kurdes, et les avions de combat ont bombardé leurs positions en Turquie et dans le nord de l'Irak avoisinant — tuant des milliers d'entre eux.

En réponse, le PKK a lancé plusieurs attaques contre l'armée et la police turque, tuant des dizaines et menaçant d'un retour à l'insurrection sanglante du PKK qui a duré près de 30 ans avant la signature d'un accord de cessez-le-feu en 2013.

« On ne veut pas d'un sultan. »

Les activités liées à l'EI sont aussi en progression. Une attaque suicide à la bombe a fait 33 morts en juillet dans la ville frontalière de Suruc lors d'un rassemblement de militants pro-Kurdes. Le 10 octobre, une autre attaque lors d'un rassemblement pacifiste, où étaient présents de nombreux Kurdes, a fait 102 morts à Ankara. Cette attaque est le pire attentat de l'histoire turque. Mais au lieu de resserrer les liens entre les Turcs, l'attaque a mis en lumière les dissensions profondes qui existent dans le pays — l'AKP et le HDP s'accusant mutuellement.

Depuis quelque temps, Erdogan et l'AKP souffrent d'une baisse de popularité. Les résultats de juin représentaient un fort recul par rapport aux élections de 2011, où l'AKP avait remporté près de la moitié des voix. Le parti a conquis le pouvoir en rendant possible un rebond économique dans le pays, après une crise financière catastrophique en 2001. Mais à la fin de l'année 2014, la croissance économique turque était retombée à 2,5 pour cent, la lire — la monnaie turque — avait perdu en valeur, et les investissements étrangers se faisaient de plus en plus rares alors que les prix augmentaient. Le taux de popularité d'Erdogan chutait aussi — 37,5 en juin denier (soit moitié moins qu'en 2011). La lire a aussi continué à perdre en valeur lors des deniers événements qui ont touché la Turquie.

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Après avoir glissé son bulletin dans l'urne dans le quartier de Besiktas (Istanbul), Ilter, une professeure à la retraite de 72 ans, explique à VICE News que ces élections ont encore une fois tourné autour du président. « On s'attend à donner une nouvelle claque à Erdogan parce qu'il n'a pas appris sa leçon, » dit-elle. « Davutoglu est juste un pantin, l'AKP et Erdogan sont inextricablement liés, et il a détruit les bons hommes du parti. »

Erdogan et d'autres leaders du parti ont fait campagne en expliquant que seul un gouvernement gouverné par un parti unique (l'AKP) pouvait ramener de la stabilité en Turquie — une stratégie qui a apparemment payé. Les opposants du président l'ont au contraire rendu responsable des violences, arguant que les frappes du PKK servaient juste à attiser le sentiment nationaliste des Turcs pour récupérer des voix.

Des partisans kurdes du HDP affrontent la police après l'annonce des résultats des législatives dans la ville de Diyarbakir en Turquie. (Photo via EPA)

Les membres de la base de l'AKP avaient eux bien reçu le message. « Je veux que tout se passe bien dans le futur, » explique Necati, 55 ans. « Ils sont tous liés les uns aux autres. Sans paix, l'économie ne peut pas être prospère… Des choses terribles sont arrivées ces derniers temps : des morts, des guerres, la perte de nos martyrs, » explique Necati, en référence aux morts des soldats et policiers aux mains du PKK.

Mais certains opposants poussaient pour une coalition, espérant que cela pourrait freiner les tendances autocratiques d'Erdogan et produire un gouvernement plus représentatif. Kaan, 51 ans, expliquait à VICE News qu'il préférerait que l'AKP et le CHP soient côte à côte au pouvoir. « On ne veut pas les [l'AKP] voir seuls au pouvoir, mais ensemble avec le CHP. J'ai de l'espoir pour les deux. » Un ami, Ziya, 65 ans, opine du chef et ajoute, « On ne veut pas d'un sultan. »

Erdogan domine la politique turque depuis plus d'une décennie. Il a commencé en tant que Premier ministre avec l'AKP pendant trois mandats, puis comme chef d'État depuis août 2014. La présidence est généralement un rôle purement symbolique en Turquie, mais depuis qu'Erdogan est devenu président il contourne régulièrement son Premier ministre — Davutoglu — et a renforcé son contrôle de la police, du système judiciaire et des médias.

Erdogan se montre de plus en plus autoritaire depuis ses récents déboires dans les sondages : des tribunaux poursuivent des journalistes critiques du pouvoir, des dizaines ont été emprisonnés pour avoir « insulté » le président, et des membres du HDP ont été arrêtés pour être liés à des activités terroristes. Lors de la campagne, la police a aussi fait des perquisitions dans de nombreux médias d'opposition.

Suite aux bons résultats de ce dimanche, Erdogan va probablement poursuivre dans ce sens, notamment en tentant de récupérer les pouvoirs exécutifs, pour resserrer encore son emprise sur le pays.

Suivez John Beck sur Twitter : @JM_Beck