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Crime

À bout de force : Une visite au zoo de Gaza

VICE News s’est rendu au zoo de Rafah, dans la bande Gaza, où les animaux ont été la cible de frappes aériennes israéliennes au cours des trois derniers conflits entre le Hamas et Israël.
Photo by Harriet Salem

Derrière la cage de deux tourtereaux qui gazouillent, une roquette a fendu le sol du zoo de Rafah dans la bande de Gaza — un souvenir de la guerre de l'été passé. Les enfants rigolent à la vue d'un perroquet qui danse sur une table de pique-nique. Allongé sur des marches baignées de soleil, un lion semble regarder le spectacle de l'oiseau multicolore. Son pelage est abîmé et de la sciure dépasse sur les flans du lion — résultante du travail bâclé du taxidermiste chargé d'empailler l'imposant félin.

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Au cours des 7 dernières années, les trois guerres entre Israël et le Hamas ont lourdement touché les habitants de la bande de Gaza. L'été dernier, 51 jours de combats sanglants ont vu périr près de 2 200 Palestiniens et 73 Israéliens. 18 000 maisons ont été détruites pendant le conflit créant plus de 100 000 sans-abri dans la bande de Gaza. Les animaux gazaouis ont aussi payé un lourd tribut au conflit de l'été 2014.

L'été dernier, Jihad Juma — un employé du zoo de Rafah, qui se trouve au sud-est de la bande de Gaza — nourrissait les animaux quand il a été touché par des éclats d'obus. Une demi-dizaine d'éclats l'a laissé boiteux, avec de larges cicatrices.

« Nous avons perdu de nombreux animaux, l'équivalent de 80 000 dollars, » explique Juma à VICE News. « Un singe, un chimpanzé, deux émus, un lion, un tigre, un perroquet, trois biches, un pélican, des dizaines d'oiseaux… Ils sont tous morts. La plupart a été tuée sur le coup mais d'autres sont morts de faim et du traumatisme des explosions. »

Au cours de la dernière décennie, le zoo de Rafah dans le sud de la bande de Gaza s'est retrouvé à de multiples reprises coincé au beau milieu des combats entre les forces israéliennes et le Hamas. Des centaines d'animaux ont été tuées dans les combats et le zoo peine aujourd'hui à se financer. (Photo par Harriet Salem)

Ce n'est pas la première fois que le zoo se trouve coincé au milieu du conflit. Au cours de la dernière décennie, des centaines d'animaux exotiques de la ménagerie de Rafah ont été tuées par des offensives de l'armée israélienne.

En 2004, pendant l'Opération Arc-en-Ciel, des tanks israéliens ont détruit la ville de Rafah, dont le zoo qu'ils ont réduit en ruines, écrasant sur leur passage les tortues et les autres cages des animaux. « Au moment où le staff du zoo est arrivé sur place, il ne restait plus grand-chose. Juste de la poussière et des ruines, » raconte Jihad.

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Pendant le conflit de 2008, des singes, des crocodiles, et des biches ont été tués par des attaques à la roquette. Beaucoup d'autres animaux du zoo sont morts à cause de maladie, négligence et de faim — à la fois pendant et après les combats.

Cependant, ce ne sont pas seulement les tanks, les roquettes et les mortiers qui mettent en danger la vie des animaux exotiques de Rafah. Puisque le personnel du zoo est peu formé et que les fonds manquent cruellement, les conditions de vie pour les animaux, qui ont survécu aux combats, sont plus que critiques.

Les cages et enclos — qui ont été reconstruits à de nombreuses reprises — sont surpeuplées. Certains animaux n'ont que quelques mètres carrés pour évoluer. Les hyènes, autruches et babouins se traînent, l'âme en en peine, dans des enclos jonchés de détritus sous le cagnard estival de la bande de Gaza. Deux autres lions partagent une cage, dans laquelle ils n'ont même pas la place de se tourner.

Des autruches du zoo de Rafah en plein soleil, pas ravies de leur cage bondée.

Pour rentrer au zoo de Rafah, il en coûte seulement trois shekels (environ 60 centimes d'euros). Ce prix minimum serait imposé par le Hamas (qui contrôle la bande de Gaza), selon Mohammed, le propriétaire du zoo. La recette du zoo permet à peine de couvrir le coût de la nourriture pour les animaux — donc encore moins celui de leurs conditions de vie.

Les visiteurs se font rares. Depuis la fin du dernier conflit, le chômage a augmenté de 11 points pour atteindre le seuil des 43 pour cent — le plus haut taux du monde. Une nouvelle taxe imposée sur les importations par les autorités gazaouies a aussi fait augmenter le prix de la viande de cinquante centimes par kilo — ce qui n'a fait qu'empirer la situation.

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« Ce ne parait pas beaucoup cinquante centimes, mais ça représente un paquet d'argent quand vous avez à nourrir des lions et des hyènes, » explique le propriétaire du zoo à VICE News. « Ils ne peuvent pas se nourrir de légumes. Parfois, quand on n'a pas assez d'argent, on achète un vieux cheval et on le donne à manger aux lions… Ce n'est pas terrible, mais c'est toujours mieux que de la salade. »

Les conditions de vie, pour les animaux qui ont survécu, sont critiques. Le propriétaire du zoo explique qu'ils ont à peine de quoi nourrir les animaux. Impossible pour le moment de dégager des fonds pour améliorer les cages et enclos. Avec le prix de la viande qui augmente, les lions mangent parfois de la viande de cheval dans leur cage dans laquelle ils ne peuvent pas se tourner. (Photo par Harriet Salem) 

En situation de crise totale après la guerre de l'été passé, le zoo n'avait simplement pas les moyens de remplacer les animaux. La plupart d'entre eux étaient parvenus au zoo de Rafah par des tunnels — désormais bouchés — qui servaient à la contrebande et reliaient la bande de Gaza à l'Égypte voisine. Donc, Mohammed a essayé de préserver les animaux stars du zoo en les empaillant avec de la sciure — une technique qu'il a apprise « en surfant sur Internet ».

Les efforts du propriétaire, reconverti taxidermiste, ont produit des résultats mitigés. Le fait de disposer les animaux empaillés dans leur enclos où ils gambadaient naguère, avait notamment permis au zoo de Rafah de décrocher le titre peu enviable du « pire zoo du monde ».

Après des plaintes, le zoo a retiré les expériences taxidermistes les moins réussies, mais un python suspicieux et immobile traine toujours dans un vivarium.

Dans une tentative désespérée pour garder en vie les animaux qui restent, Mohammed dit être obligé de vendre des bouts de la ménagerie à des acheteurs privés. Des oeufs de perroquets peuvent se revendre autour des 6 000 shekels (1 500 dollars) et des oeufs d'autruches environ 10 000 shekels (2 000 dollars), alors que les bébés singes s'échangent contre 24 000 shekels (6 000 dollars), l'unité.

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« Regardez autour de vous, et faites le calcul. 3 shekels par visiteur ce n'est pas assez pour nourrir tous ces animaux… Donc, si on ne fait pas plus de rentrées d'argent, ces animaux vont être affamés, » nous explique-t-il.

Jihad Juma, un employé du zoo, pose avec un perroquet. L'oiseau permet de divertir les enfants en dansant, mais est aussi un des biens les plus rémunérateurs du zoo — ses oeufs peuvent se vendre près de 2 000 dollars. (Photo par Harriet Salem) 

Il y a quelques temps, un cas a attiré l'attention des médias. En août 2014, le zoo a vendu deux lionceaux à un particulier.

Saad Al-Jamal, qui a dépensé 7 000 dollars pour acquérir deux lionceaux, les élevait dans la maison où vit le reste de sa famille, au beau milieu d'un camp de réfugiés bondé. Ils les baladaient sur la plage pour être pris en photo (contre rémunération) avec son fils de 19 ans. Al-Jamal avait aussi amené les deux lionceaux à un match de football.

« J'ai toujours aimé les lions. Je les ai étudiés, » expliquait-t-il à VICE News. « Donc, le fait d'en avoir deux, qui sont devenus des membres de la famille, c'est un rêve qui devenait réalité. Je suis si fier. »

Mais tous les rêves s'arrêtent un jour. Au début du mois de juillet de cette année, Four Paws, une ONG pour la défense des animaux, est intervenue et a embarqué les deux lionceaux vers la Jordanie — une décision qui avait été acceptée par le Hamas, Israël et même les propriétaires de deux lions, qui ont essuyé quelques larmes au moment du départ.

« On pouvait voir à quel point ce type aimait les lions, » explique à VICE News, Amir Khalil, le vétérinaire en chef qui s'est occupé du transfert des lionceaux vers la Jordanie.

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« Mais il s'agit aujourd'hui de lions adolescents. Ce ne sont plus des bébés. Ils ont des dents et des griffes… Les gens qui tiennent ces zoos privés n'ont pas l'expérience ou les moyens financiers nécessaires pour faire fonctionner de telles institutions. C'est une situation qui peut vite devenir dangereuse, et quelqu'un pourrait rapidement se retrouver blessé. »

Le fils de 19 ans de Saad Al-Jamal porte un des deux lionceaux que son père avait acheté au zoo de Rafah. Le duo de félins a été élevé dans la maison de famille jusqu'à cela devienne trop dangereux de les garder. Four Paws, une ONG qui oeuvre pour la défense des animaux, a pris en charge les deux lionceaux et les a transférés en Jordanie. (Photo par Harriet Salem) 

Four Paws s'est rendu désormais à 5 reprises dans la bande de Gaza pour offrir des soins médicaux aux animaux du zoo de Rafah et castrer le lion mâle. « C'est un grand succès. C'est une bonne chose qu'on ait pu sortir ces deux lionceaux de cette situation déplorable. Je suis ravi que Monsieur Al-Jamal se soit finalement rangé derrière nous et accept que l'on transfère les lions en Jordanie, » explique Khalil. « Mais ce n'est pas une solution, la situation pour les animaux à Gaza ne s'améliore pas. Au contraire, elle s'aggrave. »

Jihad explique pourquoi le zoo n'avait d'autre choix que celui de vendre les deux lionceaux. « On ne pouvait simplement pas nourrir deux autres bouches affamées. Donc les confier à quelqu'un qui avait les moyens de les nourrir semblait être la meilleure solution, » explique-t-il à VICE News.

Four Paws travaille actuellement avec toutes les autorités impliquées pour essayer d'améliorer les conditions de vie des animaux exotiques qui sont encore dans les trois zoos que compte la bande de Gaza. L'ONG rappelle néanmoins que chaque partie doit prendre sa part de responsabilité pour améliorer le sort des animaux.

« Nous voyons que l'histoire de ces deux petits lions a permis d'unir des gens à travers le monde. Même des pays qui peinent à se mettre d'accord sur quoique ce soit — Israël, la Palestine et la Jordanie — ont réussi à s'entendre sur ce point. Il a de l'espoir pour que cela se développe et débouche sur quelque chose de plus grand qui peut permettre d'éduquer les gens et d'aider tous les animaux de la bande de Gaza, » ajoute Khalil.

Suivez Harriet Salem sur Twitter : @HarrietSalem