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En couple avec un séropositif

« Quelque chose de très intime sur nos états respectifs c’est que, contrairement à beaucoup d’autres couples, nous nous impliquons beaucoup dans la santé holistique de l’autre. »
En couple avec quelqu'un qui a le sida
Illustration : Cathryn Virginia

Pour beaucoup, le VIH est considéré comme la mort ultime du paysage sexuel moderne. Après toutes ces années d’horribles histoires sur le sida, certains en ont une peur si terrible que ça devient une phobie constante. Les séropositifs sont stigmatisés, considérés comme toxiques ou mauvais et on les désexualise. Dans cet ordre d’idée, quel séropositif au VIH pourrait se considérer comme sexuellement viable ? Qui pourrait le voir comme un partenaire adapté à toute forme d’intimité physique ?

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Il est absurde qu’on ait besoin de le dire, mais les gens qui vivent avec le VIH sont des êtres humains à part entière, qui vivent de longues vies avec une condition chronique mais gérable, comme beaucoup d’autres. Eux aussi, ont des désirs et ils méritent l’amour et l’intimité. Le fait d’être en couple peut être une motivation essentielle pour certaines personnes, les encourageant à suivre un traitement.

On pourrait penser que les personnes séropositives se tournent vers des partenaires dans le même cas qu’eux, pour ne pas craindre de transmettre le virus. Et bien-sûr, cela arrive. Mais beaucoup de séropositifs continuent à avoir des rapports intimes avec des partenaires négatifs. C’est ce qu’on appelle « les sérodifférents ». Rien qu’aux États-Unis, il y a au moins 140 000 couples mixtes, sans doute plus, puisque ces estimations viennent de données datant de 23 ans. Dans les pays où le VIH est particulièrement répandu, plus de 3 % des couples sont sérodifférents, et jusqu’à deux tiers des séropositifs au sida le sont.

Tous ces couples ne savent pas dès le départ qu'ils sont sérodifférents. Parfois le partenaire séropositif ne sait pas qu’il a le virus ou le contracte alors qu'ils étaient déjà en couple. Mais beaucoup de partenaires savent qu’ils ont un statut mixte quand ils se mettent ensemble et vivent avec.

« J'ai rencontré des groupes de gens qui étaient sous PrEP. Le virus était indétectable depuis un an ou deux. Ça m’a beaucoup aidé à lutter contre mon sentiment de stigmatisation et de peur » – Vasilios

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Il n’y a pas de recette miracle pour les rapports intimes avec un séropositif au sida.Certains d’entre eux en restent au niveau émotionnel, consentant parfois à des formes de relations non-exclusives. Certains optent pour des relations sexuelles sans pénétration. Certains utilisent des préservatifs à chaque fois. On reconnaît de plus en plus qu’un traitement efficace peut réduire la charge virale à des niveaux intransmissibles. Cela rend le risque qu’un partenaire non-séropositif contracte le virus pratiquement inexistant pendant les relations sexuelles non-protégées, si le partenaire, séropositif au VIH a une faible charge virale depuis au moins six mois et continue son traitement. La propagation de PrEP – un traitement médicamenteux préventif, pour les partenaires non-séropositifs au sida, réduit le risque de transmission jusqu’à 99 %. Il permet aussi de se sentir en sécurité et moins restreint dans son intimité. Certains couples associent les stratégies selon les besoins.

VICE a récemment rencontré Vasilios Papapitsios et Elijah McKinnon, un couple queer, sérodifférent, non monogame, pour comprendre leur vision du sexe et de l’intimité.

Vasilios Papapitsios : Je suis devenu séropositif à 19 ans. J'ai 28 ans maintenant. Je viens de sortir de ma coquille. Je vivais dans un Etat très hostile [Caroline du Nord] qui venait de retirer le financement du traitement contre le sida, et j'allais à l'école à UNC-Chapel Hill. Ils avaient beau se penser ouverts, je me sentais exclu à l’intérieur même de ma communauté. À cette époque, je m’imaginais bien plus en couple – ou ayant des relations sexuelles – avec une autre personne séropositive, à cause de la stigmatisation que j’avais intériorisée et de la peur de la contamination.

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Elijah McKinnon: Je viens de la région de San Francisco. J'ai grandi dans une famille plutôt libérale. Avec mes parents, on parlait de sexualité et des IST, dont le VIH. Ils étaient en relation libre et très ouverts sur la sexualité. Plusieurs membres de ma famille sont d'ailleurs morts du sida. J'avais beaucoup de jeunes amis séropositifs, mais qui ne le disaient pas. Je pense que c'était plus tabou. Aujourd’hui, les gens sont plus au courant de leur état. Ce qu’on m’a appris en premier, c’est que je dois m’approprier ma condition. Comment puis-je mieux me protéger ? Cela ne concerne pas seulement les IST, c’est une approche plus holistique, sur la santé mentale et émotionnelle.

Je n'ai jamais pensé que les relations sérodifférentes étaient tabou. L’un de mes premiers… appelons-le mon petit-ami, était séropositif. C’est là que j’ai découvert PrEP. Je devais avoir 19, 20 ans. La FDA, la Food and Drug Administration, venait de l’approuver. J’étais super sceptique, genre vous voulez que je prenne quoi ? Puis, après avoir participé à l’étude qui a changé tout le paysage de PrEP quelques années plus tard, en testant beaucoup de personnes, c'était devenu comme une évidence pour moi.

Vasilios : Juste avant ma rencontre avec Eli fin 2016, j’étais à New York depuis environ six mois. Je m’étais retrouvé soudainement dans un environnement où les gens se foutaient de mon statut. Ils disaient : « C’est bon, tu es aussi libre d’être gay ». C’était comme une libération. J’étais libre d'être moi-même. Puis j'ai déménagé à Chicago. Pour la première fois, j'étais très ouvert sur mon statut. J'ai rencontré des groupes de gens qui étaient sous PrEP. Le virus était indétectable depuis un an ou deux. Ça m’a beaucoup aidé à lutter contre mon sentiment de stigmatisation et de peur. J’étais épanoui, ouvert au monde. Je me permettais d’avoir des relations amoureuses et sexuelles comme jamais auparavant… Je me suis rendu compte que je le méritais et que je n’étais pas le fléau de la société.

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Elijah : J'ai rencontré Vas lors d'une représentation où ils faisaient un rituel de sang [qui consistait à prendre un bain avec du faux sang, ndlr] pour les queer vivant avec des maladies chroniques. Donc, j'étais très au courant de leur statut.

Vasilios : Je savais qu’elle était concernée par le PrEP. Eli a aidé dans la mise en œuvre de PrEP4Love, une campagne de sensibilisation à PrEP dans la communauté noire : homosexuels, hétérosexuelles et trans, et j’étais modèle dans les pubs de sensibilisation dans tout Chicago. Elle savait que j’étais artiste et militant séropositif.

Elijah : Je suis noir, queer et non-binaire. Nous vivons à l’opposé du pays. Nous avons différents intérêts et passions. Nous approchons constamment des choses via le prisme de nos traumatismes passés. Il y a constamment des tensions entre nos identités différentes. Notre statut est, je ne veux pas dire tout en bas du totem, mais il y a d’autres choses que nous endurons.

Vasilios : On est en couple libre.

Il faut être conscient qu’il y a d’autres IST quand on n'utilise pas le traitement préventif. Même si les gens avec qui je couche sont sous PrEP, cela ne veut pas dire que tout risque est balancé par dessus bord. Pour moi, PrEP est comme un prophylactique mental. Cela nous donne l’opportunité de rentrer dedans et de ne pas penser, oh mon dieu, ce petit acte d’intimité ou de sexe est vraiment magnifique mais j’ai toujours peur. Ce n’est plus du tout comme ça pour moi. Et ça, c’est un cadeau extraordinaire. Mais à chaque rapport sexuel, je dois réfléchir : euh, je ne connais pas cette personne, donc je prends un risque.

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Comment dire… On utilise des préservatifs si on en a besoin. Mais on n'en a pas vraiment envie.

Elijah : Il y a beaucoup de critères sur le sexe que les gens ne connaissent pas. Comme le nombre de partenaires, ou de savoir d’abord comment bien communiquer avec ses partenaires. Cela permet d’avoir les relations sexuelles que tu veux, comme tu le veux.

Évidemment, il y a les préservatifs et le PrEP, mais aussi les positions. On peut par exemple avoir des rapports intimes sans pénétration. Il y a beaucoup de possibilités. On parle de tout dans notre relation. Quand on est fermé à la discussion, on tourne en rond parce qu’on ne communique pas.

Une chose intime sur nos états respectifs est que je sens, au contraire de beaucoup d’autres relations, que l’on est plus activement impliqué dans notre santé holistique. On ne s’arrête pas à Alors, quel est ton taux de cD4 ?Mais comment te sens-tu ? Voyons un peu. Est-ce que tu manges bien ?

Vasilios : Je pense que nous avons appris de nos expériences passées. Et on se complète dans nos chemins de guérisons.

Elijah : Jusqu’à l’année dernière, on me posait souvent des questions comme : Tu n’as pas peur ? Tu ne penses pas que ce serait plus facile avec un non-séropositif ? Je ne comprends même pas ce que ces questions veulent dire ! Il y a toujours beaucoup de gens qui ne comprennent pas à cause de la peur et de la stigmatisation non seulement des couples sérodifférents mais aussi gays, queer, ou des relations différentes en général. Parce qu’ils n’ont pas de modèles et que les modèles que nous avons sont très monolithiques. Si ce n’était pas l’état, ce serait quelque chose d’autre comme : Comment c’est d’être en relation avec quelqu’un d’une autre race ?

C’est juste une partie de notre relation à multiples facettes. On peut en discuter mais pas négocier. Et ce n’est pas une barrière pour accéder au plus profond de notre intimité, de notre plaisir et notre joie.

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