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Sports

Serena Williams ne peut pas débarrasser le tennis du racisme

Les sportifs noirs ne sont pas les bienvenus dans le tennis.
Photo par Tim Clayton/Corbis via Getty Image

Dans la banlieue bourgeoise du Connecticut où j’ai grandi, je passais souvent en voiture devant le club de tennis, sachant pertinemment que c’était un endroit où je ne m’aventurerais jamais. Le tennis n’était pas un sport pour moi — fille noire potelée et maladroite, n’ayant eu sous les yeux que des images de femmes blanches, blondes, squelettiques, des jupes blanches plissées assorties à leurs jolies raquettes.

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Tous les enfants que je connaissais pratiquant le tennis incarnaient ce cliché. Je n’arrivais pas à me représenter le fait qu’une fille comme moi puisse un jour empoigner une raquette et encore moins dominer le court. Et puis j’ai vu Serena Williams, et je me suis dit que les filles noires pouvaient tout faire, y compris du tennis. Néanmoins, l’Histoire nous a montré que cela a un coût. Les sœurs Williams ont dû subir des années de discriminations et de racisme systémique pour avoir osé être les meilleures dans un espace traditionnellement blanc.

La finale de l’US Open qui a eu lieu le 8 septembre illustre une nouvelle fois les préjugés qui ont précédé Serena durant toute sa carrière. Elle a été épinglée par l’arbitre Carlos Ramos en raison du coaching de son entraîneur depuis son box, qui constitue une violation des règles. Les échanges houleux ont atteint leur summum lorsque Serena a jeté sa raquette, qualifiant Ramos de « voleur » et expliquant qu’elle ne « triche pas pour gagner. Je préférerais perdre », en plus de s'être disputée avec le directeur de tournoi Brian Earley. Après cet incident, la joueuse a écopé d’une déduction de ses points, de la perte d’un jeu et de 17 000 dollars d’amende. Il s’avère que Ramos a un long passif de rigidité en matière de transgression des codes, mais Serena elle-même a tenu à rappeler sa clémence envers les hommes qui se sont comportés de manière agressive par le passé.

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Ce qui aurait dû être un moment joyeux et charnière dans la carrière de l’adversaire de Serena et vainqueur du Grand Chelem Naomi Osaka (qui porte fièrement ses origines mi-haïtiennes, mi-japonaises), a été terni par la confusion et l’émotion ambiantes. La situation était révélatrice du racisme et du sexisme profondément ancrés dans le sport : le chemin pour faire du milieu du tennis un espace sûr et accueillant pour les femmes de couleur est encore long. Le fait est qu’Osaka marche dans les pas de Serena, en tant que femme de couleur, mais aussi en tant que joueuse dont la carrière sera indubitablement affectée par le racisme et le sexisme.

Dans une interview juste après le match, Serena a parlé ouvertement des difficultés rencontrées durant ce match comme au cours de sa carrière :

« Je continuerai à me battre pour les femmes et à me battre pour que l’on ait des [droits] égaux. J’ai le sentiment que la situation à laquelle j’ai été confrontée pourra servir d’exemple pour la prochaine femme qui aura des émotions à exprimer, et pour toutes celles qui veulent être des femmes fortes, et c’est ce qu’elles seront autorisées à devenir grâce à ce qui s’est produit aujourd’hui. »

Suite à la défaite, la légende du tennis Jean King a défendu Serena en écrivant que « Les femmes sont traitées différemment dans la plupart des sphères de la vie. C’est particulièrement vrai pour les femmes de couleur. Et ce qui s’est joué sur le court hier se produit bien trop souvent. Ça arrive dans le sport, au bureau et dans la fonction publique. En somme, une femme a été pénalisée pour avoir défendu ses droits. »

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La Women’s Tennis Association [WTA - Association professionnelle du tennis féminin ndlr] et la Fédération de Tennis des États-Unis ont publié des déclarations manifestant leur soutien à Serena et leurs préoccupations vis-à-vis du sexisme dans le sport, tandis que la Fédération internationale de tennis s’est positionnée du côté de Ramos.

La marginalisation dans toutes ses formes n’est pas rare dans ce sport. Il n’est pas habituel pour les spectateurs de tomber sur un joueur non-blanc, particulièrement quand il s’agit du Grand Chelem. Depuis 1996, aucun homme de couleur perçu comme concurrent sérieux n’est parvenu en finale, et il n’a pas suffi que Serena et Venus Williams sautent sur le court avec leurs tresses ornées de perles et ce sentiment de confiance inédit — bien que mérité — pour que l’on commence à voir des femmes non-blanches dominer le sport.

Mais une question reste entière : pourquoi les gens de couleur ne sont pas représentés dans le tennis ? Et une fois que les sœurs Williams prendront leur retraite, qu’adviendra-t-il des catégories marginalisées qui leur succéderont ? Le coût moyen pour entraîner un enfant à jouer au tennis de manière professionnelle est d'environ 154 750 dollars par an aux Etats-Unis. Mais selon l’Agence américaine de statistiques du travail, le revenu annuel moyen des ménages noirs, asiatiques et latinos aux États-Unis est bien inférieur à ce montant : il s’élève à seulement 18 000 dollars.

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Au-delà de son prix astronomique, la culture du tennis est marquée historiquement par le racisme et cela érige des barrières pour les gens de couleur, qu’ils soient joueurs ou spectateurs. Le triomphe personnel et professionnel d’Osaka en finale ce week-end contre l’idole de son enfance s’est terminé dans le chaos, en huées et en un sentiment général de honte, illustrant un problème toujours inhérent à ce sport.

Au cours de leur carrière, les sœurs Williams, ont persévéré malgré les nombreux obstacles mis en travers de leur route par les organisations supervisant le tennis. Le contrôle « racialisé » a commencé tôt dans leur carrière avec une longue liste de discriminations comme lors de la sanction de Venus arrivée avec ses fameuses tresses défaites lors d’un match à l’Open d’Australie en 1999. L’événement a fait les grands titres comme avec « Venus perd la tête » et « Venus s’effiloche », jouant sur le cliché de la femme noire hystérique. Les sœurs ont été sujettes à des dépistages de drogue excessifs, à des plaisanteries racistes et transphobes et la création de nouvelles règles et régulations visiblement en réponse directe à leurs actes. La Fédération Française du Tennis a banni les combinaisons moulantes et l’Association des joueuses de tennis [Women's Tennis Association ou WTA ndlr] a créé une régulation autour du choix de la coiffure des joueuses affectant le protective style que beaucoup de femmes noires athlètes tendent à favoriser. La WTA a aussi changé ses règles requérant que les joueuses fassent quatre tournois en dehors du Grand Chelem, forçant Serena à jouer lors d’un tournoi qu’elle avait décidé de boycotter depuis 14 ans, après avoir subi des interruptions racistes et des accusations selon lesquelles elle et sa sœur truquaient les jeux. Après la finale du 8 septembre, Serena a fait l’objet d’une nouvelle vague de critiques l’accusant d’être une « mauvaise perdante », ce qui est déjà arrivé à de multiples reprises. La joueuse a aussi été représentée dans un dessin humoristique manifestement raciste montrant une caricature de la joueuse avec des traits déshumanisés face à une version d’Osaka dessinée avec la peau blanche.

Mais la qualifier de mauvaise perdante ne résout pas le problème systémique que connaît le tennis (et d’autres domaines) en ce qui concerne la façon dont la colère des femmes noires est perçue et diabolisée. Au fil du temps, elle a appris à perdre avec grâce, même ce samedi 8 septembre lorsqu’elle a calmé les huées de la foule et félicité une Osaka en pleurs. Cette image est puissante parce qu’elle incarne la sororité tacite dont les femmes ont usé pour se soutenir à travers des siècles de harcèlement et de persécution.

Serena Williams a indéniablement pavé la voie pour les femmes de couleur dans le tennis, mais le fait est que le coup d’essai grandiose d’Osaka a été tinté du racisme et du sexisme qui ont meurtri Serena pendant sa carrière longue de plus de 20 ans. Cela montre clairement qu’il reste encore beaucoup à faire. L’image de l'étreinte de ces deux grandes femmes vient nous rappeler qu’il n’y a aucune bataille que l’on puisse remporter seul.

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