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Culture

Le film oublié de Serge Gainsbourg et Jane Birkin en ex-Yougoslavie

L’histoire de « 19 filles et un marin », où l’un des couples le plus emblématiques de France a combattu les nazis.
Toutes les images sont issues du film « 19 filles et un marin »

Les excursions de Gainsbourg dans le monde du cinéma sont bien connues du grand public – c'est d'ailleurs par ce biais qu'il a rencontré Jane Birkin, lors de leurs débuts difficiles sur le plateau du film Slogan. En revanche, peu de personnes savent que le couple a joué dans un film de partisans yougoslave en 1971, à l'époque où ce sous-genre était en plein essor.

Apparus dans les années 1960, les films de partisans représentaient la réponse yougoslave aux westerns, et les paysages montagneux s'y substituaient aux prairies. Ils mettaient en scène les batailles antifascistes des membres du mouvement de résistance yougoslave contre leurs ennemis principaux – les Nazis et leurs collaborateurs – et constituaient un outil visant à construire et renforcer le mythe de la Yougoslavie. Les producteurs investissaient énormément dans les films de ce genre, et il n'était pas rare que de grandes stars internationales (telles qu'Orson Welles et Richard Burton) y fassent leur apparition et que des peintres comme Picasso en dessinent les affiches. Tito, quant à lui, appréciait la compagnie de grandes stars du cinéma – qu'elles incarnent ses alliés ou ses ennemis – et avait pour habitude d'accueillir des personnalités telles qu'Elizabeth Taylor, Sophia Loren ou Carlo Ponti dans une villa située sur l'archipel de Brioni. Pour résumer, la Yougoslavie était une sorte de Hollywood communiste.

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Comment le couple incarné par Serge et Jane a terminé dans un film de partisans, complètement différent de tout ce qu'ils avaient fait auparavant, demeure un mystère. Toujours est-il qu'en 1971, Jane et Serge se sont rendus sur place pour les besoins du tournage du film 19 filles et un marin, également connu sous le titre de Le Traître et Ballade à Sarajevo (bien que l'histoire n'ait absolument rien à voir avec cette ville), le premier film du réalisateur yougoslave Milutin Kosovac.

À lui seul, le titre du film a été la source d'une grande polémique dans la presse locale – 19 filles et un marin suggérait un contenu trop indécent pour un film de partisans, selon le quotidien Politika. Et comme si cela ne suffisait pas, les rôles des 19 filles étaient interprétés par des mannequins, dont Aleksandra Mandić, l'ex Miss Yougoslavie. On savait également que le film comporterait des scènes où les protagonistes seraient nues. Ajoutez à cela le fait que Jane et Serge allaient respectivement interpréter une des filles et un marin – la peur du scandale était à son comble.

Lors du tournage et du séjour de Jane et Serge en Yougoslavie, l'intérêt de la presse a continué de croître. Ljiljana Peroš, qui avait 12 ans au moment de tourner le film et était la plus jeune partisane du groupe, se souvient aujourd'hui : « Serge et Jane avaient l'air tellement amoureux, ils étaient constamment enlacés, il était évident qu'ils s'aimaient énormément ». Les journaux précisaient qu'ils passaient tout leur temps libre à Dubrovnik. La première du film, qui devait avoir lieu le jour de la commémoration de la Libération de Sarajevo, a été reportée car Gainsbourg, qui avait également composé la musique du film, était en retard. 19 filles et un marin a finalement été projeté pour la première fois au Festival du film de Pula, le plus grand et le plus important festival de Yougoslavie, mais hors compétition. Serge et Jane n'ont pas assisté à la première en raison de la naissance de Charlotte une semaine plus tôt (que certains pensent être le fruit de leurs amours yougoslaves).

Bien que le film ait été acheté par de nombreux distributeurs internationaux, la critique n'a pas été enthousiaste – des magazines locaux comme NIN étaient d'avis qu'il « présentait une image distordue de la révolution », tandis que d'autres, tels que Večernja novost, estimaient que c'était une œuvre trop longue et sans ambition artistique réelle. Et il y a ceux qui ont été très offensés – après la projection du film, quelques membres du groupe des femmes-combattantes de Sarajevo ont manifesté en raison de la scène où les partisanes sont nues.

Dans ce film (attention, les lignes suivantes révèlent une bonne partie de l'intrigue), une unité de 19 infirmières a pour mission de conduire des blessés de guerre, parmi lesquels figure un commandant partisan. Serge (le Marin) et Jane (infirmière Milja) y font tout ce que font les partisans : ils fuient les Nazis, leur tirent dessus, se cachent dans les grottes et les montagnes, élaborent des stratégies militaires, soignent les blessés, tombent amoureux (en conséquence de quoi ils cessent d'être appliqués dans leur devoir révolutionnaire), découvrent les intrus, se battent pour la Yougoslavie et la libération nationale. Et pas sans péripéties. En plein milieu de leur fuite, les partisanes partent se baigner nues dans un lac, et les Allemands en profitent pour les encercler et les attaquer. Le Marin meurt durant la bataille, mais les partisanes finissent bien évidemment par gagner, suivant l'énonciation ferme de Milja dans la clôture épique du film : « La Yougoslavie revit enfin. »

Malheureusement, quelque vingt années plus tard, cela se révélera faux. La Yougoslavie finira par mourir. Les films de partisans ne sont plus tournés, une nouvelle idéologie est arrivée et a inversé le cours de l'Histoire. Ces films qui faisaient autrefois des centaines de milliers d'entrées servent aujourd'hui d'une excellente base pour la recherche autour de ce pays qui n'existe plus. 19 filles et un marin en fait partie. Sans scandale, ce film reste une étrange perle de la filmographie yougoslave. Aujourd'hui, après le démembrement de la Yougoslavie, on le regarde pour ce qu'il est : un film de partisans trash de qualité.