Comment le travail peut entraîner une forme de dépression
Illustrations : Pierre Thyss

FYI.

This story is over 5 years old.

monde moderne

Comment le travail peut entraîner une forme de dépression

À l’adolescence, je me souviens avoir pesté contre le système éducatif – avant de réaliser que le monde du travail était tout autant synonyme de soumission.

Quand j'étais adolescente, je me souviens avoir pesté contre le système éducatif. Le fait d'être dépendante de la bonne volonté d'adultes, définissant ce qui devait être bon ou mauvais pour moi, me hérissait le poil. Je n'avais hâte qu'à une chose ; devenir enfin indépendante. Et pour la citoyenne lambda que je suis – ni rentière, ni fille de –, l'indépendance est synonyme d'argent, et donc d'emploi. Malheureusement, ce qui fut vrai pour moi, l'est aussi pour la grande majorité des Français.

Publicité

Sitôt nos diplômes en poche, et dans un grand réflexe Pavlovien, nous accourons tous vers les listes des annonces d'emploi. L'objectif est clair : dégoter le bon job pour faire face à sa nouvelle et précieuse indépendance financière. Mais avec le premier emploi vient également le premier chef, et les vieux cauchemars lycéens refont très rapidement surface. En devenant banquière, j'ai vite constaté que la soumission était toujours de mise dans le monde du travail. Un jour, j'avais une cliente dans mon bureau, qui me demandait, presque en pleurs, de lui re-créditer ses frais bancaires du mois passé. Ces derniers étaient tellement élevés qu'ils correspondaient à son budget alimentation pour tout le mois. Je suis empathique de nature. J'ai donc accédé à sa requête, à titre exceptionnel. Mais dès le lendemain, au briefing du matin, je me suis fait reprendre par mon chef d'agence, devant les autres. Et le message fut très clair : l'empathie ne fait pas partie du vocabulaire bancaire. Plus encore que l'humiliation publique devant mes collègues, due au ton utilisé pour me remettre à ma place de simple exécutante, c'est l'incompréhension qui dominait. Comment vais-je encore pouvoir faire mon travail sereinement si je me retrouve sans cesse coincée entre les intérêts de la banque et ceux de mes clients ?

Très vite, les premiers signes avant-coureurs font leur apparition. L'entrain pour le travail disparaît peu à peu, la fatigue nous gagne, une forme de désintérêt général également. La vie de l'entreprise, qui nous tenait tellement à cœur à nos débuts, ne revêt plus qu'une importance toute relative. Quant au fameux stress, nécessaire à la bonne dynamique dans le travail, il s'en va, pour laisser place parfois à des débuts de crises d'angoisses, qui se font de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Si vous en êtes là, il est peut-être trop tard : la dépression vous a sans doute déjà frappé.

Publicité

Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, le stress et la quantité de travail ne sont pas les éléments déclencheurs, ni même les éléments moteurs de la dépression au travail. Une étude danoise de 2013 a même avancé l'exact l'inverse. Non, le stress n'est pas responsable de la dépression. Au contraire, il en serait même un combattant de première ligne. Le cortisol, hormone du stress, se trouve en moins grande quantité chez les personnes à risques dépressifs. Alors, qu'est ce qui causerait la dépression au travail ?

Tout d'abord, il faut prendre en compte l'environnement de la personne touchée. Et, avec autant d'heures passées à satisfaire les besoins du marché capitaliste néolibéral, sans autre considération que quelques piécettes en fin de mois nous permettant le règlement de nos factures, le travail n'apparaît plus comme un facteur épanouissant de nos vies. Au final, à part être heureux de pouvoir dépenser ce que l'on a gagné en nous mettant au service d'un tiers, en bon consumériste formaté, quelle satisfaction tirons-nous réellement de notre travail ? Là est la vraie question.

Il apparaît que certaines professions sont plus touchées que d'autres. Que certains employés sont plus sujets à la dépression, selon l'environnement dans lequel ils évoluent. Mais toutes les personnes touchées (ou presque) relèvent du même constat ; plus vous êtes consciencieux, méticuleux, perfectionnistes, plus vous aimez le travail bien fait, qui demande forcément un peu plus de temps, plus vous avez un terrain favorable à l'anxiété, et plus vous aurez de risques de développer une dépression. La chose n'est heureusement pas systématique. Il existe des entreprises au sein desquelles les formes de management sont plus souples, plus ouvertes et qui considèrent plus l'humain.

Publicité

Pourtant, le nombre de dépressions ne cesse de croître. Selon une étude récente de l'OMS, les troubles dépressifs ne cessent de croître partout dans le monde et deviennent la première cause de morbidité et d'incapacité de travail dans le monde.

À force de multiplier les tâches, de diversifier les compétences des salariés dans le but de réduire les effectifs, de demander toujours plus de rentabilité et d'efficacité, de réduire les temps de déconnexion et de relâche, les risques s'aggravent, qu'ils soient physiques ou psychologiques. Et la psychosomatique joue d'ailleurs un grand rôle dans le phénomène dépressif. Une aberration humaine de plus dans un monde qui confine de plus en plus à l'univers robotique, sans émotion. Le souci, c'est que les hommes et les femmes ont des émotions, et qu'il est impossible de les faire taire. Tôt ou tard, elles resurgissent.

Mais un environnement professionnel anxiogène n'est pas l'unique raison de la dépression au travail. La crise économique, par exemple, renforce le sentiment d'insécurité financière, accroît la pression, angoisse les travailleurs. Sans compter les conséquences de celle-ci en termes de délocalisations, de compétitivité accrue, de réduction de masse salariale, de plans sociaux, d'OPA et autres joyeusetés du genre.

Les conséquences de telles dépressions peuvent être graves. On ne compte plus les dépressions nerveuses et autres burn-out, les problèmes de sommeil, les troubles cardio-vasculaires, l'asthénie – pour ne citer qu'eux. Selon les enquêtes réalisées partout en Europe, le coût du stress au travail représenterait l'équivalent de 3 à 5 % du PIB. Ce qui correspond à une bonne dizaine de jours non travaillés en plus des jours fériés et des vacances. Alors certes, la nouvelle loi travail de 2016 impose un droit à la déconnexion pour le salarié, mais il reste encore à définir au sein de l'entreprise. Et quand on sait que cette déconnexion doit faire suite à des négociations, entreprise par entreprise, on se doute fortement que certains n'en entendront jamais parler. Quant au terme de négociation, il est forcément galvaudé, puisqu'une négociation ne peut intervenir que lorsque le rapport de force entre les deux parties est équilibré. Ce qui est loin d'être le cas ente un employeur et un chômeur.

Autre motif pouvant facilement entraîner une dépression du travail, le harcèlement, qu'il soit sexuel ou moral, est toujours psychologique. Et même si une loi récente définit enfin le harcèlement moral d'un salarié, la précarisation de l'emploi interdit jusqu'à la prononciation de ce mot barbare pour les entreprises. Pourtant, les modalités sont bien souvent le mêmes, d'un lieu de travail à l'autre ; une mise au placard, une absence volontaire de communication de la part de la hiérarchie, la privation ou le surcroît de travail, les demandes excessives, dépassant les compétences ou le cadre des fonctions, les conditions de travail, les critiques, sarcasmes, moqueries, humiliations, etc.

En cause, donc, la gestion inhumaine de l'entreprise vis-à-vis de ses producteurs de richesses – les salariés. La pression exercée par les récoltants de cette richesse, les actionnaires, en exploitant au maximum l'énergie et les ressources des salariés et travailleurs peut entraîner des conséquences graves, allant jusqu'à la plongée dans les tréfonds psychotropes ou pire, jusqu'au suicide. L'impact du travail sur la vie peut donc se révéler très néfaste. Mais au final, qui cela peut-il encore surprendre ?

Au fil des années, j'ai compris que George Bernard Shaw avait raison : « L'esclavage humain a atteint son point culminant à notre époque sous forme de travail librement salarié. » Une évidence tant ce travail en question est désincarné. À quoi sert ce que nous faisons tous les jours ? Pour qui ? À part nous délivrer le sésame qui nous permet d'acheter ce que nous contribuons à construire. Avouez que le système est bien rodé. Car au final, l'argent que nous recevons de nos employeurs, nous leur rendons aussitôt lorsque nous achetons ce que nous avons produit. Dès lors, et dès que nous prenons conscience de cet état de fait, comment pourrions-nous nous sentir bien portants dans un environnement malade ?

Et pire encore, lorsque nous serons usés jusqu'à la corde, après avoir contribué à enrichir les grandes fortunes qui s'étalent à la une de nos journaux et nous montrent tous les jours le luxe auquel nous ne pourrons jamais prétendre, d'autres robots humains, réduits à leur seule fonction d'enrichissement de la société, viendront nous remplacer. D'aucuns assimilent même le travail à une forme de fascisme, plus encore qu'à un simple esclavage. Il n'y a qu'à voir comment une personne sans emploi est considérée dans nos civilisations dites modernes.