Dans les ténèbres du rap avec crypt✞✞✞ et amideluxe
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Culture

Dans les ténèbres du rap avec crypt✞✞✞ et amideluxe

Les deux artistes font fi des barrières de genres en mélangeant le trap au punk et au black métal.

Encore méconnus, les rappeurs et producteurs c r y p t ✞ ✞ ✞ et amideluxe ont un penchant pour les sons fuckin' hard et les ambiances brutales, héritées de leur amour du punk et du black métal. Lancé plus tôt cette année, leur premier EP collaboratif stillnotdead contient les germes d'un hardcore trap québécois, en phase avec le style agressif de certains rappeurs américains comme Max P ou XXXTentacion. Aperçu du phénomène.

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Terrain d'expérimentation fertile depuis la collaboration pionnière entre Aerosmith et Run-D.M.C., le croisement entre le rap et le rock n'a pas toujours donné naissance à des chefs d'œuvre. Encore source de cauchemars pour plusieurs, le nu métal des Limp Bizkit, Linkin Park et Slipknot de ce monde a vraisemblablement déroulé le tapis pour l'outrage suprême : le crunkcore, alliage improbable entre le crunk et le screamo que des formations douteuses comme Brokencyde et Hollywood Undead ont popularisé à la fin des années 2000.

Depuis, il n'y avait qu'un pas à franchir avant que d'autres opportunistes en quête d'identité s'emparent du trap, sous-genre hip-hop le plus en vogue des dernières années, pour en offrir une mouvance bariolée et dénaturée. Or, mis à part quelques dérapages signés UKMG, le désastre attendu ne s'est pas produit. À l'inverse, ce sont plutôt de talentueux rappeurs à l'esthétique intrigante comme Bones, Max P et XXXTentacion qui, depuis quelques années, accumulent les centaines de milliers d'écoutes et de visionnements sur Soundcloud et YouTube.

Toujours un peu en retard face à leurs homologues américains, les producteurs et rappeurs québécois explorent actuellement cette tendance, même si le tout est encore très embryonnaire. Perceptible dans certains travaux de Hardbody Jones et Team XXI, le phénomène musical est plus manifeste chez c r y p t ✞ ✞ ✞ et amideluxe, deux artistes audacieux qui font fi des barrières de genres en mélangeant les rythmiques trap et leurs influences punk et black métal.

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« On est rendus à un point où le rap et le punk, c'est la même chose. Il y a des fuckin' mosh pits dans les shows rap », observe le Torontois d'origine c r y p t ✞ ✞ ✞.

Bercé par le hip-hop américain depuis l'enfance, notamment grâce à son oncle qui l'a initié aux classiques du genre dès le primaire, le Montréalais d'adoption a ouvert ses horizons au rock « plus pesant » après avoir découvert Rage Against The Machine à l'adolescence.

Le processus s'est fait de manière inverse pour amideluxe. Né à Sept-Îles, le francophone a d'abord été exposé au métal : « Mon père écoutait Kill 'Em All quand j'avais huit ans. J'ai commencé à écouter du rap par moi-même beaucoup plus tard, d'abord des shits de surface un peu lame comme 50 Cent. Après ça, je me suis penché sur le rap underground et j'ai trouvé ça sick, genre les Jedi Mind Tricks, Army of the Pharaohs, Snak the Ripper… J'ai jamais idolâtré ces gars-là, mais ç'a été ma porte d'entrée vers le rap grimy as fuck ».

Après s'être initié chacun de leur côté à la production hip-hop durant leur adolescence, les deux jeunes vingtenaires font connaissance à l'été 2016 grâce à un ami commun. « On s'est montré notre musique, et on s'est rendu compte qu'on aimait les mêmes affaires fuckin' hard », se souvient amideluxe, exilé à Montréal depuis deux ans. « On cliquait sur les mêmes trucs : le métal, le black métal, le punk, le trap… Pour nous, tout ça link up de façon évidente, sans qu'on y pense vraiment. »

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« La correspondance de son était juste parfaite », résume son collègue, en anglais.

Quelques mois plus tard, l'idée d'un EP germe naturellement. Sans trop se poser de questions, les deux complices enregistrent stillnotdead en trois jours. « La routine était tout le temps pareille : on se lève, on se rejoint à midi chez nous, on se cuit des pork chops, on pogne de la beer et on fait de la musique, énumère amideluxe. La nuit, on mixait ça et, après, on faisait le test ultime : le car test. »

« Tu peux pas vraiment savoir comment ton shit sonne si tu l'as pas essayé dans le whip », ajoute c r y p t ✞ ✞ ✞.

Comme c'était le cas sur Rythm for a Corpse, un mini-album solo à la distorsion acerbe et cinglante paru en mars dernier, amideluxe déverse son agressivité latente en rappant avec une intensité incisive, parfois en hurlant. « Ç'a toujours été la façon naturelle de rapper pour moi. Par moments, j'avais envie de crier délibérément, alors je mettais le gain au max, pis je me plaçais à quatre pieds du mic en bedaine, en retenant tout mon air pour mieux le gueuler. »

À l'instar de XXXTentacion, ce choix artistique laisse entrevoir un excès de violence. Loin d'être aussi graves que celles qui pèsent actuellement sur le rappeur floridien, les répercussions de cette agressivité prennent également racine dans la vie quotidienne du rappeur septilien. « Dans ce temps-là, j'étais fucké… J'étais absolument alcoolique », confie-t-il, à propos de la période d'enregistrement du EP. « J'étais un gars fuckin' agressif pour aucune raison. Je sortais n'importe où pis je me battais random. À Sept-Îles, c'était comme normal de se battre, mais ici, ça devenait carrément insane. Fallait pas que je me mette les pieds dans les mauvais plats…»

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« Quand il est drunk as fuck, il peut devenir sauvage », admet c r y p t ✞ ✞ ✞, sourire en coin. « À ces moments-là, il a besoin de chiller. Il a besoin qu'on le calme avant qu'il devienne trop stupide. »

« Pendant un bout, je trouvais ça drôle, mais, à un moment donné, je me suis rendu compte que c'était deep et que, même si je voulais, je pouvais pas arrêter de boire », poursuit le principal intéressé, nous signalant, bière à la main, qu'il a tout de même réduit sa consommation depuis.

Audible tout au long de stillnotdead, cette violence exacerbée est tout particulièrement saisissable sur Heavy Red, chanson « qui parle de se battre et de briser des crânes ».

Les deux musiciens poursuivent actuellement la création de plusieurs projets, autant en solo et en duo qu'au sein de leur collectif, 9 9 9. Se sentant plus ou moins à leur place sur la scène rap montréalaise, qu'ils jugent « fake as fuck », ils ne se font pas trop d'idées quant à la réception de leurs futures créations.

« Franchement, nos attentes sont à zéro », lance c r y p t ✞ ✞ ✞. « Si nos trucs obtiennent un certain engouement, tant mieux, mais personnellement, I don't fuckin' care! »