Le hooliganisme polonais vu par un vieux routard

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Le hooliganisme polonais vu par un vieux routard

Deuxième partie de notre entretien fleuve avec un des anciens du mouvement hool local, qui retrace trente ans d'histoire des tribunes polonaises.

Après avoir évoqué la genèse du mouvement en Pologne et le rapport de force entre les principales firmes du pays, Mariusz*, hool de la première heure et observateur averti du milieu polonais, évoque les relations entre les groupes des clubs locaux et leurs homologues européens.

VICE : À l'échelle européenne, comment situes-tu les supporters polonais, aussi bien du point de vue de l'ambiance que de la violence ?
Mariusz : Du point de vue de l'ambiance, les Balkans nous torchent, ils sont des années-lumière devant nous. Pour les chants, on n'arrive pas au niveau du Hajduk, du Dinamo Zagreb, de l'Etoile Rouge, du Partizan, des Grecs, des Turcs. Bien entendu, nous pouvons rivaliser avec eux parce que les tribunes polonaises gueulent fort et sans s'arrêter de tout le match. Mais ce ne sont pas des chants qui vont emporter les foules, nous n'arrivons pas au niveau des peuples du Sud, des Italiens de la grande époque par exemple. Quand ils viennent en Pologne, ils sont impressionnés parce que ça gueule fort et sans arrêt. Mais voilà la différence : nous on gueule, eux ils chantent. Quand tout le Marakana à Belgrade se met à chanter, tu décolles. Ils ont ça dans le sang, nous on se déchire les cordes vocales. Pour ce qui est des tifos, les Polonais ont pris ce qu'il y avait de meilleur chez les autres, et ce en peu de temps. On a surtout regardé ce qui se faisait en Italie, mais ce qui nous a longtemps limités, c'est qu'on n'avait pas les stades et les tribunes pour reproduire ce genre de choses. Même aujourd'hui on n'a pas d'immenses virages comme celui de Dortmund par exemple. Bien-sûr, on peut faire quelque chose de spectaculaire, mais ça n'est pas facile.

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« La seule chose que je crains avec les Russes, c'est qu'ils attrapent des Polonais lambda lors d'une compétition internationale »

Et en ce qui concerne les bastons ?
Tu n'as qu'à regarder tout ce qui se dit sur les forums de supporters au sujet des Polonais et de leur façon de se battre. Pour être franc, l'Europe occidentale n'a aucune chance contre nous, aucune. Quels que soient le nombre, la configuration, ils n'ont aucune chance.

Pourquoi ?
Sans doute que nous autre les Slaves avons cette habitude de régler nos conflits par la violence. C'est comme ça que nous réglons nos problèmes et que nous prouvons notre supériorité. Et puis sur notre scène hooligan nationale, on est arrivé à un point où il faut s'entraîner dur si on veut compter et ne pas se faire défoncer tous les week-ends. On accuse les firmes polonaises de lever de la fonte, de prendre des stéroïdes, de s'entraîner comme des dingues. Pardon, mais qui empêche les autres d'en faire de même ? Ils n'ont qu'à bosser pour bastonner aussi bien que nous. En fait, tu as trois pays où règne cette discipline de vie : la Pologne, l'Ukraine et la Russie.

Et les Balkans ?
Non, ils sont dangereux parce qu'ils t'attaquent en horde et utilisent du matériel, mais ils ne gagneront jamais contre des Polonais à mains nues. Aucune firme croate, bosniaque ou serbe ne battra une firme polonaise de cette façon. Tu regardes leur élite : Partizan, Etoile Rouge, Hajduk, Dinamo, Zeljenicar, FK Sarajevo et disons un Rijeka ou une Vojvodina, ce sont des petites firmes, ils ne peuvent pas rivaliser avec le top 5 ou le top 10 polonais à mains nues.

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Le derby de Belgrade. Photo Dontstophools.com

Mais ils ne s'entraînent pas, eux ?
C'est pas leur style, ils l'admettent eux-mêmes. Je ne dis pas qu'ils ne s'entraînent pas du tout, tu tomberas toujours sur des mecs qui le font, mais d'une façon générale, c'est pas leur style, ils ne vont pas y passer énormément de temps. En Pologne, les gars s'entraînent cinq fois par semaine, t'as des firmes qui partent en camp d'entraînement l'été à 20, 30 ou 40, pour bosser ensemble. Les firmes des Balkans ne font pas ça. C'est populaire, chez nous, en Ukraine, en Russie. Tu verras ça aussi en République tchèque, en Hongrie, un peu en Allemagne, mais à une bien moindre échelle. Des gars qui font de la boxe depuis cinq ou dix ans vont forcément avoir le dessus sur d'autres qui ne s'entraînent qu'au lever de coude. C'est la différence entre la Pologne et l'Europe de l'Ouest. Ils essaient de s'y mettre en Scandinavie, ils commencent à s'entraîner et à organiser des fights, mais ils n'arrivent pas à la cheville des Polonais. Certes, le Spartak a tapé le Legia et le CSKA a battu le Śląsk Wrocław, qui est une firme merdique au passage, mais le CSKA continue de refuser d'affronter le Lech Poznań. Le Lech leur a même proposé de le faire à Moscou et ils ont quand même refusé. Ça veut quand même dire quelque chose. La seule chose que je crains avec les Russes, c'est qu'ils attrapent des Polonais lambda lors d'une compétition internationale, comme ils l'ont fait à Marseille avec les Anglais, parce que les grosses firmes polonaises ne se déplacent pas pour les matches de l'équipe nationale, même s'il y a eu quelques règlements de compte entre elles autour de Pologne-Ukraine lors de l'Euro ou de Roumanie-Pologne à Bucarest.

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Sinon, les firmes polonaises n'ont rien à craindre quand elles se déplacent à l'Ouest ?
Le seul danger pour nous à l'Ouest, c'est qu'on nous prenne par surprise, comme c'est arrivé au Śląsk quand ils sont allés à Séville, ils se sont fait tomber dessus et piquer quelques drapeaux. En fait, t'as des « chasses aux Polonais ». C'est ce qui s'est passé à Sarajevo, t'as une douzaine de personnes qui sont tombées sur quatre mecs du Lech. Ils savent qu'ils ne peuvent s'en sortir que dans cette configuration, parce qu'à armes égales ils n'ont aucune chance.

En fait, les Polonais sont visés par des guet-apens.
Oui, ils cherchent nos moments de faiblesse et surtout ils rappliquent avec du matériel, alors que le Polonais va vouloir se battre à mains nues. Sinon, comme je te le disais, l'Europe de l'Ouest n'a aucune chance face au « style de l'Est » représenté par la Pologne, l'Ukraine, la Russie, et dans une moindre mesure la République tchèque et la Hongrie. Encore que les Tchèques et les Hongrois n'ont aucune grosse firme pouvant rivaliser avec les trois premiers pays cités. Quand Videoton est venu jouer à Poznań en Coupe d'Europe, ils ont fait une fight sur la route face au Ruch Chorzów et se sont faits défoncer.

Photo Extreme Supporters

Il y a eu pas mal de situations ces derniers temps où les Polonais se sont fait remarquer sur la scène européenne : le Lech à Sarajevo comme évoqué plus haut, le Legia à Kiev et plus récemment face à Dortmund.
À Sarajevo, il a fallu que le club et le consulat interviennent pour que les supporters de Poznań ne se fassent pas expulser du pays. Le matin du match, la police bosniaque les a regroupés en vue de leur éloignement du territoire. Mais en fait, c'est une histoire qui a été montée en épingle par les médias polonais. Ils ont raconté que les mecs du Lech avaient fracassé quelqu'un, alors que tout ce qu'ils avaient, c'est quelques photos et vagues témoignages. En vrai il ne s'était pas passé grand-chose. Même chose pour le Legia à Kiev, alors que ça a fait la Une de Gazeta Wyborcza (Principal quotidien polonais, de tonalité sociale-démocrate, ndlr).

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Et comment ces incidents ont-ils été perçus dans le monde des supporters en Europe ?
J'ai l'impression que ça n'a fait que renforcer la position des firmes polonaises sur la scène européenne. Perso, je ne serais pas tombé des nues si le Legia s'était fait taper à Kiev. Or, ça n'a pas du tout été le cas, alors qu'en face tu avais une coalition de cinq firmes, il n'y avait pas que le Dynamo de Kiev. Tout le monde là-bas voulait se payer le Legia, mais le Legia les a remis à leur place. Le lendemain, ils ont tenté d'attaquer à nouveau, mais il y avait trop de flics, ça n'était plus possible. Et puis à Kiev comme à Sarajevo, on a vu que les Polonais savaient se défendre avec du matos s'il le fallait. Il y a eu des commentaires un peu moqueurs sur les forums, du genre « ces Polonais avec leur code d'honneur se sont battus à coups de chaises », mais il faut voir ce que les gars en face avaient amené, ils se sont juste mis à niveau. Mais je pense que la majorité de l'Europe nous considère comme les numéros 1. Les Russes et les Balkans essaient de remettre cela en question, mais encore une fois le CSKA refuse d'affronter le Lech.

Et puis ce qui s'est passé à Marseille [Mariusz ne fait pas allusion au fameux Russie-Angleterre, mais au match Pologne-Ukraine, pour lequel plusieurs firmes polonaises s'étaient déplacées afin de régler quelques comptes, ndlr] va sans doute conduire les firmes polonaises à se déplacer avec l'équipe nationale plus souvent et donc à asseoir encore plus leur suprématie. Ça s'est déjà vu à Bucarest [Lors de Roumanie-Pologne en novembre dernier, ndlr], j'ai constaté cela en voyant les photos du secteur visiteurs. Par ailleurs, beaucoup de hooligans y sont allés sans même avoir de billets, ils s'en foutaient de voir le match, ils étaient là pour se taper dessus.

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Quelques extraits des affrontements qui ont eu lieu lors de ce fameux Roumanie-Pologne.

En Europe de l'Ouest, les supporters de l'Est sont présentés comme des gens redoutables et violents. A l'inverse, on a beaucoup idéalisé et vanté la mentalité fair-play des supporters irlandais, nord-irlandais ou gallois pendant l'Euro. Que penses-tu de cela ? C'est marrant que l'on présente les Irlandais comme des modèles, des fêtards sympathiques. Je les ai déjà vus à l'œuvre. Les médias occidentaux ont-ils montré quand ils chient dans les fontaines ? Quand ils dorment dans les chiottes publiques, tellement ils sont bourrés ? Quand ils se pissent dessus dans les bars ou urinent sur les entrées d'immeubles ? Ils laissent de véritables porcheries partout où ils passent. Ça me rend fou. Nous, quand on se déplace, on n'emmerde personne, on se comporte de façon polie avec les gens, on ne salit pas les lieux que l'on visite.

Si on met de côté des cas comme Sarajevo ou Kiev, où les Polonais ont été attaqués par des firmes locales, il y a quand même eu des incidents impliquant des Polonais lors de déplacements à l'Ouest. Oui, le Legia a foutu la merde à Vienne il y a un certain temps maintenant.

A Madrid aussi récemment, lors du déplacement en Ligue des Champions. Oui, mais ils affirment avoir été provoqués par la police et je n'ai pas de raisons de ne les pas croire. D'après ce que je sais de la police espagnole, ce sont des tarés.

La Guardia Civil en action à Séville. Photo Flickr.

Lyon a également connu des déboires avec eux à Séville.
Les flics en Espagne et au Portugal, c'est particulier. Et pour revenir au Legia, ils se sont un peu frités avec la police, t'en as un qui a pris quelques coups, il ne s'est pas passé grand-chose au final alors que t'as 4000 mecs qui se sont déplacés. Si tu regardes bien, il n'y a pas vraiment de cas où les Polonais ont semé le chaos dans une ville lors d'un déplacement européen. Si tu questionnes les commerçants, les journalistes ou les flics locaux, ils vont te dire qu'ils ont été ravis de notre comportement.

Si je résume ce que tu dis, les Polonais se comportent globalement bien quand ils vont en Europe de l'Ouest, en revanche il y a pas mal d'incidents lors des déplacements à l'Est parce qu'il y a ces guet-apens et cette guerre pour la suprématie continentale.
Il faut dire les choses honnêtement : les Polonais veulent aussi prouver qu'ils sont les meilleurs et plusieurs firmes qui se sont déplacées en Pologne ont pu en faire l'expérience. L'Austria de Vienne a pris cher en venant en Pologne. Le Borussia se serait fait démonter s'il était venu à Varsovie en septembre. L'Ajax s'est carrément fait attaquer par surprise dans un restaurant. Le Lech a pour stratégie de faire en sorte qu'aucune firme qui se déplace chez eux pour un match n'arrive à destination. Donc je ne suis pas étonné que la presse occidentale nous présente comme cela. Elle a tendance à dire aux supporters « n'allez pas en Pologne » et ces précautions sont justifiées dans une certaine mesure, mais on n'est plus à l'époque où le mec lambda se faisait taper parce qu'il ne portait pas les bonnes couleurs. Par exemple le Borussia a publié sur son site Internet un guide pour ses supporters sur comment se comporter à Varsovie, leur disant de ne pas arborer leurs couleurs, de se déplacer uniquement en taxi et non en transports en commun. On aurait dit un manuel pour agents du KGB, alors que je n'imagine pas une seconde les gars du Legia s'en prendre à une personne âgée ou même à un supporter lambda. Certaines craintes peuvent être compréhensibles, mais elles sont très largement exagérées.